Édition du 17 décembre 2024

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Charte des valeurs québécoises

Comment le livre "Islamophobie : comment les élites françaises fabriquent le "problème musulman" peut se traduire au Québec

Islamophobie au Québec : la fabrication accélérée d'un « problème »

La dramatisation du « problème musulman » au Québec prend une tournure de plus en plus prévisible. Les appels à la menace islamique de plusieurs personnalités publiques créent un climat qui nourrit le racisme et stigmatise des minorités religieuses. La situation québécoise tend à rejoindre ce que la France vit depuis quelques décennies. De fait, le débat québécois ressemble à un film projeté à vitesse accélérée de ce qui s’est produit et continue de se produire en France. Évidemment, tout n’est pas semblable mais si les forces démocratiques et progressistes ne réussissent pas à mettre un frein aux politiques identitaires du PQ et de ses alliés, la situation sera mûre pour que la société québécoise soit définitivement contaminée par ce que la France comporte de pire.

Les auteurs du livre « Islamophobie : comment les élites françaises fabriquent le problème musulman » (La Découverte, 2013, 302 p.), Abdellaji Hajjat et Marwan Mohammed, sont des militants qui s’inscrivent dans la lutte contre l’islamophobie. Non seulement, ils analysent la situation française sous l’oeil de la fabrication d’un nouveau bouc émissaire comme l’oligarchie le fait régulièrement, mais aussi comme une lutte pour détourner l’attention des problèmes que rencontre la domination des élites et des classes dominantes. Le livre étudie le phénomène depuis ses origines, le déplacement des discours de l’extrême-droite vers les intellectuels supposément respectables, les médias et les politicienNEs et l’instrumentalisation du débat par les élites.

Le capitalisme frappé par la pire crise depuis les années 1930 doit affronter des mobilisations qui remettent de plus en plus en cause sa légitimité. À l’époque de la grande crise du XXe siècle, le « problème juif » a été monté en épingle afin de servir de bouc émissaire à tous les problèmes de la société d’alors. Depuis, plusieurs catégories populaires ont été tour à tour montrées du doigt pour légitimer les politiques des classes dominantes : les « b-s », les homosexuels, les immigréEs, les méchants syndicats qui freineraient le progrès, etc. En France, la question de l’immigration, passé colonial oblige, a été un de ces tours de passe-passe qui contribuent à jeter de la poudre aux yeux et à masquer des problèmes plus profonds. Les auteurs consacrent une partie du livre aux parallèles à tracer entre anti-sémitisme et islamophobie (pp. 177-198)

Les origines de l’islamophobie en France

Dans leur livre, les auteurs situent les débuts contemporains du « problème musulman » aux luttes à Citroën-Aulnay (avril 1982) et à Talbot-Poissy (mai 1982), dans l’industrie automobile française. Plusieurs ouvriers sont issus de l’immigration et à compter de ce moment, la question musulmane va se substituer à la lutte des classes dans les discours de l’élite (V. Giscard D’Estaing). Pourtant, les organisations syndicales étaient favorables à ce que l’on appelle ici les accommodements raisonnables, au nom de la liberté de culte. Une mosquée est inaugurée en octobre 1976 à Renaud-Billancourt. Parmi les revendications ouvrières dans ces deux conflits figure celle d’un lieu de prière dans l’entreprise. « L’existence de cette revendication, les images des ouvriers faisant la prière à l’usine et l’utilisation, par les leaders syndicalistes maghrébins, de la langue arabe et de références religieuses pour mobiliser les ouvriers, sont des faits tangibles sur lesquels s’appuient les adversaires des grèves pour les dénoncer et les stigmatiser. » (p. 105-106) Les élites françaises avaient leur nouveau bouc émissaire.
(Voir aussi Vincent Gay (université d’Evry Val d’Essonne / LHEST) : « Ouvriers ou musulmans ? L’altérisation des ouvriers immigrés dans les grèves du début des années 1980 »)

Depuis, chaque occasion fut bonne pour casser du musulman (déclaration de Jacques Chirac en 1990 sur les problèmes potentiels que représentent une immigration noire ou musulmane, les propos du chercheur Pierre-André Taguieff sur les « deux millions de musulmans en France qui représentent autant d’intégristes potentiels » (p. 13), les événements du 11 septembre 2001, les attentats de Londres, la crise du voile en 2005, etc.). Des politiciens, de l’oligarchie dominante à l’extrême-droite et même certains cas à l’extrême-gauche, s’y sont mis à la tâche, relayés par les médias dominants et des intellectuels. Résultat : les manifestations de rejets des musulmans se sont multiplié par 5 entre 2005 et 2011 selon le Collectif contre l’islamophobie en France. (p. 25) L’élite profite de chaque occasion pour poursuivre l’érection de l’édifice du racisme et de la stigmatisation anti-musulman.

La politisation du voile

Le voile a été monté en affaire à Paris par un tout petit nombre d’acteurs. La mise en place du Conseil français du culte musulman début avril 2003, et l’anicroche de Nicolas Sarkozy au congrès de l’UOIF quelques jours après, leur ont fourni l’occasion d’embrayer puissamment dans le monde politique et dans la sphère médiatique, en subjuguant finalement l’opinion publique.
Le Front national y a vu une occasion en or pour élargir sa base politique. De grandes associations de défense de la laïcité, les églises, les principaux cadres de l’Education nationale, la majorité des syndicats, ainsi que les organisations islamiques ont tenté en vain de s’opposer à l’entreprise de politisation. A l’étranger – en Europe, dans le monde arabe -, les acteurs politiques et sociaux se sont saisis des échos de l’affaire française en fonction de leurs intérêts.

En bons coloniaux, tous promettent de « libérer » les femmes musulmanes de l’oppression intégriste sans se soucier des réelles raisons du port de signes identifiés à la religion.

Un personnage central de la fabrication en France : Caroline Fourest

(Tout parallèle avec Djemila Benhabib serait le résultat d’un hasard hors de notre contrôle)

Caroline Fourest fait dans ce débat office de personnage central par son passé de féministe et de défenseure des droits. Elle a fondé la revue ProChoix, a rédigé un livre sur les commanditaires du Front national, un autre sur l’homophobie. Bref, de quoi se draper d’un voile (pardon pour le jeu de mots) de respectabilité à gauche. Pourtant, tout n’est pas rose. En 2003, elle écrit « Tirs croisés », une charge anti-musulmane qui diabolise la religion musulmane comme l’intégrisme suprême. Trois ans plus tard, elle dénonce dans « La tentation obscurantiste » les rapprochements d’une partie de la gauche et les mouvements islamistes et l’invention du concept d’islamo-gauchistes. Depuis, nous avons droit à des collaborations plus que douteuses (Charlie Hebdo ou l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (AGRIF) notamment).

Par ailleurs, des collaborateurs à sa revue ProChoix, Pascal Hilout et Pierre Cassen ont tous deux contribué à la revue ProChoix avant de se tourner vers le site Riposte Laïque, associé à l’extrême-droite. De plus, Caroline Fourest ne fait pas dans la dentelle lorsqu’il s’agit de débattre. Un peu à la manière de George W. Bush, vous êtes avec elle ou contre elle. Entre les poursuites judiciaires abusives lancées contre Xavier Ternisien, les lettres d’intimidation (http://lmsi.net/Apres-la-calomnie-l-intimidation) envoyées au collectif LMSI pour qu’il supprime les articles qui la dérangent, ou les intimidations physiques (http://lmsi.net/Je-suis-tombe-par-terre-c-est-la) de Fiammetta Venner (compagne de Caroline Fourest et accessoirement judoka), elle ne lésine pas sur les moyens pour faire taire ses critiques. (http://pirwp.thefreecat.org/limposture-caroline-fourest/) Et si ce n’est pas suffisant, elle pousse la vérité un peu loin. Ainsi, elle prétend que « des français rencontrés au Québec lui auraient affirmé que c’étaient les prières de rue qui les avaient poussés à quitter la France pour le Canada ! ». Cette histoire a été relayée et diffusée sur Youtube par un allié de circonstance : le site d’extrême-droite Défrancisation,

Un facteur de division des mouvements sociaux

Les débats entourant l’islam et l’intégrisme ont eu pour effet de diviser les composantes traditionnelles des mouvements anti-racistes. De nombreux groupes ont été traversés par des divisions à propos du concept d’islamophobie, du déni du phénomène de l’islamophobie, etc. (pp. 199 et suivantes). C’est fort pratique pour l’oligarchie d’affaiblir ainsi les mouvements sociaux (féminisme, anti-racisme, défense des droits, syndicats) qui voient leurs repères traditionnels sur la laïcité être remis en question. Ça permet de diviser le mouvement des femmes, d’en mobiliser l’aile droite autour du Manifeste des Jeannettes et de la formation du PDF-Q. De jeter dans l’ombre les batailles autour des enjeux écologistes si urgents. De faire passer la faillite économique de la gestion péquiste sous les écrans radar.

La situation au Québec

Selon un recensement effectué par la Ligue des droits de l’homme qui reçoit « de nombreuses plaintes de victimes de discrimination fondée sur différents motifs interdits par la Charte (sexe, religion, origine ethnique, handicap, etc.) », 107 plaintes sur 3 582 avait une teneur religieuse, soit un pourcentage de 0,69% du total des plaintes reçues entre 2009 et 2013. Les plaintes reçues pour motif de handicap atteignent 1 112 demandes d’accommodements, soit 13 fois plus.

En milieu de travail, 98% des entreprises affirment « ne pas faire face à des problèmes ou des enjeux concernant les demandes d’accommodement. » (Source : sondage du Conseil du patronat du Québec septembre 2013). 99 % des établissements de santé et de services sociaux où travaillent 230 000 personnes disent qu’ils ne rencontrent pas de problème significatif concernant les demandes d’accommodement basé sur la religion. (Source : L’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS). Pourtant, les pyromanes sociaux ne manquent pas de toupet comme cette manchette de l’Agence QMI (Québecor) « Beaucoup de demandes d’accommodements... déraisonnables » et l’article de poursuivre : « Dix-huit mois après le dépôt du rapport Bouchard-Taylor, les nombreuses demandes d’accommodements raisonnables constituent toujours un casse-tête pour les employeurs et les gestionnaires de services publics au Québec. (…) On ne parle plus de « crise des accommodements raisonnables » au Québec mais pourtant, la situation demeure la même, selon les vérifications effectuées par le Journal. »

Ce que les élites françaises ont mis plus de 30 à fabriquer, le PQ, le pied sur l’accélérateur, veut l’imposer en quelques mois. Le PQ toujours à la recherche de façons de consolider son pouvoir à Québec choisit de rallier le camp des identitaires, appuyant son discours sur le « nous » et le « eux » se rapprochant ainsi du discours de l’extrême-droite française. Les animateurs et animatrices du site Vigile ne s’y trompent pas. On peut maintenant lire de nombreux textes qui font l’apologie de Marine Le Pen et du Front national français. (Voir illustration)

Récemment, des syndicats québécois se sont prononcés en faveur de la Charte du PQ. La FIQ a appuyé la Charte en s’appuyant sur un sondage mené auprès de ses membres. Or, combien de demandes d’accommodements religieux ont été faites dans le milieu de la santé dans les dernières années ? Une seule... Pourquoi mobiliser autant d’efforts pour un « problème » aussi marginal ?

Le Québec est l’un des seuls pays capitaliste avancé où l’extrême-droite n’est pas organisée sous forme parti. Pour y parvenir, l’extrême-droite doit trouver le terreau propice et le PQ et ses complices sont en train de le lui fournir sur un plateau d’argent.

Pour celles et ceux qui voient dans le discours péquiste un réel danger, il faut confronter ces supposés tenants de la libération du Québec à une réelle perspective de lutte de libération nationale. Dans une telle perspective, nous devons nous inspirer des luttes étudiantes du printemps dernier pour y voir les débuts de solution. Dans son livre « Tenir tête », Gabriel Nadeau-Dubois relate l’anecdote d’une jeune étudiante d’origine libanaise qui raconte comment la lutte a donné le goût à sa mère d’intégrer la société québécoise à travers la participation de sa fille aux mobilisations. C’est dans cette direction que nous devons aiguiller le débat et les actions d’une gauche démocratique et inclusive. Créer des interdits n’a jamais libéré quiconque, les libérations « par le haut » n’ont jamais donné de résultats probants. Ce n’est qu’à travers un processus de combat commun pour une société solidaire qu’une remise en question des dominations, religieuses ou autres, pourra être entreprise.

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