En effet, la fédération des barreaux, la cour de cassation et le conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) ont clos le débat juridique après avoir successivement constaté la fin du mandat de Jovenel Moise. Une analyse de cette mainmise de force sur le pouvoir ne peut se faire uniquement sous l’angle juridique et constitutionnel.
Si le pouvoir en place persiste à garder le pouvoir par la force des armes, il importe de chercher l’explication profonde en dehors de la sphère du droit et de la constitution haïtienne.
Le premier facteur explicatif de cette usurpation renvoie à l’appétit des bandits légaux du PHTK. Se réclamant du duvaliérisme, ils ne s’embarrassent pas des cadres institutionnels et légaux pour continuer à jouir du pouvoir. L’ex-premier ministre Lafontant n’avait pas clairement dit en 2017 que le PHTK a le pouvoir pour au moins quatre décennies !
Le second facteur correspond à l’appétit insatiable de l’oligarchie voulant à tout prix poursuivre son procès d’accumulation et ainsi mettre les masses urbaines et rurales dans une situation d’asservissement total. Ce processus ne fait que renforcer l’objectif de la bourgeoisie haïtienne qui depuis toujours consiste à déposséder et à exploiter sans la moindre considération les classes laborieuses de la société haïtienne.
Au lendemain du 7 février 2021, date mettant fin au mandat constitutionnel, le gouvernement se lance non seulement dans une campagne de terreur contre tous ceux et celles qui osent critiquer le choix de Moise de rester au pouvoir, mais il a également annoncé un nouveau cycle de dépossession des classes laborieuses et de la paysannerie.
Par le décret du 8 février 2021, le président de facto s’érige désormais à la fois en pouvoir exécutif, judiciaire et législatif.
Il donne en cadeau à la bourgeoisie locale une bonne partie de la réserve foncière agricole du pays, environ 8600 hectares de terre agricole dans les départements de l’Artibonite et de Plateau central.
Dans un pays où près de 40% de la population souffrent d’insuffisance alimentaire, cette large étendue de terre servirait à la production de stevia comme édulcorant au profit de la multinationale Coca Cola. Pour opérationnaliser le tout, le gouvernement Moise octroie à la famille Apaid, contractante auprès de la compagnie, une somme de 18 millions de dollars américains.
Un scandale sans nom : pendant que la faim se propage dans la population, au lieu de recapitaliser la production agricole locale, l’État met la réserve foncière agricole du pays à la disposition d’une compagnie multinationale. Comme d’habitude le Sud nourrit le Nord !
Les laquais locaux, individus de pouvoir, oligarchie, et des firmes multinationales s’enrichissent pendant que le peuple crève de faim.
Le pouvoir s’accorde au projet de l’international : l’utilisation du territoire national répond aux besoins d’une compagnie multinationale mais cette utilisation implique également l’exploitation d’une main d’œuvre corvéable à merci.
En usurpant le pouvoir, Jovenel Moise obéit avec zèle à cette demande et se donne déjà les moyens répressifs pour broyer tous ceux et toutes celles qui remettent en cause sa politique. La police nationale et les milices reçoivent leurs financements de l’oligarchie, des gouvernements américain, canadien et des pays de l’Union européenne.
Le soutien inconditionnel des pays capitalistes du centre au gouvernement de facto en Haïti constitue en fait un appui aux intérêts de leurs propres bourgeoisies qui brassent des milliards dans les multinationales.
C’est à travers l’exploitation des territoires et des peuples du Sud qu’elles engrangent de façon exponentielle leur fortune. Ce sont ces intérêts économiques qui expliquent le soutien des pays du Core group, dont les États-Unis, le Canada, l’UE, etc. au régime sanguinaire de PHTK en Haïti.
Loin d’être l’apanage de la droite néo-duvaliériste, cette politique pro-bourgeoise et antinationale s’inscrit dans le projet politique de tous les gouvernements qui n’ont pas un agenda populaire clair visant la transformation des structures vétustes de cet État corrompu.
C’est pourquoi la lutte contre ce gouvernement de facto doit s’articuler au nécessaire combat contre les capitalistes locaux et internationaux.
La décomposition des institutions montre clairement que l’État haïtien traditionnel ne peut plus être réformé. Les luttes sociales consistent aujourd’hui à construire un État souverain, capable de répondre aux besoins de la population.
Pour arriver à ce point, il est essentiel que le combat vise certes la justice et l’égalité sociales, mais aussi la souveraineté et l’autodétermination du peuple haïtien.
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