Tiré de Europe solidaire sans frontière.
Alors que la crise grecque pourrait, le 20 février 2017, connaître un nouvel épisode lors de la réunion de l’Eurogroupe sur la deuxième revue du troisième programme de financement de l’Etat grec, de récentes révélations viennent à nouveau éclairer les débuts de cette crise en 2010. Un éclairage qui explique largement les échecs et les aveuglements, même sept ans plus tard…
Ces révélations étaient, pour tout dire, passées relativement inaperçues en Europe lorsqu’elles ont été publiées dans le dernier ouvrage du journaliste étatsunien Paul Blustein – Laid Low —paru aux Etats-Unis, en octobre 2016, aux éditions du Centre international de l’innovation de la gouvernance (CIGI) [1]. L’ouvrage s’intéresse particulièrement au rôle du FMI dans la préhistoire du premier mémorandum imposé à la Grèce en mai 2010. Ce récit détaillé confirme ce que d’autres sources avaient déjà établi, notamment la Commission sur la Vérité de la dette [2], établie au premier semestre 2015 par Zoé Kostantopoulou, alors présidente de la Vouli, le parlement grec, mais aussi par d’autres journalistes étatsuniens et par l’instance de surveillance interne du FMI [3]. Mais cet ouvrage donne une vision plus claire des négociations du printemps 2010 et apporte davantage de précisions.
Les réserves du FMI sur le plan de 2010
Paul Blustein confirme ainsi que le FMI a bien participé au premier programme grec contre ses propres règles édictées après la crise argentine qui obligeaient le Fonds à ne pas aider un pays dont la dette n’était pas tenable sur le long terme. Or, les experts du FMI ne se faisaient aucune illusion sur la capacité du programme à sortir la Grèce de l’ornière. C’est la grande information de ce livre qui cite un « mémo interne » du chef économiste du FMI d’alors, Olivier Blanchard, transmis le 4 mai 2010, soit six jours avant l’annonce du plan « d’aide » à Athènes.
Ce mémo est d’une grande sévérité pour le mémorandum qui sera finalement signé avec la Grèce. Ce plan prévoyait, rappelons-le, officiellement, une dette maximale de 149 % du PIB en 2013 pour la Grèce et une légère récession en 2010 de 0,4 %, puis une reprise vigoureuse dans le cas où le pays réaliserait toutes les réformes structurelles imposées. Dans la version officielle qui a toujours cours et qui est encore largement acceptée par les décideurs et observateurs européens, c’est le manque d’implication de la Grèce dans le programme de réformes qui a fait échouer ces plans.
Des réformes vaines ?
Mais Olivier Blanchard, qui, depuis, a quitté le FMI avait déjà mis en garde dès le 4 mai 2010 : « Même en remplissant entièrement toutes les conditions posées, rien ne peut soutenir la croissance contre la contribution négative du secteur public ». Et d’ajouter : « la reprise aura plus vraisemblablement la forme d’un « L » avec une récession plus profonde et plus longue que celle projetée ». Et de conclure : « le schéma de croissance en « V » projetée est beaucoup trop optimiste, il est improbable que les forts gains de productivité puissent jouer un rôle significatif ». Ce mémo prouve que le FMI savait donc parfaitement ce qui allait se passer en Grèce. Les informations de Paul Blustein ont été confirmées par Olivier Blanchard lui-même qui, dans un tweet du mercredi 15 février 2017, a indiqué qu’il « n’a pas fait fuité lui-même » ce document, mais qu’il n’est finalement « pas mécontent qu’il ait fuité ».
Olivier Blanchard @ojblanchard1
I did not leak, but am not too unhappy that it did leak :). 7 years already, and still no clear/realistic plan. [4]
23:49 - 14 Févr 2017
Une dette non contrôlée
Dans son mémo, le chef économiste du FMI prévoit une explosion de la dette publique grecque jusqu’à 170% du PIB, une analyse bien plus proche de la réalité (la dette publique grecque est aujourd’hui de 176 % du PIB) que les projections du mémorandum. Olivier Blanchard estimait alors, à mots couverts, que le programme devait prendre en compte l’adoption de « mesures plus radicales » comme la restructuration de la dette. Car, martèle-t-il à nouveau, « même avec une parfaite mise en œuvre des politiques demandées, c’est-à-dire si Athènes fait tout ce qu’elle est supposée faire, le programme peut dérailler ». Le verdict est sans appel : le programme de 2010 était fondé sur des illusions et ceux qui ont pris la décision de le mettre en place le savaient. La responsabilité de l’échec ne saurait alors être imputée à la Grèce et aux Grecs, comme c’est le cas depuis 2010.
Paul Blustein affirme que « cette recommandation d’Olivier Blanchard n’a pas été retenue ». Le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, a fait avaler la couleuvre au Fonds et fait adopter un programme dont le montant atteignait alors des niveaux jamais vus dans l’histoire du FMI. Il a donc introduit une « exception » aux règles du Fonds pour le faire entrer dans cette aventure dangereuse et ne pas mettre en péril l’architecture fragile et très politique mise en place. Les recommandations des équipes seront modifiées pour laisser une chance à un programme perdu d’avance.
Le FMI a travaillé à la restructuration de la dette grecque
Pourquoi cette insistance ? Paul Blustein l’explique en confirmant les informations publiées en 2015 outre-Atlantique. Le FMI a travaillé durant le printemps 2010 à un « plan B » pour la Grèce conforme à ses propres règles et incluant des mesures plus progressives et une restructuration de la dette publique. Ces plans ne faisaient certes pas l’unanimité au sein du Fonds — et étaient même repoussés par le département européen du FMI — mais ils correspondaient clairement à l’expérience de l’institution qui avait pu constater que l’implication des autorités locales dans les réformes était liée à ces deux conditions. Les économistes du Fonds ne sous-estimaient pas l’effet de contagion d’une « faillite » de la Grèce, mais estimaient qu’une action rapide et qu’un programme réussi étaient en mesure de stopper cette contagion. De fait, le programme de 2010 n’a pas empêché la contagion…
Le « non » de la BCE
Pourtant, cette option a été violemment repoussée par Jean-Claude Trichet, alors président de la BCE, qui jugeait la faillite inacceptable. Paul Blustein rapporte notamment une réunion interne à la BCE « durant le printemps 2010 » où l’économiste en chef Jürgen Stark — qui démissionnera en septembre 2011 — évoque la possibilité d’un « haircut », une participation des créanciers au plan d’aide. A ces mots, selon l’auteur, Jean-Claude Trichet « a explosé ». « Nous sommes une union économique et monétaire et il ne doit pas y avoir de restructuration de la dette », lance-t-il « en criant », précise un témoin. La messe était dite. A la mi-avril, Dominique Strauss-Kahn comprend dans une réunion au Sofitel (sic !) de Washington avec les Européens qu’il ne peut proposer cette option. Cela ne l’empêchera pas pourtant de soutenir la participation du Fonds au programme. Le mémo d’Olivier Blanchard ne pouvait que devenir lettre morte…
La responsabilité de Jean-Claude Trichet
Que retenir de tout cela ? D’abord, le rôle majeur joué par Jean-Claude Trichet qui a agi comme un obstacle majeur contre toute restructuration de la dette hellénique. La raison en est évidemment la crainte de la contagion, mais l’exposition, alors, des banques françaises et allemandes à la dette grecque (95 milliards d’euros en tout) a joué aussi un rôle majeur. A l’automne 2010, le président de la BCE fera pression sur les gouvernements irlandais et espagnol pour éviter toute restructuration du même type. En avril 2011, il menacera le nouveau gouvernement irlandais de « jeter une bombe sur Dublin » en forçant le pays à sortir de l’euro si le programme de « participation des créanciers » promu par la nouvelle majorité était mis en œuvre [5]. Or, en jetant un tabou sur ce sujet, le Français a créé le nœud coulant de la dette qui étrangle encore la Grèce et qui enserre les autres pays jadis sous programme. Idéologue de « l’austérité expansive », terme à la mode alors, il a forcé une solution impossible contre les voix raisonnables du FMI. Les malheurs de la Grèce depuis sept ans y trouvent là leur origine. Une responsabilité qu’il refuse obstinément d’endosser depuis.
Le coût du mensonge
Deuxième conséquence : sur la Grèce, tout le monde a donc menti en mai 2010, du gouvernement grec au FMI en passant par les dirigeants européens et la BCE. Ce mensonge est structurant pour toute l’histoire de la zone euro, particulièrement l’épisode dramatique du premier semestre 2015. Les demandes du premier gouvernement Tsipras, fondées notamment sur une restructuration de la dette et une réduction du niveau de l’austérité, venaient percuter les vérités assénées depuis 2010. Il a fallu briser cette demande par la violence d’un troisième mémorandum [6], donc d’une poursuite de la logique de 2010, malgré l’évidence contraire de son échec. Le but était en quelque sorte de « forcer la réalité » pour la faire entrer dans une vision définie en 2010. Sept ans de maux du peuple grec, une fracture béante entre le nord et le sud de l’Europe, une humiliation du gouvernement démocratique grec et une situation toujours aussi bloquée auront été les prix à payer de cette tentative sordide de validation des mensonges des dirigeants européens.
La position du FMI aujourd’hui et le Grexit
Dernier élément : la position actuelle du FMI ne peut plus faire comme si une participation au programme était possible. La torsion effectuée en 2010 aux statuts du Fonds et à la rationalité économique n’est plus possible. Aussi, désormais, la participation du FMI semble une gageure. D’où le débat entre les créanciers européens et le Fonds depuis 2015. D’autant que le FMI a souvent été utilisé, notamment en juillet 2015, comme le « bad cop » des « gentils Européens », scénario largement validé par le gouvernement grec. Dès lors, la fin de cette union entre créanciers européens et FMI semble proche. Elle signe la fin du pacte accepté par Dominique Strauss-Kahn en 2010 et ouvre la porte à des scénarios où le Grexit , la sortie de la Grèce de l’euro, est une possibilité [voir ci-dessous].
Romaric Godin
* « Grèce : le FMI savait que le programme échouerait dès 2010 ». La Tribune, 16 février 2017, à 17h14 :
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-le-fmi-savait-que-le-programme-echouerait-des-2010-639615.html
Grèce : le piège de Wolfgang Schäuble se referme
L’appel d’Alexis Tsipras à l’Allemagne à ne pas « jouer avec le feu » [7] traduit surtout une impuissance face au jeu de Wolfgang Schäuble qui n’a jamais abandonné son projet d’une exclusion de la Grèce de la zone euro...
Alexis Tsipras a donc voulu se montrer ferme ce dimanche 12 février devant le congrès de Syriza en appelant le ministre fédéral allemand Wolfgang Schäuble à « ne pas jouer avec le feu ». Mais derrière ces énièmes rodomontades de l’hôte de Maximou, le Matignon hellénique, se cache en réalité un cri de désespoir. Car le Premier ministre grec, qui, depuis le mois de juillet 2015 tente d’obtenir la bienveillance des créanciers voit progressivement se refermer sur lui un piège redoutable, dont il doit se résoudre à n’être que le spectateur avant d’en être la victime.
La stratégie du gouvernement grec
Pour saisir la situation, il faut d’abord comprendre ce que le gouvernement grec a cherché à obtenir avec le troisième mémorandum signé en août 2015 et indirectement validé par les électeurs helléniques au cours des élections du 20 septembre suivant. Alexis Tsipras avait promis de respecter le programme signé, tout en préservant les intérêts grecs et en se voyant in fine « récompensé » par des concessions des créanciers. En clair : la Grèce entendait assouplir au maximum les exigences des créanciers, puis les appliquer et utiliser cette application pour obtenir des conditions plus avantageuses en termes d’objectifs et de restructuration de la dette. Il s’agissait, dans l’esprit d’Alexis Tsipras, de changer de logique face à l’application à la lettre des demandes de la troïka des gouvernements de 2010 à 2015.
Les objectifs d’Alexis Tsipras
L’objectif principal du gouvernement grec était notamment la révision de la dette publique, principalement détenue par les États de la zone euro et les institutions européennes. Pour cela, Alexis Tsipras pouvait compter sur une particularité de ce troisième mémorandum : la divergence radicale dès le départ entre les créanciers européens et le FMI. Le FMI refusait d’entrer dans le programme sans restructuration de la dette, tandis que les Européens refusaient toute coupe dans le stock de dettes, mais voulaient la participation du FMI. Dès lors, en se montrant bon élève sur le plan budgétaire, Alexis Tsipras pouvait espérer obtenir un ralliement des Européens aux positions du FMI et l’abandon par ce dernier de ses demandes de réformes radicales, notamment sur les retraites. Dans ce débat, Alexis Tsipras avait, du reste, choisi son camp : il n’a cessé pendant un an et demi de dénoncer le FMI, espérant ainsi pouvoir mieux négocier, seul, face à ses créanciers européens.
Impuissance grecque
Mais toute cette stratégie s’est révélée perdante. Avec le troisième mémorandum, la Grèce a définitivement perdu la maîtrise de son destin. A plusieurs titres. D’abord, parce que, comme les précédents, ce mémorandum était irréaliste dans ses exigences. Cet irréalisme a une fonction : celle de maintenir une pression permanente sur le gouvernement grec et, finalement, le réduire à l’impuissance. Aussi, face à Athènes, les créanciers peuvent toujours présenter une ligne non remplie de « réformes » qu’il faut réaliser avant de toucher les fonds promis. Ceci contraint Athènes à devoir accepter une tutelle permanente qui ne lui laisse aucune marge de manœuvre réelle. Les longues discussions pour la conclusion de la deuxième revue qui ont lieu actuellement succèdent aux mêmes scènes toujours renouvelées depuis 2010. En ceci, Alexis Tsipras n’a rien pu réellement changer. Bien au contraire, il lui a fallu accepter de nouvelles concessions comme les expulsions des résidences principales et même un vrai « troisième mémorandum et demi » au printemps 2016 prévoyant notamment des baisses « automatiques » de dépenses en cas de déviation de l’objectif d’excédent primaire.
Maigres bénéfices
Parallèlement, la capacité de résistance d’Alexis Tsipras aux exigences des créanciers n’a guère été démontrée. Mieux même, les excellents résultats budgétaires de la Grèce (l’excédent primaire - hors service de la dette a été de 2 % du PIB en 2016 contre un objectif de 0,5 %), n’ont guère donné plus de force à la parole du gouvernement grec, comme l’a prouvé l’épisode de la prime aux retraités du mois de décembre. Voulant utiliser une faible partie de l’excédent, Alexis Tsipras avait annoncé une prime aux pensionnés les plus fragiles. Les créanciers ont réagi vivement, suspendant les mesures de réduction des intérêts futurs décidés un peu plus tôt, avant d’accepter cette prime moyennant un engagement futur à renoncer à toute annonce de ce type. Au printemps, la réforme des retraites promue par le gouvernement avait été acceptée par les créanciers moyennant des baisses automatiques de dépenses en 2018 en cas de déviation de l’objectif. Du reste, malgré ses résultats, le gouvernement grec n’a pas obtenu son intégration par la BCE (pourtant remboursée jusqu’ici rubis sur l’ongle par Athènes) dans le programme de rachats de titres de la banque, le QE, qui conduirait à des baisses de taux bienvenues. Bref, la stratégie d’Alexis Tsipras n’a que des succès très ponctuels à présenter.
Croissance fragile et insensible
Le retour à la croissance est lui même très fragile, dépendant largement du contexte de négociations avec les créanciers. De plus, même si le taux de croissance promis par la Commission européenne en 2017 (2,7 %, se réalisait, ceci ne réglerait en rien le problème du gouvernement : cette reprise est non seulement tardive, mais, acquise avec des baisses de salaires et de dépenses sociales, elle ne sera pas en mesure de réduire les inégalités et les maux de la plupart des citoyens grecs. L’OCDE a récemment montré combien ce type de croissance renforçait les inégalités [8]. La forte pression fiscale sur la classe moyenne et les plus faibles, encore renforcée par la dernière hausse de la TVA, va continuer de peser lourd dans l’appréciation d’un niveau de vie en chute libre depuis 2010. Alexis Tsipras ne pourra guère jouer sur la croissance pour retrouver la confiance de son peuple.
L’impossible décision « politique »
La colère d’Alexis Tsipras s’explique donc sans doute par ce sentiment d’avoir été joué, une fois de plus. Alors qu’il a cherché en permanence des négociations avec ses créanciers, il s’est retrouvé en permanence face aux exigences de l’Eurogroupe. En bref, alors qu’il voulait une négociation « politique », Alexis Tsipras a été renvoyé à des discussions « techniques ». C’est exactement ce qui s’est passé lors du premier semestre 2015. Devant le congrès de Syriza, Alexis Tsipras a donc, sans surprise, « demandé à la chancelière » de mettre au pas Wolfgang Schäuble. Demande qui ressemble à s’y méprendre aux appels de juin 2015 lorsqu’il attendait de ses rencontres avec la chancelière une issue au bras de fer avec l’Eurogroupe. En réalité, la chancelière, plus que jamais en délicatesse dans les sondages, n’a pas de raison de faire ce plaisir à Alexis Tsipras contre le très populaire Wolfgang Schäuble. Ce dernier a donc les mains libres. L’Eurogroupe peut donc continuer à faire pression sur la Grèce. Cette semaine doit déterminer de nouveaux « efforts » et de nouvelles « réformes ». Un travail de Sisyphe qui, évidemment, épuise le pays et sa population. Alexis Tsipras est donc enfermé dans une stratégie perdante, condamné à pousser au bout une logique dont l’absence de résultats a fait ses preuves.
Le non-dit du mémorandum de 2015
Or, parallèlement, le dernier acte du débat avec le FMI semble se dessiner. Pendant dix-huit mois, Eurogroupe et FMI ont joué un jeu de faux-semblants, faisant croire que leurs positions pouvaient s’accorder. En réalité, l’accord était impossible et le refus du FMI de rejoindre le plan en 2015 en était la preuve. Le Fonds a dû en 2010 et 2012 tordre le bras de ses propres statuts [9] pour entrer dans la cavalerie financière inventée par Bruxelles, Berlin et Francfort. En 2015, il n’était pas possible de renouveler l’opération : ni les États-Unis ni les émergents n’acceptent plus une telle méthode au profit d’Européens dont les méthodes ont si clairement échoué. Aussi le Fonds a-t-il réclamé un changement de méthode, passant par des coupes massives dans le stock de dettes et certaines réformes ciblées en retour. Un retour à la démarche habituelle du FMI qui a été réaffirmée la semaine dernière par le Fonds.
Le piège se referme
Or, ces exigences sont simplement inadmissibles pour Wolfgang Schäuble qui reste fidèle à la doctrine édictée par Angela Merkel en 2010 : « pas un euro pour la Grèce ». Cette doctrine pouvait supposer des prêts, mais exclut toute coupe dans la dette, ce qui signifierait des dons. Wolfgang Schäuble n’a jamais eu l’intention d’accepter un tel geste. Pas plus aujourd’hui qu’en août 2013, lorsqu’il a accepté le mémorandum sous condition d’une participation future du FMI. Le ministre allemand des Finances savait donc parfaitement ce qu’il faisait : la participation du FMI n’était, en réalité, pas possible. Une fois cette vérité découverte, Wolfgang Schäuble pourra rouvrir la question refermée en 2015 de la participation de la Grèce à la zone euro. Car, si le FMI refuse de participer au programme, ce dernier deviendra caduc pour Berlin, une des conditions de son existence étant tombée. Sans argent du programme, la Grèce n’aura alors que deux options : ou réclamer une nouvelle « aide » au seul MES, sans appel au FMI et donc en excluant définitivement l’option d’une coupe dans la dette publique ou bien une sortie de la zone euro de la Grèce qui ne réglera pas le problème (sauf à faire défaut) puisque la dette publique est sous contrat international et libellée en euros.
L’application du programme Schäuble ?
Wolfgang Schäuble, en juillet 2015, avait proposé la sortie de la Grèce de la zone euro pour « cinq ans ». Cette option avait alors été rejetée par Angela Merkel, mais le ministre fédéral des finances n’a pas dit son dernier mot. Il a placé un ver dans le mémorandum qui a fini par le ronger et qui, inévitablement, va venir reposer la question. Wolfgang Schäuble avance dans son projet propre d’organisation européenne conforme à son fameux projet de 1994, signé avec Karl Lamers : celle d’un « noyau dur » de la zone euro. Et dans les deux cas cités plus haut, cette option va se rapprocher : il s’agira de corriger la zone euro actuelle, soit par une exclusion des « mauvais élèves », soit par une correction encore plus sévère avec plus de réformes et plus de conditions d’excédents primaires après 2018. Dans les deux cas, il s’agit aussi de présenter de nouvelles règles non-écrites aux autres pays de la zone euro pour l’avenir : s’ajuster unilatéralement ou sortir. Au-delà de la Grèce, c’est donc l’avenir de la zone euro qui se joue en Grèce : si les plans de Wolfgang Schäuble s’appliquent, c’en sera fini des rêves de zone euro plus équilibrée et plus solidaire.
Duel avec Angela Merkel
Quand cette épreuve de vérité aura-t-elle lieu ? On pourrait penser qu’Angela Merkel n’a guère intérêt à voir la crise grecque s’enflammer à nouveau. Mais si la CDU est en réelle difficulté, elle pourrait tenter de montrer sa fermeté face aux « Grecs indolents » et, ainsi, rassembler autour de la popularité de Wolfgang Schäuble pour ramener vers elle une partie de l’électorat conservateur. Dans ces conditions, le débat entre la chancelière et son ministre des Finances sera déterminant. En 2015, Angela Merkel avait utilisé Wolfgang Schäuble comme « père fouettard » utile pour faire monter les enchères. Cette fois, saura-t-elle maîtriser la situation, souhaitera-t-elle faire contrepoids à son très populaire ministre ? L’avenir le dira. En attendant, le FMI est conscient de la situation et reste prudent pour ne pas déclencher la crise. Mais cette prudence ne saurait durer éternellement : le programme se termine dans moins de deux ans. En tout cas, toutes les conditions d’une nouvelle déflagration sont réunies et cette dernière semble inévitable.
Quant à Alexis Tsipras, il ne peut rien faire contre cette logique infernale dont il est à la fois spectateur et victime. Il voit le piège se refermer lentement, à mesure que le FMI s’éloigne du programme. Il tente donc de se raccrocher à une fantomatique stratégie « politique », mais il sait que son sort et celui du peuple grec ne dépendent que du bon vouloir de l’Eurogroupe, c’est-à-dire de Wolfgang Schäuble.
Romaric Godin
* La Tribune. 13/02/2017, 17:26 :
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-le-piege-de-wolfgang-schauble-se-referme-638180.html
Notes
[1] https://www.paulblustein.com
[3] http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-la-responsabilite-du-fmi-mise-a-jour-mais-tout-continue-comme-avant-589667.html
Extrait : « Après avoir reconnu qu’elle avait sous-estimé les « multiplicateurs budgétaires », autrement dit l’impact de la consolidation budgétaire sur la croissance, pour la Grèce, l’institution de Washington avait récemment, dans un article de recherche reconnu les effets négatifs des politiques d’austérité imposées à Athènes. Ce jeudi 28 juillet 2016, un nouveau rapport est venu critiquer le rôle pris par le FMI dans sa gestion de la crise grecque. Et il est sévère. Le Bureau d’évaluation indépendant du FMI (IEO) a publié un long rapport sur le « FMI et les crises en Grèce, au Portugal et en Irlande » qui dresse un constat : le FMI a agi sous la pression des intérêts de certains pays de la zone euro, contre ses propres intérêts et a cherché pour cela à court-circuiter le conseil d’administration. Cette procédure a clairement conduit à des erreurs d’appréciations majeures de la situation, notamment en Grèce.
Dans son rapport, l’IEO confirme notamment ce que, entre autres, la Commission de Vérité sur la dette grecque, établie au printemps 2015 par le parlement hellénique, avait pointé du doigt : pour faire passer le soutien financier à la Grèce du FMI malgré le caractère insoutenable de la dette grecque, la direction de l’institution a fait adopter discrètement une modification des critères d’accès à l’aide du FMI. « Le conseil d’administration n’a pas été consulté sur cette question. En fait, les directeurs ne furent pas même informés des doutes des équipes sur la soutenabilité de la dette grecque », estime l’IEO. Et de poursuivre : « ni la direction du FMI, ni les équipes n’ont cherché à porter l’attention du Conseil sur la décision proposée de modifier les critères ou sur le fait qu’un critère d’accès exceptionnel serait modifié en approuvant le programme grec ». En clair : il y a eu clairement une volonté de tromper le Conseil, en incluant cette modification cruciale, qui plaçait le FMI dans la position de s’exposer à un pays insolvable. L’IEO renforce cette idée en précisant que le Conseil a été pressé par le temps, et n’a pas eu la possibilité de regarder le programme en détail. » (Article de Romaric Godin, in La Tribune, en date du 29 juillet 2016)