Édition du 3 décembre 2024

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Politique canadienne

Harper majoritaire : l’impact sur le réseau de la santé québécois.

La vague orange du 2 mai dernier ne doit pas nous faire oublier que nous sommes maintenant dirigés par un gouvernement conservateur majoritaire. Comment l’oublier !! Quel impact aura cette nouvelle donne politique sur le financement et l’organisation du système de santé au Québec ? D’abord un peu d’histoire.

Jeudi 19 mai 2011

Les brèches de la Loi canadienne sur la santé

Depuis les années 60-70, le Canada a réussi à étendre à l’échelle canadienne, l’idéal d’universalité et de solidarité de Tommy Douglas. La Loi canadienne de la santé adoptée en 1984 a permis de consolider et protéger certains principes qui sont à la base de notre système de santé aujourd’hui :

 1. Gestion publique : Les services de santé doivent être gérés par le secteur public. En d’autres mots, aucun profit n’est toléré sur le dos des malades ;
 2. L’intégralité : Les soins couverts par l’assurance public sont tous ceux « médicalement nécessaires » ;
 3. L’universalité : 100% de la population canadienne doit être couverte ;
 4. Transférabilité : Chaque Canadien doit être couvert, même dans une province autre que la sienne ;
 5. Accessibilité : Reprend le principe d’universalité, mais en explicitant l’interdiction de frais modérateur.

Les principes d’universalité et d’accessibilité préviennent explicitement l’utilisation du ticket modérateur et de surfacturation pour des services « médicalement nécessaire ». Toutefois, le jugement Chaoulli de la Cour Suprême nous démontre qu’il est possible de faire dire à la Loi canadienne sur la santé que dans certaines circonstances il peut y avoir de l’ouverture pour le financement privé de certains services « médicalement nécessaire ». (Prémont, 2010).

La Loi canadienne de la santé a donc des trous, plusieurs trous. Ces trous sont autant de façons possibles pour les provinces de limiter ou favoriser la privatisation du financement, et ce, dans le cadre même de la Loi canadienne de la santé. Voici les trois principaux trous :

La pratique médicale mixte : La Loi canadienne sur la santé permet aux provinces de faire comme bon leur semble en donnant plus ou moins de liberté aux médecins de pratiquer dans le public ou dans le privé. Au Québec, cette pratique est interdite jusqu’à maintenant, mais recommandée par le Rapport Castonguay en 2008, ainsi que par l’ADQ qui a déjà déposé dans le passé un projet de loi permettant cette pratique.

L’Assurance privée duplicative : Le caractère public ou privé de l’assurance santé est capital en regard de la capacité des assurés d’obtenir des services de santé à risque et à coûts parfois faramineux. Une assurance privée duplicative rend possible ce qui est actuellement partiellement illégal : que les citoyens Québécois puissent se procurer une assurance privée pour des services déjà couverts par la RAMQ. Depuis 2006, il est possible de s’assurer pour des chirurgies aux hanches, genoux et cataractes.

Règlementer les tarifs privés : cette avenue consiste à limiter l’intérêt pour les médecins d’aller pratiquer dans le privé, car ceux-ci se voient imposer par la province un plafond tarifaire équivalent aux tarifs remboursés par le régime public. L’Ontario, le Manitoba et la Nouvelle-Écosse ont adopté cette approche. (Prémont, 2010)

Le « LAISSER-FAIRE LES PROVINCES » de Stephen Harper

S’Il y a une chose que l’on ne peut reprocher à Stephen Harper et au Parti conservateur, c’est d’être constant dans leur position concernant les soins de santé au Canada. Le discours qu’ils ont depuis 2006 n’a pas changé : les conservateurs respecteront l’autonomie des provinces. En d’autres mots, il laisse faire les provinces. Il a beau jeu, car, après tout, il est possible pour Harper de réitérer son appui au régime public, ainsi qu’à la Loi canadienne de la santé, tout en permettant aux provinces d’adopter des mesures favorisant la privatisation. (Prémont, 2010)

Actuellement, les seules mesures de privatisation qui nécessiteraient une modification de la Loi canadienne de la santé seraient l’imposition d’un ticket modérateur sur les services déjà couvert par le régime public. Pour y arriver, la Chambre des communes devrait supprimer ou handicaper l’un des 5 principes de la Loi, celui de l’accessibilité. (Prémont, 2010)

Mais compte tenu des orientations de droite des conservateurs et de la présence à Québec d’un ancien conservateur en la personne de Jean Charest, il est certain que les pressions de la rue devront être soutenues et vigoureuses pour empêcher le tandem Harper-Charest de charcuter la Loi canadienne de la santé dans le but de permettre le ticket modérateur. Mais là n’est pas le seul enjeu.

Le principal champ de bataille est au provincial.

Depuis 2006, une nouvelle bibitte qui se nomme Centre médical spécialisé (CMS) sévit dans le réseau de la santé. Ces CMS sont ni plus ni moins des minihôpitaux spécialisés qui ont la permission d’effectuer des soins « médicalement nécessaire », donc en principe, couvert par la RAMQ. Ce sont ces CMS qui peuvent effectuer des chirurgies de la hanche, des genoux et de la cataracte. De plus, les CMS peuvent accepter que le patient ayant subi l’une de ces trois chirurgies soit couvert par une assurance privée. C’est le principe de l’assurance privée duplicative. Mais ce n’est pas tout.

Depuis 2007, ces CMS, ainsi que des laboratoires d’imagerie médicale peuvent fonctionner en société par actions, c’est-à-dire, être la propriété partagée de médecins, associés à des investisseurs privés. (Prémont, 2010)

Le principal danger est actuellement que le gouvernement du Québec autorise la pratique médicale mixte (privée-public), tout en élargissant le nombre de soins « médicalement nécessaire » ouvert à l’assurance privée duplicative. Si en plus le gouvernement ne règlemente pas les tarifs dans le secteur privé, on assistera à une accélération l’accroissement du marché des soins privés. En conséquence, et c’est le plus inquiétant, il y aura un transfert accru des ressources humaines et matérielles vers le réseau privé, aggravant du même coup les pénuries et les listes d’attentes dans le secteur public. Le plus choquant dans tout cela est que l’argent de nos impôts contribuera à financer l’industrie de la santé privée, comme cela se produit avec le réseau d’école privée.


Références :

PRÉMONT, M.-C. (2010). Les soins de santé a mari usque ad mare : les rôles du fédéral et des provinces face au financement privé, dans R. Bernier (dir.) L’Espace canadien : Mythes et réalités, une perspectives québécoise, Presses de l’Université du Québec, pp. 139-166.

Voir aussi : Une étude sur les impacts de l’assurance privée duplicative ailleurs dans le monde.

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