Yolanda Fresnillo est à l’initiative du projet « Haïti, les autres tremblements de terre en 210 ans et 1460 jours ». Au delà du tremblement de terre qui a touché Haïti il y a tout juste 4 ans (près de 1460 jours) et qui a accaparé l’attention des médias et de l’« aide » internationale, ce projet vise à rendre compte de ces autres « tremblements de terre », passés sous silence : le pillage, l’exploitation et les occupations dont le pays est sujet depuis son indépendance, il y a près de 210 ans. Vous pouvez soutenir le projet « Haïti, les autres tremblements de terre » (qui comprend notamment l’édition d’un ouvrage) sur http://goteo.org/project/haiti-otro... (crowdfunding jusqu’au 31 janvier 2014)
Vendredi 29 novembre, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de Port-au-Prince pour commémorer le massacre du 29 novembre 1987. « Un an après le départ de Duvalier |1|, des macoutes |2| ont ouvert le feu sur les citoyens rassemblés dans un bureau de vote à Port-au-Prince » |3|. La manifestation, convoquée par les partisans d’Aristide |4|, se dirigeait vers l’ambassade étasunienne, l’édifice diplomatique le mieux protégé de Port-au-Prince, pour dénoncer la connivence entre l’administration Obama et Martelly. « C’est seulement avec une note de l’ambassade américaine que Michel Martelly est arrivé au pouvoir ». La manifestation pro-Aristide fut fortement réprimée, dispersée par des grenades lacrymogènes et des tirs de balles en caoutchouc. Comme lors de la manifestation du 18 novembre. Ou presque, car le 18 novembre, les affrontements opposaient principalement les manifestants pro et anti-Martelly. Des manifestations au premier abord citoyennes mais sous l’influence des partis au pouvoir et de l’opposition, dans une période pré-électorale.
En effet, le gouvernement doit convoquer des élections sénatoriales. Le Sénat doit être renouvelé par tiers tous les deux ans. A la fin du mandat d’un tiers des sénateurs, le gouvernement n’a pas convoqué d’élections, tandis qu’un 2ème tiers voit son mandat arriver à terme. Si le président ne convoque pas d’élections pour renouveler le Sénat, celui-ci sera inopérant, laissant au gouvernement la possibilité de gouverner par décret, d’approuver des lois controversées telles que la future loi minière et la réforme du travail. L’opposition appelle à des élections dont personne ne sait quand elles se tiendront et utilise la colère de la population pour faire pression sur le gouvernement.
Deux jours auparavant, le 27 novembre, alors que nous quittions Port-au-Prince par la zone où se concentre la majorité des universités, nous sentons ce picotement, devenu familier, aux yeux et à la gorge. La police réprime une manifestation étudiante. Une autre manifestation ? demandai-je innocemment. On me répond : Il y en a presque tous les jours. En effet, j’avais été témoin la veille d’une manifestation pour un salaire minimum |5|.
Le pays est ainsi traversé de protestations mais dans un contexte très marqué par les intérêts politiques et électoralistes. Tous les mouvements sociaux n’appuient pas toutes les mobilisations. Il faut veiller à bien savoir à qui tu accordes ton soutien. Et le labyrinthe politique haïtien est complexe.
Manifestation du 18 novembre
Le 18 novembre des milliers d’Haïtiens ont gagné les rues de Port-au-Prince et d’autres villes importantes du pays comme Les Cayes et Cap Haïtien. La revendication principale : la démission du gouvernement de Martelly. La réalité qui la sous-tend : des inégalités criantes, un gouvernement corrompu, une paupérisation de la majorité appauvrie, un divorce entre cette partie de la population et le gouvernement. Les indignés haïtiens prennent aussi la rue.
A deux ans et demi de son élection, Martelly est perçu par une bonne partie de la population comme un corrompu aux tendances autoritaires, qui gouverne avec et pour l’élite du pays. Avec le soutien des États-Unis et de l’Europe, Martelly s’est imposé lors d’élections non exemptes de polémiques où la participation n’a pas même atteint 30%. Malgré les pressions exercées par les Nations unies elles-mêmes |6|, son gouvernement n’a pas présenté le budget 2014 et postpose depuis un an et demi les élections partielles du Sénat, prétextant la promotion d’une nouvelle loi électorale. La ’Communauté internationale’ est à nouveau préoccupée par la stabilité à Haïti |7| tandis que Martelly et ses hommes semblent davantage préoccupés de se maintenir au pouvoir.
En mai dernier, le Sénat a voté une résolution en faveur du retrait de la MINUSTAH (les Casques bleus) d’Haïti. Cependant, le 11 octobre, le Conseil de Sécurité de l’ONU a renouvelé pour un an la présence des militaires étrangers (comme il fait depuis le coup d’État contre Aristide en 2004) afin de « maintenir la stabilité et la paix dans le pays », à la demande, dit-il, du gouvernement, qui semble être le seul à vouloir de ces forces d’occupation dans le pays.
Au niveau économique, les Haïtiens ne voient pas les fruits des milliards que la ’coopération internationale’ a destiné à Haïti (du fait de l’incompétence institutionnelle ou de la coopération internationale elle-même). « Le dernier budget prévoyait des coupes de 30% dans la santé, 20% dans l’agriculture et 30% dans l’éducation tandis que le budget du Palais National augmentait de 300% » relève Vicent Martelly, directeur de Oxfam à Haïti. La paupérisation massive de la majorité de la population (70% de la population, près de 7 millions de personnes, sont en situation d’insécurité alimentaire), la banalisation de la corruption et l’accumulation de richesse par quelques-uns attisent les protestations, qui semblent être instrumentalisées par l’opposition politique.
Les manifestations ce 18 novembre à Cap-Haïtien ont tourné à l’affrontement avec la police |8|. Des journalistes locaux ont dénoncé avoir été attaqués par la police et par des manifestants pro-Martelly et qu’un manifestant a reçu un tir à balle réelle. Certaines sources font état de 5 blessés |9|. A Port-au-prince, la police a dispersé la manifestation, forte de 10 000 personnes, alors qu’elle se dirigeait vers Pétionville, le quartier riche où réside le président |10|. Les gaz lacrymogènes, les sirènes, les jets de pierres et de bouteilles à la police par certains manifestants, ont entravé la relative tranquillité de Pétionville, qui contraste avec le reste de la ville et particulièrement avec les bidonvilles qui l’entourent.
Les manifestions du 18 novembre coïncidaient avec la commémoration de la bataille de Vertières, le 18 novembre 1803, lors de laquelle l’armée haïtienne, avec à sa tête Dessalines, mit en échec les forces de Napoléon, et à l’issue de laquelle l’indépendance d’Haïti fut proclamée (rappelez-vous, premier pays libre d’Amérique latine |11|, peuplé d’esclaves qui se sont libérés eux-mêmes). La Force patriotique pour le respect de la constitution (FOPARC), une organisation pro-Lavalasse (le parti de l’ex-président Préval) qui appelait à rejoindre cette mobilisation, affirme qu’elle représente un « second combat après celui de Vertières » |12|.
Source : Haití, los otros terremotos
Notes
|1| Président de 1971 à 1986.
|2| Les macoutes sont les membres de la milice paramilitaire des « Volontaires de la Sécurité Nationale » en Haïti, créée à la suite d’un attentat contre le président François Duvalier, le 29 juillet 1958. Elle sera ensuite employée par son fils et successeur Jean-Claude Duvalier.
|4| Aristide fut président de la République d’Haïti en 1991 puis de 1994 à 1996 et de 2001 à 2004 avant son départ en exil le 29 février 2004 à la suite d’un coup d’État.
|5| http://haitiotrosterremotos.info/lang/en/las-oprimidas-y-los-500-gourdes/
|7| http://internacional.elpais.com/internacional/2013/11/16/actualidad/1384570893_713033.html
|8| http://rapadoo.com/2013/11/18/anti-government-protesters-march-in-haiti-abc-news/
|9| http://www.lematinhaiti.com/contenu.php?idtexte=37050&idtypetexte=
|11| http://haitiotrosterremotos.info/lang/en/un-poco-de-historia-para-empezar/
|12| http://www.alterpresse.org/spip.php?article15489#.UrMekPjl0dp