Introduction
Le 5 septembre, l’administration Trump a annoncé qu’il révoquerait le programme Deferred Action for Childhood Arrivals (DACA) qui accorde aux jeunes immigrants-es sans papiers entrés-es au pays durant leur enfance, une protection contre les expulsions. (…) Si le Congrès ne fait rien, cette décision signifie que 800,000 jeunes qui ont grandi aux États-Unis pourront être expulsés-es. Même selon les normes brutales de l’histoire de l’application de la loi sur l’immigration dans notre pays, la décision actuelle est spectaculairement cruelle.
Daniel Denvir de Jacobin et son magazine en baladodiffusion, Dig ont discuté avec César Cuauhtémoc García Hernnández, professeur de droit à l’Université de Denver, pour savoir ce qu’est exactement DACA pour lequel il est si important de lutter du maintient.
D.D. : Donc, la révocation du DACA que vient d’annoncer le Président Trump, n’est pas vraiment surprenante mais quand même elle est incroyablement cruelle.
C.C.G.H. : Personne n’a été surpris. Depuis une ou deux semaines nous surveillions ce que le Président et ses principaux conseillers pourraient nous dire depuis la Maison blanche. Ça ne veut pas dire que les retombées soient moins désastreuses pour tous les jeunes qui ont investit temps, énergies, des années, et de l’argent pour poursuivre des études, s’installer dans la vie, devenir professionnels-les et rejoindre la force de travail.
Ça leur a pris des années pour nous démontrer qu’ils et elles pouvaient se saisir des chances que leur offrait DACA. Il ne faut absolument pas sous estimer le choc (de cette décision) même s’il n’était surprenant que le Président la prenne.
D.D. : Qu’elle sera la suite selon vous ? Le Président à transféré le problème au Congrès. Il a aussi dit qu’il pourrait revoir sa décision si le Congrès n’arrive à rien. Que pensez-vous de ce commentaire ? Pensez-vous que le Congrès pourra arriver à une décision ? Ce n’est pas ce qu’il a fait depuis un bon moment.
C.C.G.H. : Je pense qu’il faut demeurer circonspect face aux commentaires de D. Trump qu’ils nous viennent de vive voix ou par Tweett. Il a clairement fait preuve de manque d’intérêt envers des enjeux en tournant en rond entre le point A et le point B. Il n’est jamais gêné de changer complètement de position. C’est typique du vide idéologique qui l’habite et d’une absence de compréhension des impacts de ses décisions et de celles de son administration.
Aujourd’hui, il a envoyé un TWEET où il dit que ceux et celles qui sont protégés-es par DACA n’ont rien à craindre. C’est un commentaire ridicule. Ces personnes ont beaucoup à craindre. Leur vie est en jeu. (…) Cela veut dire qu’au mieux il n’a aucune idée des impacts de cette décision de son administration. Est-ce que le Congrès va agir ? Qui peut le dire. Le Congrès s’est montré inconsistant, incapable de faire ce qu’il a à faire.
Je ne pense pas que dans cette histoire du Dream Act (autre façon de nommer DACA n.d.t.) nous ayons des preuves qui nous permettent d’espérer. Je pense qu’il s’agit d’une chance pour les avocats-es et les militants-es de faire pression sur le Congrès pour qu’il prenne la décision morale et économique la plus sure et légalise (la situation) de ces jeunes gens sans exclure personne. DACA est un programme remarquablement étroit ; il exclut toutes sortes de gens qui ne sont pourtant que de simples êtres humains. J’espère que le Congrès verra les choses de manière plus large et qu’au moins les militants-es le pousseront à le faire.
D.D. : Je veux que nous parlions de l’Attorney général, Jeff Session et de son annonce. Il a fait des déclarations enflammées durant son discours sur la révocation de DACA. Il a admis qu’effectivement le programme donnait un statut légal quoique inconstitutionnel à des immigrants-es, qu’il était une usurpation de ce qui aurait dû légalement se passer. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
C.C.G.H. : DACA n’a jamais donné de statut légal à qui que ce soit. Il a fourni une promesse de sursis face à l’application de la loi sur l’immigration. C’est cette promesse que nous connaissons sous le terme de : « action reportée ». (…). C’est une pratique appliquée depuis longtemps dans la loi sur l’immigration ; elle existait bien avant l’administration Obama. Ce n’est qu’une forme du pouvoir discrétionnaire (des autorités judiciaires). En matière d’application des lois, le pouvoir discrétionnaire a toujours existé, c’est très répandu dans l’application des lois criminelles. D’une certaine façon, les procureurs ont le pouvoir décider quels crimes seront soumis à enquête. Parfois c’est pour de bonnes raisons et parfois pour de mauvaises.
Nous savons qu’à Denver, il y a beaucoup de gens qui contreviennent aux lois fédérales en matière d’usage de drogue. Personne ne sera poursuivi à cause des contre parties impliquées. Je peux affirmer cela en ce moment, à cause de ma position à l’Université de Denver. Il peut y avoir de bonnes raisons pour ne pas poursuivre (quelqu’un-e impliqué-e) dans certaines activités criminelles. Parfois ça prend l’allure de : « Je connais son père et c’est un de mes partenaires de golf ».
Il est assez clair que les cours laissent la décision de poursuivre ou non aux procureurs et contre quelle offense il y aura poursuite. DACA n’est rien de plus qu’une forme de pouvoir discrétionnaire. Ça n’a pas commencé avec le Président Obama ou avec DACA et son retrait n’y mettra pas fin non plus.
D.D. : J. Session a aussi dit que DACA a créé une sorte de danger moral en incitant un grand nombre de ressortissants-es d’Amérique centrale à venir (s’installer) au pays ces dernières années. Est-ce la raison pour laquelle ces centaines de milliers de personnes sont venu aux États-Unis ?
C.C.G.H. : Il n’y a absolument aucune donnée empirique qui aille dans ce sens. En réalité, au cours des dernières années, l’Amérique centrale a été ravagée par la violence et le gouffre économique. La violence, perpétuée par les gangs appelés « maras » en Espagnol. Il y a eut de jeunes immigrants-es qui, arrivés-es ici durant leur enfance, ont grandit dans nos zones urbaines et ont été poussés-es dans une existence marginale. Au lieu de s’intéresser aux racines de la pauvreté, de la marginalisation et du piètre état du système d’éducation public, le Congrès, quelle que soit l’administration, a décidé de s’en sortir en exportant notre manière de résoudre ce problème. Il a ainsi fomenté le « problème des gangs » qui a déstabilisé beaucoup de nations centre américaines au point ou des enfants et des familles sont venus-es chercher les moyens minimaux pour vivre, ici aux États-Unis.
Ce sont donc ces interventions, pas la promesse de reporter l’application des lois sur l’immigration, qui ont déterminé tant de gens à venir s’établir aux États-Unis.
D.D. : Ms Trump et Sessions font de la démagogie à propos de la mara Salvatruchas. Mais en fait, il est important de savoir que cette gang est née à Los Angeles par de jeunes gens que sont enfuis d’Amérique centrale et ses guerres sales, encouragés par l’administration Reagan. Nous avons donc une responsabilité dans la récente vague de demande de refuge venant de cette région sous bien des aspects qui n’ont rien à voir avec DACA.
C.C.G.H. : Exact. Nous nous porterions bien mieux si les législateurs-trices voulaient bien apprendre des pratique américaines antérieures.
D.D. : M. Session a aussi dit que DACA faisait que les personnes ainsi protégées volaient du travail aux autres Américains-es.
C.C.G.H. : Je ne sais pas qui a inventé l’image de la tarte économique. En tous cas, selon moi cela à fait un tort énorme. C’est l’image de l’économie en morceaux. Je vous en donne quelques uns et d’autres me reviennent. Ou encore, plus vous avez de travail moins j’en ai. Ce n’est pas comme cela que l’économie fonctionne. Elle s’étend et se contracte. Nous avons expérimenté les effets désastreux des contractions et les améliorations lors des expansions. Ce n’est pas différent aujourd’hui. Les bénéficiaires du DACA ne sont pas si extraordinaires et puissants-es pour être capables de modifier les règles du capitalisme par eux-mêmes.
D.D. : (D’ailleurs), c’est un propos étonnant, si vous êtes conscient-e (que cette administration) est attachée à redistribuer la richesse vers le haut, vers les multimilliardaires.
C.C.G.H. : C’est une indication qu’elle ne comprend pas le fonctionnement de l’économie ou alors, c’est un mensonge très volontaire. Je pense que c’est plutôt cela. Après tout, parmi d’autres éléments, leur programme comporte la diabolisation des immigrants-es.
D.D. : Il semble aussi que M. Session fasse fausse route à propos de l’histoire du DAPA (Deferred Action for Parents of Americains). À l’entendre, les jugements qui ont édicté une injonction contre ce programme créeraient un précédent. Je ne crois pas que ce soit exact. Qu’en pensez-vous et pouvez-vous expliquer ce qu’est ou était DAPA ?
C.C.G.H. : Ce programme accorde aux parents d’enfants américains-es ayant le statut légal de résidents permanents, une protection temporaire contre l’expulsion. De nombreux États dirigés par les Républicains-es, le Texas en tête, l’ont contesté devant les tribunaux. Il a été confirmé par un juge d’une cour de district dans le sud du Texas, le juge Andrew Hanen et réaffirmé par la cour d’appel du 5ième circuit. La Cour suprême a émis un jugement à égalité 4 vs 4 ce qui a maintenu le jugement de la cour inférieure. (…) Mais dire que ça n’a aucun effet sur DACA est inexact à sa face même. L’Attorney général ne confond pas les choses, ce n’est que de la diversion, un pur mensonge.
D.D. : On peut en penser bien des choses, mais ce n’est pas un idiot.
C.C.G.H. : Non, ce n’est pas un idiot ni un imbécile. Et les membres expérimentés du Département de la justice sont capables de clairement faire la différence entre les deux programmes. Aucun tribunal n’a émis un jugement sur la légalité du DACA. Dans son discours de mardi, M. Sessions annonçait sa décision en évoquant de nombreuses possibilités que des États, le Texas en tête, entreprennent des poursuites contre le programme et sa légalité. Il expliquait que cela avait déterminé la décision du Président d’y mettre fin. Il n’y a pas de poursuites en ce moment, ce n’est pas arrivé. Il n’a agit que sur la possibilité de poursuites dans le futur.
Maintenant que depuis les dernières 36 heures, nous avons au moins deux poursuites déposées contre l’administration Trump et sa décision de mettre fin à DACA j’ai peur qu’il leur donne autant de poids sinon plus, qu’il en a donné aux poursuites hypothétiques. Peut-être qu’il retirera sa décision de révocation puisqu’il est poursuivi deux fois.
D.D. : Qui aurait pensé que Jeff Sessions ait peur des coups ?
C.C.G.H : En effet. Qui aux États-Unis savait, après autant d’années, qu’il se sauverait et se cacherait dès qu’on le menace de poursuites. Le Département de justice et le gouvernement fédéral sont constamment poursuivis. S’il ne se tient pas debout devant la moindre poursuite, nous avons besoin de quelqu’un d’autre à la tête de ce département.
D.D. : Parlons des vraies motivations de J. Sessions. Je pense qu’il les a dévoilées quand, au cœur de son discours, il a parlé de la proposition de Président Trump de limiter l’immigration autorisée. Habituellement, l’attention porte toujours sur l’immigration « illégale ». Mais le véritable but du mouvement des « nés-es au pays » et des xénophobes a toujours été de réduire sensiblement l’immigration légale, de revenir à 1964 quand le pays opérait ouvertement un système d’immigration suprématiste blanc.
C.C.G.H : Je pense qu’il y a quelque chose de rafraichissant quand des autorités du niveau de l’Attorney général cessent de mentir et révèlent leur vraies couleurs. Le lobby en faveur des restrictions à l’immigration, les organisations comme le Center for Immigration Studies a, depuis longtemps, ont voulu diminuer de beaucoup le nombre d’immigrants-es légalement admis. Ils savent qu’ils ont de l’appui dans le cabinet. Partout dans l’administration, du personnel les appuie ouvertement. Je pense que de tels commentaires seront interprétés comme la révélation de leurs vraies positions.
C’est un moment ou les avocats-es en faveur de l’immigration peuvent se reposer, s’arrêter. Leur tâche est maintenant d’évaluer ce que ce sont les buts de l’administration Trump en matière d’immigration au lieu de louvoyer à travers les mensonges et les dissimulations. En plus, quand nous avons devant nous, le Président lui-même donnant des preuves qu’il ne comprend rien à ce qui se passe.
D.D. : Je pense que dans le passé, les modérés-es, le courant dominant en matière d’immigration, ont si souvent trahi les sans papiers pour protéger des niveaux relativement élevés d’immigration légale. C’était une stratégie non seulement cynique et cruelle envers les sans papiers mais, qui ne fonctionne plus maintenant que D. Trump et J. Sessions sont à la Maison blanche et au Département de la justice. En alimentant les sentiments contre les « illégaux et illégales », ils ont dévoilé le courant qui milite en faveur d’importantes restrictions à l’immigration légale particulièrement celle des pauvres gens de couleur.
C.C.G.H. : Nous mettons le doigt sur le caractère binaire de la loi sur l’immigration présent depuis de nombreuses annéesc’est-à-dire, les « bons » immigrants et les « mauvais » alors qu’il est impossible de les séparer. Nous les avons définis différemment à différents moments dans le temps. Parfois ce fut le fait d’être Chinois ou non, être blanc ou non, être homosexuel ou non. En ce moment, c’est de savoir si vous avez une histoire criminelle ou non. Mais, en fin de compte, le tableau est toujours le même : nous tentons toujours de distinguer les bons des mauvais.
Faire une évaluation morale de la valeur des individus est plus que périlleux ; nous avons affaire à des personnes. On ne peut facilement les caractériser. Ne sommes nous pas un mélange de bon et de mauvais. Nous faisons tous et toutes des choses que nous regrettons immédiatement. Pour certains-es la chance fait qu’ils ou elles ne passent pas aux actes criminels dont il est impossible de se sortir mais ce n’est pas le cas pour bien d’autres. Tout ça ne diminue pas notre valeur morale. Je pense que les Démocrates, les Républicains-es, les libéraux et les conservateurs ont souvent adopté le même cadre (d’évaluation) même s’il y a des désaccords entre ces groupes quant à qui devrait entrer (au pays). Nous aurions eut avantage à avoir un jugement critique du rôle de cette conception binaire pour pouvoir avancer.
D.D. : Dans ce même ordre d’idée (il faut) examiner le rôle qu’y joue la catégorie « immigrants-es criminels-les ». J. Sessions déclare qu’expulser les « Dreamers » mettrait le pays à l’abri de certains crimes et du terrorisme. Décrivez-moi le lien entre l’application de la loi sur l’immigration et le système de justice, ce que vous appelez « crimmigration ».
C.C.G.H. : Cette approche a été choisie par M. Sessions seulement parce que ce jour-là sa communication portait sur DACA. Dans d’autres discours où il parlait de l’immigration en général, il a exprimé exactement la même explication mais à propos de cette immigration. Le Président, en émettant ses décrets en janvier dernier, à également donné cette explication : les gens présents aux États-Unis en violation de la loi sur l’immigration, mette la sécurité du pays en danger. La reprise de cette assertion n’arrive pas avec la décision de révoquer le DACA. Et c’est en contradiction flagrante avec les résultats de recherche depuis un siècle qui montrent que les immigrants-es commettent moins de crimes que les autres citoyens-nes.
Je ne crois pas toutefois que nous devrions accorder beaucoup d’attention à cet aspect des choses. Nous devons insister sur le fait que les immigrants-es sont intégrés-es à nos communautés. Certains-es de ces communautés commettent plus de crimes que d’autres. On en capture une partie, l’autre pas. Et d’être capturé ou non repose souvent de la couleur de votre peau et de votre statut économique.
Depuis le Président Reagan, bien avant les administrations de Clinton, Bush et même Obama, le lien entre l’immigration et le système de justice a été lourdement invoqué. Nous avons donc mis en place un appareil d’application de la loi sur l’immigration au-dessus du système de justice radicalement biaisé. Il n’est pas étonnant que cela ait mené à une application complètement biaisée de la loi sur l’immigration.
D.D. : Si on examine l’histoire de DACA, on observe qu’il y a eut un véritable mouvement de masse contre le Président Obama qualifiant le programme de « crimmigration » du système d’application de la loi. Il a subit d’incroyables pressions pour mettre DACA en vigueur.
C.C.G.H : Ce programme n’existe que parce que les jeunes ont milité en sa faveur et n’ont fait preuve d’aucune peur. Ils n’ont tenu aucun compte des mises en garde des associations libérales bien établies et d’autres militants-es plus expérimentés-es qui travaillent en faveur des droits des immigrants-es. Ces gens leur demandaient de demeurer silencieux-euses, polis-es et de rejeter la désobéissance civile. Certains-es ont quitté le pays pour mettre le Président Obama sous la pression morale de devoir les laisser rentrer. La détermination et l’organisation marquée du gros bon sens de ces jeunes gens qui sont allés-es jusqu’à se montrer dans les rues pour les bloquer et infiltrer les centres de détentions des immigrants-es, voilà ce qui a aboutit à l’adoption de ce programme.
C’est cette expérience qui me donne l’espoir que nous pourrons trouver un moyen pour faire ce qui est moralement correct non seulement pour ces jeunes qui sont en passe de perdre leur protection. Il y a encore des millions d’autres personnes qui ont tout autant besoin que la loi sur l’immigration soit assouplie mais qui ne bénéficient pas en ce moment de la protection du DACA.
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