Mais ce qui a permis à Benjamin Netanyahou d’avoir une solide majorité parlementaire, c’est le ralliement de Yair Lapid et des 17 députés de son tout nouveau parti « Il y a un Futur ». Ce ralliement a surpris les naïfs – dans l’opinion et dans les medias – qui se sont obstinés à présenter cette super star de la télévision comme « centre gauche ». Il suffisait pourtant d’écouter Lapid pour comprendre que ce label était usurpé : Lapid est à droite, politiquement et surtout socialement. Son slogan « Juste partage du fardeau », a été entendu comme un appel à recruter les ultra-religieux à l’armée, ce dont ils ont été dispensés depuis la création de l’Etat d’Israël. En fait, ce qu’exigent Lapid et son électorat aisé de Tel Aviv, c’est de réduire les aides sociales aux pauvres, en particulier les Juifs ultra-religieux qui vivent, avec leurs familles nombreuses, dans des conditions de grande pauvreté, pauvreté qu’ils partagent avec la minorité arabe d’Israël.
Le nouveau gouvernement n’est ni plus ni moins a droite que le précédent, quant a son positionnement sur toutes les questions liées à l’occupation, à la colonisation et a la guerre. Il est par contre à l’extrême droite dans le domaine social et économique. C’est cette politique économique ultra-libérale qui a cimenté l’alliance de Lapid avec Naftali Benett de la Maison Juive : si le chouchou des couches aisées et laïques de Tel Aviv déteste les ultra-religieux, il n’a par contre eu aucun problème a se rallier au patron du parti religieux ultra-nationaliste, sur la base d’un programme de classe qui fait froid dans le dos. Face au bloc Lapid-Benett, Netayahou ne pouvait que se plier, y compris en rompant l’alliance traditionnelle avec les partis ultra-religieux, Shass et Yahaduth HaTora.
Netanyahu-Lapid-Benett, c’est Margaret Thatcher + Milton Friedman multiplié par dix. Le réveil va être douloureux pour les centaines de milliers de jeunes qui ont voté Lapid en pensant a tort qu’il représentait les aspirations des grandes mobilisations de l’été 2011 : « retour à l’Etat social ! » criaient-ils au cours de ces mois de mobilisations de masse. En votant Lapid ils auront droit a un enterrement de première classe des résidus de cet Etat social déjà fortement mis a mal par les gouvernements précédents. Lapid a surfé avec succès sur la volonté de changement, mais ce seront les couches les plus défavorisées qui feront les frais de ces changements.
Se trompent aussi ceux qui croient que Lapid et l’ancienne ministre des affaires étrangères Tsipi Livni vont au moins faire avancer les choses dans le domaine des négociations israélo-palestiniennes : dans le gouvernement actuel l’extrême droite politique est largement majoritaire, même après le ralliement de Livni. Ce sera Benett et les colons qu’il représente qui donneront le ton et permettront à Benjamin Netanyahou de continuer à faire du sur place afin de ne pas remettre en question la stratégie de colonisation. Comme a pu le remarquer Barak Obama au cours de sa visite en Israël, la question palestinienne n’est pas une priorité, ni pour la classe politique, ni même pour le public israélien, et ceux qui s’attendaient à ce que le Président américain utilise son deuxième et dernier mandat pour faire bouger les choses ont dû se rendre a la raison, qui, au Moyen-Orient est celle du plus fort et du plus déterminé, ce qui est loin d’être le cas pour le Président Palestinien Mahmoud Abbas.
Reste une question : les Palestiniens vont-ils continuer à laisser faire et, vainement, attendre que la communauté internationale mette en œuvre ce qu’elle ne cesse de prêcher depuis des décennies ? On parle de plus en plus de « troisième Intifada », et certains signes semblent indiquer que la patience dont les Palestiniens sont des champions incontestés commence à s’épuiser. Auquel cas, tous les plans du nouveau gouvernement tomberaient à l’eau, obligé qu’il serait alors de débloquer de nouveaux budgets pour le « maintien de l’ordre » dans les territoires palestiniens occupés. L’hypothèse de travail de Benett-Lapid est une Cisjordanie pacifiée et calme, mais c’est précisément ce qu’ils ne contrôlent pas, a fortiori dans un contexte général de révolutions arabes.
Entre leurs différents projets de réforme visant à « partager le fardeau », le tandem ultralibéral ferait bien de méditer sur la manière dont la première Intifada (1987) a pris tous les Israéliens par surprise, alors qu’ils concoctaient de grands changements structurels, oubliant que dans leur arrière cour plus de trois millions de Palestiniens n’en pouvaient plus de l’occupation coloniale et de ses effets destructeurs sur leurs vies et leurs aspirations. Le réveil fut douloureux pour les Israéliens. Douloureux mais salutaire.
(Publié dans Témoignage Chrétien)