Source : À l’encontre.
Avant, la moyenne d’âge était de 58 ans et le plus jeune député avait 35 ans. Au nouveau Conseil législatif, trois parlementaires ont moins de 30 ans. Le plus jeune d’entre eux, Nathan Law, 23 ans, est encore étudiant. Il s’est fait connaître à la fin de l’été 2014, lorsque les étudiants réclamant davantage de démocratie ont occupé certaines artères de l’ancienne colonie britannique, lors du « mouvement des parapluies » [voir sur notre site les nombreux articles sur ce mouvement en septembre et octobre 2014 http://alencontre.org/category/asie/chine/page/3], en référence aux ombrelles utilisées par les manifestants contre les gaz lacrymogènes. « C’est le Parlement le plus représentatif que Hongkong ait jamais connu », commente le blogueur et analyste politique Jason Y. Ng.
L’ambiance bon enfant ferait presque oublier l’énorme défi que se sont fixé les nouveaux occupants de ce long couloir : s’approprier le futur politique de Hongkong, un projet inadmissible pour Pékin qui rappelle à l’envi que la région administrative spéciale est partie inaliénable de la République populaire de Chine.
« La tyrannie doit périr un jour »
Parmi les vingt-huit députés qui sont élus pour la première fois, au moins six sont de près ou de loin favorables à un processus d’autodétermination. Les serments de trois de ces nouveaux élus ont été invalidés mercredi, après qu’ils se sont présentés munis de drapeaux « Hongkong n’est pas la Chine » et ont utilisé cette tribune pour redire leur rejet de Pékin.
Ils estiment que les Hongkongais n’ont reçu jusqu’à présent que des bribes de démocratie, au bon gré du Royaume-Uni d’abord, puis de la Chine. Le député indépendant Eddie Chu, 39 ans, après avoir prêté serment sur la loi fondamentale – ou « Basic Law » – de Hongkong mercredi, a lancé : « Autodétermination démocratique ! La tyrannie doit périr un jour ! » Surnommé le « roi des bulletins de vote » pour sa victoire retentissante sans l’appui du moindre parti lors des élections du 4 septembre, M. Chu reproche au camp prodémocratie sa passivité : « Les trente dernières années ont été perdues. »
Malgré l’espoir que portent ces jeunes parlementaires, leurs ambitions dépassent largement leur mandat, car proposer des lois est la prérogative du gouvernement. « Même si les députés de l’opposition parviennent à s’entendre et à collaborer, ils ne pourront au mieux que bloquer les lois. C’est comme être boxeur et avoir les mains liées », constate Jason. Y. Ng. « Cette génération va sensibiliser les Hongkongais sur ce qui se passe au sein du Legco. Les débats vont retentir en dehors des murs et cela va faire bouger les choses », veut toutefois croire Chip Tsao, journaliste politique.
« La direction chinoise a perdu toute patience »
Eddie Chu, lui, voit plus loin. Pour le moment, l’opposition, avec 30 sièges sur 70, ne dispose que d’une minorité de blocage. Mais si le camp pandémocrate continue de grignoter des sièges, il pourrait d’ici quatre ans atteindre la majorité absolue qui lui permettrait de forcer des changements plus importants : toucher à la « Basic Law » et envisager un processus d’autodétermination.
Lorsque Hongkong lui fut rétrocédé par les Britanniques en 1997, la Chine populaire avait promis en retour un demi-siècle d’autonomie en vertu du principe « un pays, deux systèmes ». Mais aujourd’hui, « Pékin ne veut surtout rien céder aux partisans de l’autonomie, la direction chinoise a perdu toute patience quant à ce compromis », résume le commentateur politique Johnny Lau.
Les signes de ce durcissement se multiplient. A l’automne 2015, la disparition de cinq éditeurs de livres [1] prétendant révéler les secrets du Parti communiste chinois a montré que les agents chinois ne s’embarrassent plus de l’Etat de droit caractéristique de la région administrative spéciale. L’interdiction d’entrée sur le territoire thaïlandais opposée mercredi 5 octobre, lors de son atterrissage à Bangkok, au militant le plus en vue de la « génération des parapluies », Joshua Wong, a prouvé que Pékin n’hésite pas à utiliser sa puissance diplomatique pour limiter l’écho de ces nouveaux critiques.
Lors des élections législatives du 4 septembre, Pékin avait tenté d’empêcher la situation actuelle, notamment en interdisant à six candidats prônant l’indépendance de se présenter. Au lendemain du scrutin, le bureau des affaires de Hongkong et de Macao au sein du gouvernement chinois a rappelé sa « ferme opposition » à ceux qui prônent l’indépendance, et s’est dit favorable à ce qu’ils soient « punis selon le droit ».
Divisions dans le camp de Pékin
Cette position dure est le reflet de la Chine de Xi Jinping, qui, depuis son arrivée à la tête du Parti communiste chinois à l’automne 2012, s’est montré aussi confiant en son pouvoir qu’autoritaire dans son exercice. Longtemps voulu par Pékin comme un modèle à présenter aux Taïwanais pour les convaincre de revenir dans son giron, Hongkong s’est transformé en un insolent défi.
Mais le camp favorable à Pékin apparaît également divisé sur la manière de traiter cette épine. Contre toute attente, le quotidien Sing Pao, officiellement prochinois, s’est lancé depuis fin août dans une série d’attaques visant non seulement le chef de l’exécutif hongkongais, Leung Chun-ying, mais également le directeur du bureau de liaison chinois à Hongkong, Zhang Xiaoming, ainsi que le président de l’Assemblée nationale populaire, Zhang Dejiang, numéro trois du pouvoir central chinois et protégé de l’ex président Jiang Zemin.
Selon l’interprétation la plus commune de cet étrange épisode, le Sing Pao a agi sur commande venant de très haut. D’une part pour forcer l’actuel chef de l’exécutif à Hongkong à ne pas se représenter à l’issue de son premier mandat en mars 2017 ; d’autre part pour faire porter l’échec politique constaté dans la région administrative spéciale à un haut dirigeant chinois, sur fond de consolidation par Xi Jinping de son pouvoir. (Article publié dans Le Monde daté du 13 octobre 2016, mis en ligne le 12 octobre 2016 à 12h08)
Note
[1] « Contrairement à ses collègues qui, de retour à Hongkong, ont suivi les consignes chinoises de ne rien dire et de changer de métier, Lam Wing-kee a décidé de tout raconter : sa détention « absurde » dans des conditions « surréelles » et ses « aveux télévisés forcés ». Lam Wing-kee est l’un des cinq libraires-éditeurs de Hongkong qui ont disparu depuis huit mois et ont réapparu en Chine, entre les mains de la police.
Lam Wing-kee travaillait pour la librairie Causeway Bay Books, liée à la maison d’édition Mighty Current, connues pour leurs livres critiques à l’égard de Pékin. Il a affirmé que ses surveillants lui avaient permis de rentrer mardi 14 juin pourvu qu’il leur rapporte le disque dur du listing des clients de la librairie. Mais, plutôt que d’exécuter sa mission, il a choisi de raconter sa détention par le menu, au cours d’une conférence de presse impromptue jeudi soir [16 juin], en présence de l’ancien député du Parti démocratique et avocat des droits de l’homme Albert Ho Chun-yan. […]
Arrêté le 24 octobre 2015 à la frontière chinoise : « Il estime avoir eu entre vingt et trente interrogatoires au total, aucun en présence d’un avocat. On lui reproche principalement d’avoir envoyé par la poste des livres interdits en Chine à des clients chinois qui ne veulent pas prendre le risque de passer la frontière avec. Ce qu’il ne nie pas. Mais il estime que les autorités qui l’ont interrogé cherchaient surtout à identifier les auteurs de certains livres les plus critiques.
Il a également affirmé que ses confessions télévisées, diffusées en février 2015, avaient été forcées, « avec un script et un metteur en scène ». Il y déclarait notamment que le contenu des livres vendus à la librairie était inventé et qu’il avait commis des crimes. « Si je m’éloignais un peu du script, on me faisait recommencer. »
Selon Lam Wing-kee, Lee Po, le copropriétaire de la librairie et maison d’édition, libéré pour sa part le 24 mars, a bien été emmené de force en Chine et non de son plein gré comme il l’avait affirmé à son retour. Lee Po avait quitté Hongkong sans que l’immigration ait la trace de son départ. Sa disparition ressemblait fort à un enlèvement policier.
Ces révélations, extrêmement embarrassantes tant pour Pékin que pour le gouvernement local de Hongkong, ont achevé de dissiper le flou et les doutes qui continuaient d’entourer cette sombre affaire. Amnesty International a appelé les autorités chinoises à « arrêter les mensonges » et à admettre enfin ce qui était vraiment arrivé aux cinq hommes. Cette série d’incidents a ébranlé la confiance des Hongkongais dans le principe « un pays, deux systèmes » dont bénéficie, théoriquement, la région administrative spéciale de Hongkong. » (Le Monde du 17 juin 2016)
Photo : Nathan Law, 12 octobre 2016