On met l’accent sur la perte d’espaces qui pourraient être convertis en coopératives d’habitation, en HLM (si les gouvernements se décidaient à réinvestir dans ce programme) et en logements sociaux. On insiste en toute logique sur le déplacement forcé d’une bonne partie des populations à faible oui modeste revenu vers des quartiers périphériques où les logements sont meilleur marché qu’au centre-ville et dans les zones adjacentes. Et encore, pour combien de temps encore ? Si les gouvernements n’adoptent aucune mesure pour freiner la « condoïsation » qui s’étend toujours davantage comme une tache d’huile, l’embourgeoisement atteindra les quartiers périphériques dans quelques années. Où iront alors les populations à faible revenu ? Il faudra bien imposer un cran d’arrêt à ce processus délétère à un moment donné.
L’argument « écologique » qui appuie la construction de condos en soutenant qu’elle atténue l’expansion des banlieues au détriment des campagnes n’a qu’une force limitée. C’est vrai, mais la √ impose sa propre forme de pollution et elle se réalise au détriment des intérêts des classes populaires. Elle n’empêche pas l’expansion urbaine, mais la limite simplement. Posséder une maison de banlieue fera toujours partie du rêve des couches supérieures des classes moyennes. Il faut repenser tous les éléments de ce dossier épineux dans l’optique de défendre les intérêts des gens à modeste revenu.
La construction de logements à prix abordable annoncée par la mairesse Valérie Plante à Montréal ne fait qu’atténuer le problème en offrant une soupape de sûreté à la grogne populaire mais elle ne règle pas le problème à la source, c’est-à-dire la trop grande aisance dont jouissent les spéculateurs immobiliers pour transformer (ou défigurer) des blocs de logement en condos.
Il existe cependant une autre dimension à cette spoliation sociale et qu’on souligne peu, me semble-t-il : son indécence. Non seulement on peut être choqué par cette expansion immobilière au service de la nouvelle bourgeoisie, mais aussi par le fait qu’elle transforme en les leur rendant inaccessibles désormais des lieux où des générations de travailleurs et de travailleuses, d’employés et d’employées ont bossé pour des salaires souvent modestes, voire minables.
C’est frappant lorsqu’on observe en circulant à vélo des entrepôts et des « shops » convertis en condos. Des bâtiments à qui ont aurait pu garder une vocation populaire en en faisant des logements sociaux ou à prix abordable mais que les classes politiques municipales, de mèche avec les spéculateurs préfèrent abandonner à ceux-ci, question de remplir les coffres des villes par des impôts et des taxes. La solidarité de classe joue sûrement un rôle aussi dans ce processus douteux qui renvoie à une certaine immoralité, aux antipodes de la justice redistributive.
Les classes politiques municipales essaient de résoudre la quadrature du cercle ; comment continuer l’embourgeoisement urbain tout en assurant l’accessibilité du plus grand nombre de citoyens et de citoyennes à des logements décents et à prix abordable ? Tout un défi, qui révèle une des contradictions majeures de l’aménagement du territoire urbain à notre époque. Construire plus de logements à loyer modeste ne fait que compenser dans une certaine mesure la dépossession dont les classes populaires sont souvent victimes aux mains du capitalisme parasitaire. Mais qui y gagne en fin de compte ? Poser la question équivaut à y répondre...
Jean-François Delisle
Un message, un commentaire ?