« Nous ne pouvons plus attendre ». Qu’est-ce que cela implique ? Est-ce que cela veut dire rompre avec le Parti démocrate et mettre sur pied un nouveau parti politique, celui des Afro-Américains-es, un nouveau Freedom Now Party( Parti politique fondé en 1963 dont les membres étaient surtout noirs-es. Il a cessé d’exister 2 ans plus tard. N.d.t.) ? Est-ce que cela veut dire que tous et toutes doivent s’impliquer pour tenter de rallier et même convaincre toute la gauche du parti capitaliste qui supporte le libre marché ? Est-ce que ça veut dire procéder à des actions de masse pour rendre le pays ingouvernable tant que l’égalité n’est pas devenue réalité ?
Jusqu’ici, pas de réponse.
Pour commencer, les Afro-Américains-es doivent rejeter la plateforme actuelle des élites du Parti démocrate centrée sur le « démon » russe et le Président V. Poutine. À les en croire, le premier enjeu auquel font face les Afro-Américian-es et toute la population, ce sont les manipulations alléguées des Russes dans les élections présidentielles de 2016. Pendant qu’il dit que ces élections étaient légitimes, le seul but du Parti est d’affaiblir D. Trump et sa victoire électorale.
Pour les Afro-Américains-es, cette campagne contre la Russie comme contre la Corée du nord et l’Iran, n’est que diversion face à d’autres enjeux bien plus centraux, dont le droit de vote. Pendant des années, l’extrême droite du Parti républicain a lutté pour l’introduction de lois visant la suppression du droit de vote. Depuis l’élection du Président Trump, son équipe de multimillionnaires a déployé ses efforts pour retirer le droit de vote aux Noirs-es et à d’autres citoyens-nes.
Pendant que les libéraux s’accrochent à la Russie, D. Trump procède à de grands changements dans les agences fédérales pour affaiblir le système de soins, l’éducation publique, les règlements en environnement, les libertés civiles et les droits fondamentaux. Le Département de la justice cherche à revenir sur les changements mineurs introduits antérieurement en matière de politiques sur les stupéfiants et a donné le feu vert aux services de police pour s’assurer qu’ (ils agissent de telle sorte) que Black Lives ne maugrée plus jamais. Donc, les élites libérales visent la Russie alors que les droits fondamentaux des Afro-Américains-es sont supprimés. Les médias spécifiques à la population noire discutent aussi de la Russie ; plusieurs de leurs propriétaires sont membre de l’establishment du Parti démocrate. Mais leurs auditoires et lectorats sont plus intéressés par d’autres enjeux. La plupart veut savoir comment faire cesser le racisme, la violence policière et le recul des soins de santé, particulièrement via Medicaid et demandent : « Où sont donc les nouveaux emplois bien payés » ?
Le texte extrait de la plateforme du Movement for Black Lives qui a été cité au début, vise plus juste que ne le faisaient (ses interventions) durant les mandats du premier Président noir. L’optimisme pour des changements futurs exige une lutte de masse.
3 grandes tendances
Depuis sa seconde révolution, la Guerre civile, moment où le statut d’être humains a été accordé aux esclaves, l’histoire américaine a été une histoire marquée par 2 pas en avant et 4 pas en arrière. Encore une fois nous entrons dans une période de reculs où le Président Trump snobe les organisations des droits civils comme la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) Il a refusé de s’adresser à ses membres lors de sa convention nationale de 2017.
Dans ces circonstances, une discussion sur les tactiques et les stratégies que doivent adopter les militants-es noirs-es est cruciale. Les militants-es noirs-es, les dirigeants-es des autres mouvements sociaux et leurs sympathisants-es de gauche, ont eut et ont encore 3 visions stratégiques en cette époque dominée par D. Trump et l’idéologie « les blancs d’abord ».
Il y a l’approche libérale électorale qui veut transformer le Parti démocrate et son establishment. Le but est de présenter des candidatures aux élections et de miser sur la protestation contre D. Trump pour avancer avec cette stratégie. Le moyen est d’avoir plus de candidats-es blancs-hes de l’aile conservatrice du Parti.
Les femmes noires constituent le groupe social le plus important parmi les supporters des Démocrates. 90% d’entre elles ont voté pour H. Clinton. Elles se plaignent que les élites du Parti refusent de leur accorder plus de place. Les élus-es noirs-es détenant des postes officiels sont maintenant plus nombreux-euses au sein de la base des dirigeants-es que les ( représentants-es) des organisations traditionnelles. Ces personnes critiquent ceux et celles qui se centrent sur la protestation contre le gouvernement et les politiques entrepreneuriales plutôt que de se consacrer à la construction du Parti démocrate. C’est un sujet courant chez les commentateurs-trices des médias noirs, sur MSNBC et dans les tribunes radiophoniques.
La présence de centaines d’élus-es noirs-es détenteurs-trices de postes officiels a peu fait pour apaiser les difficultés de la classe ouvrière noire depuis la fin de la ségrégation il y a 50 ans. Pourtant, c’est elle qui a permis l’arrivée d’une nouvelle classe moyenne, plus aisée qui a pu quitter les quartiers pauvres des villes.
Il faut constater que la stratégie d’augmenter le nombre d’élus-es noirs-es et leur donner des postes officiels, n’a pas marché. Il n’y a pas de mur pare-feu devant la montée des suprématistes blancs dans le Parti républicain. Des villes comme Détroit sont plus pauvres aujourd’hui qu’il y a 50 ans.
En deuxième lieu une stratégie plus radicale compte sur les manifestations de rues et les protestations exigeant du changement. Le but de cette approche est de gagner des réformes en organisant la résistance populaire contre le Parti républicain, le Président Trump et l’extrême droite. Elle s’inspire des tactiques de désobéissance civile de M. L. King Jr et de son époque.
Cela signifie habituellement, accepter le Parti démocrate comme structure de changement. Résultat : des progressistes de gauche se présentent sous l’étiquette démocrate et deviennent bien plus modérés-es une fois élus-es. Durant les campagnes électorales, les tactiques de désobéissance civiles sont subordonnées aux actions de masses et souvent opposées les unes aux autres. Prenons pour exemple la situation de Ben Jealus, un ancien dirigeant national de la NAACP et fier supporter de B. Sanders, Sénateur du Vermont auto proclamé socialiste. M. Jealous fait campagne pour le poste de gouverneur du Maryland. Sera-t-il capable d’organiser des actions publiques comme il l’a fait à titre de militant ? Vraisemblablement pas.
Par contre, le Rev. William Barber, ancien dirigeant de la NAACP au niveau de l’État a décidé de ne pas se présenter. Il continue son mouvement de protestation de masse, (« Moral Mondays ») contre le racisme et les politiques du Parti républicain de son État contre les pauvres.
La troisième stratégie rejette l’électoralisme et le système à deux Partis. Elle a beaucoup moins de supporters et les libéraux l’attaquent durement. La plupart de ses militants-es sont ouvertement socialistes et contre le capitalisme. Leur implication est présente dans les mouvements sociaux mais avec une perspective anticapitaliste à long terme.
Dans son livre, No Is Not Enough, la sociologue canadienne et militante Naomi Klein, explique que pour lutter contre D. Trump, la gauche doit mettre de l’avant une vision anticapitaliste dans les mouvements sociaux et développer un mouvement politique alternatif. Elle a raison de dire que la résistance de masse ne suffit pas. Pourtant, la plupart des dirigeants-es des mouvements sociaux n’appelle pas à la construction d’un nouveau parti révolutionnaire de masse. Mais bien des dirigeants-es de ces mouvements l’ont quand même à cœur.
« Nous ne pouvons plus attendre »
Contrairement à ce qui se passait au cours de périodes antérieures, particulièrement après les victoires des droits civils au cours des années 60, il n’y a pas en ce moment d’efforts sérieux pour appeler à développer des partis politiques indépendants pour les Noirs-es ou les travailleurs-euses.
Durant les années 1960, Malcolm X représentait la voix la plus audible en faveur du nationalisme noir et un peu plus tard pour l’internationalisme. Il dénonçait le système des deux partis et le système capitaliste. Les groupes comme le Black Panters Party et d’autres à gauche, rejetaient l’idée de travailler à l’intérieur du système. Aujourd’hui on n’en parle plus. Pourtant, les Noirs-es et d’autres, dont les organisations ouvrières, ont besoin d’un parti indépendant reposant sur une base de classe, un nouveau parti politique qui remette clairement en cause le libre marché, qui lutte pour un gouvernement fort et des actions d’État pour que les droits humains prédominent sur les profits.
Beaucoup d’Afro-Américains-es et des militants-es dirigeant le mouvement de Black Lives mettent au défi l’establishment du Parti démocrate de leur donner un plus grand rôle à l’intérieur du Parti. Avec le renforcement des forces suprématistes blanches dans l’administration Trump, il est fort probable que ces militants-es rompent avec les Démocrates comme il est arrivé à l’époque suivant la révolution des droits civils au cours des années 1960-70.
L’existence du Mouvement Blacks Lives signifie que les groupes de lutte pour les droits humains, pour les droits civils avec leur stratégie légale et électorale, à elles seules ne font rien pour la classe ouvrière et les pauvres noirs-es. Le pouvoir d’appel de la plateforme du mouvement et sa déclaration « Nous ne pouvons plus attendre », réside dans sa proposition d’avancer sans conditions préalables. Elle met de l’avant la résistance de masse, les alliances multi ethniques et la recherche d’une réalité autre que le statut quo.
L’aile militante des mouvements populaires devraient inclure la perspective socialiste dans la formation des recrues qui s’engagent pour la première fois. Pour développer un mouvement révolutionnaire, il faut impérativement avoir de nouvelles directions qui soutiennent une perspective socialiste. Parce que les communautés Afro-Américains-es sont les plus discriminées, elles ont tendance à être plus sensibles à l’anti capitalisme et à la vision socialiste. Au cours des primaires de 2016, les Noirs-es étaient sympathiques au plan économique de B. Sanders, mais pensaient que Mme Clinton allait être élue. Les libéraux noirs-es ont rejeté B. Sanders malgré sa longue histoire d’appui à la défense des droits civils.
Dans une conférence sur la Palestine quant à sa place centrale dans la politique du Proche-Orient et du monde, (exposition palestinienne à Londres, le 8 juillet 2017), le journaliste australien John Pilger a émis une observation qui est intéressante pour notre discussion : « Au cours de la majeure partie du 21ième siècle, les pouvoirs corporatifs, prétendant être démocrates, se sont ont reposé sur la tactique de la distraction, (…) conçue pour nous désorienter, nous empêcher de voir les autres, les autres qui agissent, (de discerner) la justice sociale et (de nous intéresser à) l’internationalisme ».
En cette époque Trump, avec les échecs des libéraux dans direction à donner à la lutte, le leadership et le support des socialistes dans les grands mouvements sociaux et syndicaux est plus urgent que jamais. De même qu’est l’appui aux réalignements politiques. Et c’est possible.
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