Poutine de son côté utilise le chantage à l’arme nucléaire. Difficile à ce stade-ci de faire la part du bluff et du sérieux dans sa stratégie à l’endroit de l’Occident, mais le danger est bien réel. Tous les citoyens et citoyennes doivent être conscients de ce péril. Biden a durci sa position au nom de la défense des valeurs démocratiques et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce qui ironiquement, se produit au moment où la Cour suprême américaine se prépare à infliger un grave revers à celui des femmes à l’avortement et aussi où, sous l’influence du courant trumpiste, divers États restreignent l’accès au droit de vote, diminuant ainsi le corps électoral. De plus, Biden, comme tous ses prédécesseurs refuse de reconnaître sans ambages le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, parmi bien d’autres exemples.
Mais pour l’administration démocrate de Joe Biden l’occasion était trop belle de profiter de l’agression russe contre l’Ukraine afin de redorer le blason démocratique des États-Unis terni par l’épisode Donald Trump. Le nouveau président tente de rassembler la nation derrière son gouvernement contre un ennemi extérieur : la Russie, selon une recette bien connue.
On s’interroge souvent sur le sérieux des menaces de Vladimir Poutine. Une escalade nucléaire contre les régimes politiques occidentaux est-elle possible si ceux-ci continuent à appuyer l’Ukraine ? On ne peut se prononcer avec certitude sur le sujet, mais il y a des questions dont on craint la réponse. Il existe cependant une ligne qu’il ne faut pas dépasser de part et d’autre. Il faut voir que l’utilisation de l’arme de dernier recours est plus aisée à Moscou qu’à Washington puisqu’il suffit de deux signatures de hauts responsables moscovites pour entériner un ordre présidentiel en ce sens. Dans la capitale américaine, la procédure est plus longue, plus complexe (sauf en cas d’urgence) et soumise à l’approbation de bien davantage d’intermédiaires.
Joe Biden hausse quand même le ton et laisse entendre que sinon Vladimir Poutine, du moins des responsables militaires russes pourraient être jugés pour "crimes de guerre" après le conflit.
Les Européens et Européennes en particulier, qui ont traversé deux guerres dévastatrices au vingtième siècle misent davantage sur les pressions économiques et commerciales que les Américains, lesquels augmentent la mise sur le plan militaire. Quelques uns de leurs dirigeants maintiennent un précaire contact direct avec le dictateur russe. Américains et Européens sont-ils prêts à s’engager dans d’éventuelles poursuites contre des Russes devant le Tribunal pénal international ? Leurs avis divergent là-dessus, la réponse n’est pas claire.
Il faut signaler que les États-Unis ne permettent pas que leurs ressortissants comparaissent devant cette instance pénale ; en cas d’accusations de crimes de guerre contre certains d’entre eux, ils relèvent de la seule justice américaine. Le "justice internationale", c’est valable pour les autres...
Dans le contexte volatil qui prévaut en Europe à cause de l’intervention du Kremlin en Ukraine, l’attitude belliqueuse du gouvernement américain alimente l’escalade militaire entre les deux superpuissances et donc le risque d’un embrasement nucléaire ; le plus grand perdant serait l’Ukraine, le pays que Washington et ses alliés prétendent vouloir protéger.
Toutefois, Vladimir Poutine s’est rendu compte qu’il avait eu les yeux plus grands que la panse en voulant au départ s’emparer de toute l’Ukraine. Tout en continuant à bombarder les grands centres urbains du pays, il fait désormais porter l’essentiel de son effort militaire sur les régions du Donbass à l’est et sur les régions du sud, situées le long de la mer Noire et de celle d’Azov pour en couper l’accès à Kiev. Il s’y trouve d’importants centres urbains et industriels.
On peut être certain que lorsque s’amorceront enfin des négociations de paix sérieuses, le Kremlin va s’accrocher à ces territoires et ne consentira à aucune concession importante à leur sujet. À observer l’attitude intransigeante du président russe, on peut constater qu’il veut acculer Volodymyr Zelensky son homologue ukrainien à une forme de capitulation. La faiblesse de l’opposition russe lui facilite la tâche.
La position du Kremlin est donc plus solide, du moins à court terme, qu’il ne le semble de prime abord. Les aboiements de Biden n’y changeront pas grand chose.
Mais une fois les combats terminés et la poussière retombée (à moins qu’elle ne soit radioactive...), Moscou va ressentir à plus long terme les conséquences de sa brutalité, sous forme de diminution de son influence dans le monde, du discrédit qui va frapper la Russie, de l’amenuisement de ses échanges commerciaux internationaux et peut-être même du doute que la direction chinoise va porter sur le jugement (ou plutôt le manque de jugement) de son allié. En effet, les responsables chinois observent avec attention les événements en Ukraine ; Poutine peut donc redouter une diminution de leur confiance envers un allié aussi encombrant, qui fait de plus en plus figure de colosse aux pieds d’argile.
Jean-François Delisle
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