Les coalitions formées autour du Partito Democratico (PD, centre-gauche) ont gagné des voix, mais surtout grâce aux candidatures « radicales » de Sinistra e Libertà (SEL, scission de Rifondazione). Le mouvement « 5 stelle » (5 étoiles) du comédien Beppe Grillo, antipartis, obtient 93 000 voix. La gauche sous ses diverses formes a au total remporté les 4 plus grandes villes (Milan, Naples, Turin et Bologne), ainsi que d’importants chefs-lieux.
La défaite de la droite
Ces élections sont celles de la défaite de la droite, et en particulier de Berlusconi et de sa stratégie de communication. Même son électorat traditionnel l’a laissé tomber, en particulier dans les grandes villes. Il pourra difficilement faire tenir son gouvernement sans modifier les équilibres politiques actuels : les tensions tant internes au PdL qu’avec son allié, la Lega Nord de Bossi, sont évidentes. Le centre-gauche redevient une « alternative » électorale à la droite et, a reconquis un peu de crédibilité.
Les candidatures radicales
Les résultats les plus marquants, même si très différents l’un de l’autre, sont ceux de Milan et de Naples. A Milan, le candidat de la coalition de gauche (dont le PD est le parti principal) était Giuliano Pisapia, membre de SEL, vieux militant de l’extrême gauche italienne, qui avait gagné les primaires [1] puis a été élu maire grâce à une campagne populaire, faites de comités de soutien actifs. Investir tout cet espoir dans une alliance avec le PD n’est certainement pas la meilleure chose que SEL ait faite, mais il est clair que l’atmosphère de la ville a changé et que le sentiment de “libération” de s’être enfin débarrassé de la droite est très net. Sans compter que Berlusconi considérait Milan comme “sa ville” : il y a fait 3 semaines de campagne, donnant à cette échéance électorale une ampleur quasi nationale, et c’est à Milan que la Lega Nord a fait une campagne d’un racisme éhonté, centrée sur le fait que Pisapia était soi-disant le candidat des immigrés, des gitans, des squatteurs. Autre victoire marquante, celle de Luigi De Magistris à Naples avec une coalition opposée tant à la droite qu’au PD [2] et soutenue par l’extrême gauche, même si sans la participation populaire de Milan. Ces deux victoires montrent que le « peuple de la gauche » reprend confiance et espoir dès qu’un candidat ou une coalition a quoi que ce soit de nouveau par rapport au centre gauche traditionnel.
La campagne continue
L’espoir suscité par ces élections s’est mêlé à l’enthousiasme croissant autour de la campagne pour les référendums des 12 et 13 juin, pour stopper la privatisation de la gestion de l’eau et empêcher la construction de centrales nucléaires. Ces campagnes ont mobilisé l’énergie et la créativité de milliers de comités locaux dans tous le pays, ont redonné le goût de la participation directe à des dizaines de milliers de militants, de déçus de la gauche, de citoyens désabusés [3]. Pour la première fois depuis vraiment longtemps, un mouvement peut remporter une victoire nette. Et quel que soit le résultat des référendums, les comités qui se sont créés pourraient, avec les travailleurs des secteurs touchés (la loi concerne également le ramassage des ordures et les transports publics, même si les comités actifs sont partis de la question de l’eau) être un socle pour reconstruire cette gauche dont l’Italie a tant besoin.
Une légère brise...
Il est trop tôt pour dire que « le vent tourne » en Italie, mais ces semaines de campagne électorale pour les municipales et pour les référendums ont rallumé l’espoir en la possibilité de battre Berlusconi et la droite. Cet espoir n’a toutefois pas provoqué de mobilisation permanente ; l’indignation qui souffle si fort dans d’autres pays de la Méditerranée ne trouve pour le moment en Italie pas d’autre outil, d’autre espace où s’exprimer, que les élections. Sinistra Critica s’est présentée uniquement là où une candidature de mouvement avait pu se constituer, avec quelques bonnes surprises mais des résultats limités. Il est clair que le travail principal qui nous attend est aux cotés des milliers de travailleurs et de travailleuses, d’étudiant(e)s, de femmes, de populations frappées par des mesures catastrophiques pour l’environnement qui ont lutté ces dernières années, dans la campagne pour les référendums, pour que cette mobilisation devienne politique et sociale, puisse mettre Berlusconi et la droite à l’angle du ring et pose la question de la nécessité d’une transformation sociale.
Berlusconi a beaucoup de moyens à sa disposition pour tenir, mais son temps est terminé. Et le symbole de cette défaite, c’est Naples, la ville où il avait inventé son image d’homme « qui agit », promis un grand nettoyage et accusé la maire de centre gauche d’être seule responsable de la catastrophe des déchets des années passées. Et c’est là, pourtant, que les électeurs lui ont tourné le dos, pire : ils ne l’ont carrément pas écouté. Ils ont préféré faire confiance à de Magistris, qui représente la nouveauté, la légalité, le changement, la propreté morale et le changement social. Reste à voir ce que pourront ou voudront faire ces nouveaux maires. Mais le message est clair : il y a comme une envie de changement, de se débarrasser d’une ère politique en putréfaction. (…) La politique politicienne réfléchit déjà à comment elle va s’organiser pour l’après Berlusconi. Le PD essaye déjà de construire une « grande alliance » ouverte au centre, et sera donc un frein à cet élan de changement, surtout s’il compte proposer un « gouvernement d’urgence ». Il est donc évident qu’il faudrait surtout une autre gauche, une gauche différente. Mais ceci est un autre débat. Quoi qu’il en soit, une phase de ce pays est terminée, il faut se mettre au travail pour construire la prochaine.
Notes
[1] Plusieurs candidats de la gauche “radicale” ont récemment remporté les primaires du centre-gauche, contre les candidats soutenus par l’appareil du PD. Nichi Vendola avait ouvert la voie, devenant ensuite gouverneur des Pouilles. A Cagliari (Sardaigne) par exemple, Massimo Fedda’i, 34 ans, de SEL, a remporté les primaires contre le candidat du PD, et a été élu maire avec 59, 42% des suffrages.
[2] L’histoire récente de la région de Naples (de 1993 à 2010) a été marquée par le pouvoir corrompu d’Antonio Bassolino, du PD, maire de Naples puis président de la région, dont la gestion du ramassage des ordures, faites de faveurs économiques en échange de faveurs politiques, n’est pas sans rapport avec la situation catastrophique des ordures dans la région. Luigi De Magistris du parti l’Italia dei valori ("Italie des Valeurs, fondée par Antonio Di Pietro, un juge, qui prône la transparence et la légalité) était soutenu par une partie de la gauche radicale et a remporté les élections avec 65, 37% des suffrages. Résultat, au conseil municipal le PD aura 4 sièges et Rifondazione 6...
[3] Pas mal d’exemples de cette créativité sur www.referendumacqua.tv. Mais c’est aussi des affiches spontanées, des mails, des happenings… Les Italiens à l’étranger doivent voter aussi ! Toutes les infos à : www.acquabenecomune.org, section “Come si vota all’estero”.
* Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 106 (09/06/11).