Édition du 17 décembre 2024

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Israël

Israël : « Nous sommes dans une période de transition du régime politique »

Entretien. Militant révolutionnaire et antisioniste, Michel Warschawski a fondé avec d’autres militants de gauche le Centre d’information collective. Avec lui, nous revenons sur la situation du pouvoir israélien ces dernières semaines et les perspectives pour les militants pour la Palestine.

Tiré du site de Europe solidaire sans frontière.

Alain Pojolat et Alain Krivine – Netanyahou est en passe d’être inculpé pour « abus de confiance » dans l’affaire des « cadeaux illégaux » (plusieurs dizaines de milliers d’euros) qu’il aurait perçus de la part d’hommes d’affaire... Comment réagit l’opinion publique ?

Michel Warschawski – Sur ce sujet, comme sur tout le reste, l’opinion publique israélienne est divisée en deux. Il y a d’une part ceux qui sont choqués – mais pas surpris – par le degré de corruption de la classe politique, en particulier de l’entourage du Premier ministre, et, d’autre part, une majorité de la population qui voit dans ces affaires une volonté de délégitimation, par ceux qu’ils appellent « les élites », d’un gouvernement élu par le peuple, contre la volonté de ces élites. Les médias, la justice, et dans une certaine mesure la police, sont, pour l’électorat de l’extrême droite, les expressions de ces élites, et c’est la raison de la décision de la ministre de la Justice Ayelet Shaked de réformer en profondeur le système juridique de sorte à ce qu’il « reflète davantage la volonté de la majorité »...

Il n’est pas exagéré d’affirmer que nous sommes dans une période de transition du régime politique, au détriment à la fois des règles d’un régime parlementaire, et des libertés publiques, en commençant par celles de la minorité palestinienne d’Israël et de ses élus.

La situation économique et sociale paraît assez sombre pour le gouvernement : montée de la pauvreté, colonisation coûteuse, ralentissement des candidats à « l’alyah », industrie militaire en recul...

La montée de la pauvreté est indéniable, avec un tiers des enfants israéliens qui vivent sous le seuil de pauvreté. Cela dit, pauvreté de la majorité ne signifie pas, et c’est bien là le sens du capitalisme, mauvaise situation économique. Comparée aux économies européennes, celle d’Israël se porte bien : taux de croissance supérieure à la majorité des pays de l’OCDE, taux de chômage inférieur à 4 %, budget en équilibre, balance commerciale bénéficiaire, exportation à travers le monde entier de capitaux et de technologies de pointe – Israël ne connaît pas la crise, son économie est AAA pour les agences de notation internationales. Dans le capitalisme néolibéral, économie performante n’est pas contradictoire avec augmentation du nombre de pauvres, bien au contraire.

Sur le plan international, la situation n’est pas brillante. Quelles conséquences peut avoir le vote du 23 décembre au Conseil de sécurité de l’ONU qui, pour la première fois depuis des décennies, exige l’arrêt de la colonisation ?

Le vote du Conseil de sécurité contre la colonisation en Cisjordanie, reflète d’abord le ras-le-bol que ressent l’ensemble de la communauté internationale envers l’intransigeance d’Israël, l’arrogance de ses dirigeants et leur surdité face aux mises en garde généralisées de pays qui entretiennent des relations amicales avec l’État juif. L’isolement croissant d’Israël sur la scène internationale a longtemps pu être éludé a cause du soutien inconditionnel des administrations étatsuniennes, démocrate comme républicaine.

La décision de Barack Obama de ne pas utiliser le droit de veto est une première : si l’Assemblée générale des Nations unies a adopté des dizaines de résolutions contre la politique coloniale israélienne, c’est la première fois depuis 1983 que le Conseil de sécurité a voté contre cette dernière sans se heurter au blocage des États-Unis. À la veille de son départ, Obama a voulu faire payer Israël pour les nombreuses humiliations dont il a été l’objet de la part des gouvernements Netanyahou. Rappelons cependant que face à ces humiliations – y compris devant le Congrès – Obama n’a pas été rancunier : il y a deux mois, il signait un traité de coopération militaire de 35 milliards de dollars pour la décennie à venir. C’est du bout des lèvres que Netanyahou avait dit merci, n’hésitant pas à déclarer qu’il attendait avec impatience la victoire de Donald Trump.

Le 15 janvier se tient à Paris une conférence pour la paix au Proche-Orient. Israël n’y participera pas... Quelles suites peut-il y avoir ?

Initiée par la France, la conférence internationale pour la paix au Proche-Orient n’aura absolument aucune suite, et Israël a d’ores et déjà annoncé qu’elle n’y participera pas, ne craignant pas d’humilier ainsi les autorités françaises. Si Obama n’a pas réussi à faire bouger d’un pouce le gouvernement israélien, ce n’est pas Jean-Marc Ayrault qui y parviendra... Cela dit, la conférence de Paris pourra être une occasion supplémentaire de mettre l’État colonial israélien au banc des accusés pour ses violations récurrentes du droit international et des droits humains des Palestiniens. Ne rêvons pas : tout sera fait pour en rester à ce que nos camarades belges appellent « l’équidistance », partageant les responsabilités entre les « deux parties », et n’oubliant jamais de dénoncer la soi-disant violence palestinienne. Renvoyer dos à dos bourreau et victime, colonisateur et colonisé, est la formule clef de la diplomatie internationale… et la raison de son impuissance.

Les difficultés intérieures et le contexte diplomatique compliqué pour Israël ne donnent-ils pas une nouvelle opportunité à la campagne BDS ? Au-delà, quelles perspectives cela peut-il ouvrir pour la solidarité avec la Palestine ?

Le problème le plus important que pose la diplomatie internationale concernant la question coloniale en Palestine, n’est pas tant dans les prises de position – la résolution du Conseil de sécurité le confirme – que dans le refus de traduire ces résolutions par des moyens de pression efficaces. Ladite communauté internationale laisse Israël dans un statut d’impunité pour ses crimes. C’est dans ce contexte que se situe l’importance capitale de la campagne BDS : s’il y avait « S », c’est-à-dire si la communauté internationale utilisait des « sanctions » – comme elle l’a souvent fait, que ce soit contre l’Apartheid en Afrique du Sud ou contre la répression des libertés démocratiques en Chine – nul n’aurait besoin de « B » (boycott) ou de « D » (désinvestissement), et notre bataille pour les droits des Palestiniens serait proche d’être gagnée. C’est la lâcheté de cette communauté internationale, et souvent même sa collusion avec le régime colonial israélien, qui exige la mobilisation active des sociétés, à travers la campagne BDS. Et cette dernière a fait, en une décennie, des pas considérables : du boycott des oranges « Jaffa » au désinvestissement d’Orange dans ses contrats avec son ancien partenaire israélien, ou la rupture du partenariat entre la compagnie des eaux hollandaise et Mekorot, la compagnie des eaux israélienne.

Les pressions populaires sur les gouvernements pour que ceux-ci prennent des initiatives diplomatiques fortes, sont importantes, même si celles-ci ne dépassent pas encore le cadre déclamatoire. Mais pour faire plier Israël, il en faudra beaucoup plus, à savoir la mise en œuvre de sanctions concrètes, dans le domaine économique et commercial, mais aussi culturel, universitaire et sportif. C’est là aussi une leçon de l’expérience du peuple sud-africain.

Pour conclure cette interview, je voudrais insister sur la nécessité de redonner, en France comme ailleurs en Europe, un coup de fouet au mouvement de solidarité avec la Palestine. L’écroulement, programmé par les néoconservateurs de l’ordre Sykes-Picot au Moyen-Orient, a créé un vide que remplissent les nouveaux barbares que représente Daech. Cette réalité régionale a pour effet la marginalisation de la question palestinienne. Elle reste pourtant la clef si ce n’est de la réalité politique régionale, du moins de son éventuelle solution progressiste. Si on ne peut ni ne doit réduire les problèmes du monde, que ce soit à Alep ou à Bruxelles, à la seule question palestinienne, il reste néanmoins que celle-ci reste un abcès purulent qui, s’il n’est pas résorbé, continuera à alimenter non seulement les combats pour la justice, mais aussi leurs dérives terroristes barbares.

Propos recueillis par Alain Pojolat et Alain Krivine

Michel Warschawski

Journaliste et militant de gauche israélien, il est cofondateur et président de l’Alternative Information Center (AIC). Dernier ouvrage paru (avec Dominique Vidal) : Un autre Israël est possible, les éditions de l’Atelier, 2012.

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