Édition du 17 décembre 2024

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Justin Lhérisson, un lodyancer immortel, une raison incontournable et indubitable de prouver que la littérature est l’expression de la société

« La littérature est la chose la plus humaine qui soit », écrit Jean Paul Sartres, dans « qu’est-ce que la littérature ? ». Dans nos vécus quotidiennes, une telle déclaration serait en mesure de nous pousser à comprendre qu’en dépit de tout, la littérature demeure l’un des meilleurs outils pouvant nous permettre de mettre l’humanité à nu, autrement dit, la décrire de fond en comble.

En dégustant le roman de Justin Lhérisson intitulé « La famille des Pitite-caille », publié en 1905. Un texte dont le personnage central est Eliezer Pitite-Caille, fils de Damvala Pitite-Caille, un ancien esclave enjôlé de ses maitres. A travers la narration, On côtoie des gens de métiers aux mœurs répréhensibles, des hommes politiques malicieux, débrouillards et prétentieux faisant cause commune avec l’autorité militaire, question de diriger le pays comme bon leur semble, des représentants des sectes religieux avec les frères de la Grande Loge maçonnique où Eliezer monte en grade, grâce à ses moyens financiers, les pratiques vodouesques mettant en relief les croyances de tout haïtien en difficultés morales ou matérielles, les préjugés sociaux sans fondement, entretenus par les personnages de l’auteur... « La famille des Pitite-Caille » , un chef-d’œuvre que certains considèrent tout simplement comme une lodyans, à la vielle manière haïtienne, c’est-à-dire un narré en liberté, comme l’aurait dit Jacques Stephen Alexis. Une histoire cousue d’humour dont l’essence est d’offrir au lecteur de l’amusement, de la méditation et de la consolation. Et que nous, par contre, le voyons comme un écrit apocalyptique où l’auteur se fait devin en invitant sa plume magique à prédire le futur. Il nous est venu la réminiscence de la situation infernale que vivent les haïtiens chaque jour passant. Un peuple abandonné, des Président prometteurs et arrogants passant sans quitter la moindre minuscule trace de bienfaisance, des parlementaires insouciants, des jeunes qui ne pensent qu’à fuir le pays puisqu’on ne les intègre pas dans la société, tout en ayant en tête qu’ailleurs sera mieux. Haïti, serait-ce le contraire des pays où les choses ne vont pas pour le pire ?

Point de gêne d’avouer qu’on n’est pas un fin connaisseur des belles-lettres haïtiennes. D’ailleurs, on a appris très tard à savourer les œuvres littéraires des écrivains haïtiens, pourtant on sait pertinemment que chaque lecture est une belle découverte, un pas vers un nouveau monde. On a lu « Zoune chez sa Nainaine », qui reste à nos yeux un chef-d’œuvre au même rang que << Gouverneurs de la rosée>> de Jacques Roumain. Mais, ce roman de Lhérisson est une merveille. Il accuse une dimension hautement humaniste. <> est de cette même tonalité ; il est réaliste et haut en couleurs, mais à la différence de << Zoune chez sa Nainaine>>, les personnages sont moins nombreux et portent des noms qui les décrivent tels qu’ils sont. Malgré les interférences et l’alternance codique retrouvées presque dans tout le texte, on sent que l’auteur manie bien la langue. Certes, comprendre Lhérisson exige une forte dose de culture haïtienne, mais l’aventure osée en vaut vraiment la peine car ses écrits constituent un véritable délice, tant qu’il prend du plaisir à nous narrer les martyrs et les coups du sort qui jalonnent le parcours de ses personnages, que ceux-ci soient amusants ou dramatiques. Dans ce roman, il n’hésite pas à narrer dans tous leurs aspects les multiples douleurs indescriptibles de la société haïtienne.
Plus d’un le savent, « La Famille des Pitite-caille » fait partie de ces romans dont l’incipit se glisse jusque dans le titre. Le texte, sans doute le plus populaire et le plus accessible de Justin Lhérisson, un excellent ticket d’entrée dans la littérature haïtienne dont la richesse plairait même à ceux les plus coriaces. Un roman sur la condition de l’homme, un œil sans pitié sur les vicissitudes de la vie. C’est surtout un texte satirique qui nous peint la réalité politico-sociale et dans lequel il nous est permis de trouver en filigrane des programmes d’envergures diverses. Une peinture réaliste de notre société par laquelle l’auteur chante la comédie de la vie, la bêtise des hommes, le sérieux à l’état embryonnaire. Bien plus évident que l’évidence même, la situation actuelle d’Haïti fut déjà décrite par Justin Lhérisson, non seulement à travers les lignes de « La Famille des Petite-caille » mais aussi dans « Zoune chez sa chez sa ninnaine (1906) ». Certes, l’histoire se situe à une époque spécifique, mais si l’on regarde de près, l’on verra automatiquement qu’elle traverse toutes les périodes précédentes à nos jours, et-peut-être celles de demain, qui sait ?
La Famille des Pitite-Caille évoque comiquement les pleurs, dénonce le bovarysme de certains et le statut ridicule de nos dirigeants. Franklin Benjamin n’a certainement pas pensé à Haïti lorsqu’il a fait cette déclaration : « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ». Car cette déclaration y serait à peine applicable, s’agissant de la politique haïtienne. Au vu et au su de tous, depuis un certain temps, le pouvoir et la popularité ne se résument qu’à l’argent. Rappelons qu’Eliezer voulant vivement devenir Député n’a reculé face à aucun aux difficultés se rapportant notamment à l’argent. Il a tout misé pour réussir, malheureusement les autorités politiques ont décidé autrement. On l’a de préférence jeté en prison et remis en liberté sans être jugé quelques jours après le dépouillement des urnes (on était en période électorale). Libéré, il a oublié d’aller remercier ses bourreaux, malgré les conseils de Boutenègre (ce fut la règle). Et repris sur une fausse dénonciation, on l’a rejeté en prison, et quelques temps plus tard, des suites des mauvais traitements en prison, il mourra d’une crise d’apoplexie, sous les yeux calculateurs de médecins charlatans. En Haïti, on en a plein !!!
Les récits s’hybrident entre les personnages principaux et de nombreux personnages secondaires inouïs, comme autant de bribes de vie réunissant et composent la vie toute entière. Les multiples détails réalistes, folkloriques et comiques qui ensemencent le texte accouchent une atmosphère rayonnante et exotique très plaisante. Le style de l’auteur charme. Certains arrivent même à affirmer qu’il est l’initiateur du genre littéraire appelé « Lodyans ». Lhérisson aborde ses personnages dans leur rectitude, sans complaisance, sans concession, mais avec un peu de cruauté et d’humour où la grandeur et la beauté côtoient l’abaissement et la faiblesse, où il n’y pas qu’un héros, mais des personnages pas tout à fait comme les autres, soumis cependant aux maux ordinaires qui rejoignent celles de tout le monde. Il les regarde profondément sans les juger, avec un luxe de détails qui les rendent particulièrement humains et pourtant parfois pas forcément sympathiques… L’auteur nous conduit minutieusement dans les dédales de la capitale d’Haïti, un lieu où la politicaillerie germe. De sa plume, il nous retrace aussi le temps qui s’écoule tristement, l’affrontement entre et le peuple et les dirigeants, la déchéance de ceux qui ne savent pas gérer, le regret dans le regard des rengorgés. Une façon extraordinaire d’aborder le sentiment de l’indignation dans sa totalité, dans toute sa rigueur, sa perfection mais aussi sa force et sa beauté ! Un roman imprégné de poésie, d’espoir, d’histoires où l’on retrouve les senteurs, les couleurs haïtiennes dans une langue bien travaillée.

Un roman qui joue avec le rire et des personnages curieux mais très originaux, pour nous raconter les différentes facettes de la situation politique et socio-économique d’Haïti. Une très belle histoire qu’on lit sourire aux lèvres, malgré les drames effleurés. Un roman qui nous donne à comprendre qu’à la Perle des Antilles, la médiocrité règne depuis toujours. Une écriture chatoyante et vivante pour un grand moment de lecture.

Marvens JEANTY, Etudiant en Linguistique

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