Publié le 14 juillet 2018
Certains livres jonglent avec la temporalité. Certain·es lecteurs et lectrices s’y plongent avec effroi ou délectation. Et contrairement au sentiment que j’en avais à la fin de l’adolescence, les récits d’anticipation ne parle que du présent. Un présent dépouillé comme un oignon, avec ses couches au passé, au présent, au futur…
Le corps des femmes et leur capacité d’enfantement sont souvent une obsession politique pour les hommes. Ils inventent des légendes pour justifier les contraintes et les violences. Et quelques fois, comme pour mieux emballer leurs délires, ils formatent les apparences et les comportements jusque dans les vêtures hiérarchisées.
Ecrire la vie de La Servante écarlate, pour en faire un roman accessible à toustes relève d’un art certain des mots et des phrases, d’une conjugaison de nuits et de quotidiens, de mémoire et possible temps retrouvé, que seul·es quelqu·es un·es parviennent à tisser avec cette opaque densité qui conduit et épuise (sans l’assécher) la lecture.
Margaret Atwood nous fait ressentir tout le poids de l’ordinaire, « c’est ce à quoi vous êtes habituées », de cette organisation sociale de la gestion de la pénurie pour le seul bénéfice de quelques un·es, de ces temps d’après le temps où les livres furent brûlés, de ces lieux presque disciplinés mais laissant malgré tout une place à soi, « Ma chambre. Car enfin il faut bien qu’il y ait un endroit que je revendique comme mien, même par les temps qui courent », de ces marques sur les corps, « le petit tatouage sur ma cheville »…
Un monde concentrationnaire ou très policé n’est jamais totalement clos sur lui même, les individu·es dépouillé·es se pensent pour survivre dans/de l’horreur même, « J’attends. Je me compose un moi. Mon moi est une chose que je dois maintenant composer, comme on compose un discours. Ce que je dois présenter, c’est un objet fabriqué, pas un objet natif ».
L’érotique des uns et la figuration des autres, les portes et leurs poignées de porcelaine fraiche, là-bas, « Je crois en la résistance de la même façon que je crois qu’il ne peut y avoir de lumière sans ombre. Ou plutôt pas d’ombre à moins qu’il n’y ait aussi de la lumière », la mémoire et les réminiscences du passé, les revendications féministes du droit de choisir, les lugubres dispositifs d’aujourd’hui dont la Natamobile, et ce que fait ou pourrait faire une femme, « A tout moment, il risquait d’y avoir une explosion fracassante, les vitres des fenêtres tomberaient à l’intérieur, les portes s’ouvriraient toutes seules »…
Des femmes, « Nous sommes des utérus à deux pattes, un point c’est tout : vases sacrés, calices ambulants », des événements comme « une reconstitution », Nolite te salopardes exterminorum, une position « absurde et ignominieuse à la fois », la puanteur de la piété, la suppression du droit à la propriété pour les femmes, l’instant de la trahison, le brouillard gris, des femmes « qui restent obstinément closes, tarées, défectueuses », les mises en scène, le sexe et les sensations approximatives de l’amour, les viols et leurs mises en ordre, le souvenir des faire l’amour et la pensée du mot savourer, les faits humains passés et l’avenir de ce livre…
Je ne sais écrire autrement que par images sur cet immense ouvrage. Une écrivaine en dit plus long que bien d’autres sur la fragilité des libertés des femmes…
Margaret Atwood : La servante écarlate
Traduit de l’anglais (Canada) par Sylviane Rué
Réédition Pavillon Poche – Robert Laffont, Paris 2017, 524 pages, 11,50 euros
Didier Epsztajn
Un message, un commentaire ?