12 septembre 2022 | tiré d’Europe solidaire sans frontières
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L’Ukraine aujourd’hui, la Syrie hier : dans leur majorité, les gauches restent inactives face à l’impérialisme russe qui, après être venu au secours d’une des pires dictatures du monde arabe, a envahi un pays européen dans le but d’annexer son territoire et d’asservir son peuple. Depuis bientôt sept mois que dure la guerre d’agression russe, elles se distinguent par leur abstention et leur précaution, sans faire vivre la solidarité internationale par une mobilisation populaire ni donner la parole aux peuples concernés par l’accueil de résistants ukrainiens ou d’opposants russes.
L’Épreuve et La Contre-épreuve, qui paraît mercredi 14 septembre chez Stock, interpelle cette désertion d’un champ d’action qui, pourtant, fut aux origines du mouvement ouvrier : l’internationalisme. Si L’Internationale fut historiquement le chant de référence des luttes portées par les forces de gauche, partis et syndicats, c’est parce qu’elle exprime la conviction que l’émancipation sociale et démocratique passe par la fraternité des peuples contre les dominations politiques et les oppressions économiques. Dès qu’elle abandonne cette exigence, la gauche cède du terrain aux forces qu’elle prétend combattre, épousant des logiques étatiques de puissance et idéologiques d’identité.
C’est au nom de cet idéal que furent menés des combats fondateurs contre les impérialismes guerriers et contre les puissances colonisatrices, que fut défendu le droit des peuples à s’autodéterminer et à se révolter, que furent organisées les solidarités internationales sans frontières pour venir à leur secours. C’est aussi cet idéal qui fonda, dans les combats antifascistes, le rejet des idéologies nationalistes et identitaires, terreau fertile de la xénophobie et du racisme sur lequel prennent inévitablement racine des politiques criminelles de négation, voire d’extermination, de l’Autre, du différent, du dissemblable, du dissident, de l’étrange et de l’étranger.
« L’indifférence est le poids mort de l’histoire », écrivait Antonio Gramsci, alors jeune socialiste, au début du siècle dernier. D’où vient ce poison d’indifférence aux sursauts du monde et au sort des peuples qui tétanise aujourd’hui la plupart des gauches françaises ? Plaidoyer pour son antidote, l’internationalisme, L’Épreuve et La Contre-épreuve remonte aux sources, anciennes et récentes, de ce renoncement, du national-communisme stalinien au national-républicanisme chevènementiste. Dans les deux cas, la gauche, en ses versions radicales ou réformistes, a déserté la solidarité spontanée avec les peuples, leurs soulèvements, leurs luttes et leurs espoirs, au profit d’un repli sur un quant-à-soi national où la politique internationale est réduite au jeu des puissances et des intérêts.
Réquisitoire contre l’alignement sous toutes ses formes, cet essai plaide pour des solidarités internationalistes qui ne soient l’otage d’aucun camp. Être solidaire sans conditions ni réserves de la résistance du peuple ukrainien à l’invasion russe n’empêche pas de combattre les désastres dont sont responsables les puissances qui soutiennent militairement l’Ukraine, les États-Unis au premier chef. Mais jamais ces désastres ne sauraient justifier que l’on abandonne aujourd’hui le peuple ukrainien au joug de la Russie poutinienne comme l’on a abandonné le peuple syrien sous la botte de la dictature des Assad.
L’internationalisme est l’apprentissage d’une politique sensible qui, loin des idéologies froides et des raisons étatiques, fait vivre en pratique le précepte de Terence, dont Marx, cofondateur de la Première Internationale, disait que c’était sa maxime préférée : « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger » [Homo sum ; humani nihil a me alienum puto]. Oui rien. Ni le peuple palestinien auquel Israël dénie toujours le droit à vivre souverainement. Ni le peuple ouïghour victime de crimes contre l’humanité commis par la Chine. Ni le peuple ukrainien… Etc. Il s’agit en somme de tenir tous les bouts.
Ce fut l’enseignement de ce moment dreyfusiste du communisme que fut l’Opposition de gauche au stalinisme, autour de Léon Trotsky et de son Odyssée alors qu’il était minuit dans le siècle précédent, face au fascisme et au nazisme dont l’avènement fut précipité par le stalinisme, son aveuglement et ses crimes. Passant outre ses caricatures et ses sectarismes L’Épreuve et La Contre-épreuve veut en réhabiliter l’héritage à l’attention des nouvelles générations, en rappelant combien ce combat à contre-courant a sauvé des principes dans le désastre, porteurs à la fois de radicalité démocratique et de solidarité internationaliste.
Il serait temps que les gauches françaises refusent clairement cette politique hémiplégique ou borgne qui, justifiant de ne pas agir au prétexte d’un « deux poids, deux mesures », abandonne les solidarités élémentaires où s’inventent et se construisent les alternatives aux désordres impérialistes du monde. C’est l’alarme que documente L’Épreuve et La Contre-épreuve en tirant un fil qui va de la guerre ukrainienne aux guerres yougoslaves des années 1990 : plus le camp de l’émancipation déserte l’internationalisme, plus il laisse la voie libre à son ennemi de toujours, le camp de l’inégalité et de l’identité, sous l’alibi du national et de l’impérial.
Car il n’y aura pas de combat vainqueur contre l’extrême droite ici sans victoire là-bas contre la puissance qui porte l’étendard de ces néofascismes, la Russie de Vladimir Poutine. Il n’y aura pas de libération du peuple russe de l’oppression qu’il subit sans défaite de l’impérialisme poutinien. Il n’y aura pas d’avènement d’un monde meilleur, délivré des haines et des guerres, sans expérience humaine, concrète et pratique, des solidarités élémentaires avec les hommes, les femmes et les enfants qui en sont, aujourd’hui, les victimes.
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