Édition du 12 novembre 2024

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Haiti

Haïti : la communauté internationale à contre-courant +Madame Lalime et la gamine de Duvivier

Le 7 février 2021, le mandat du président Jovenel Moïse est arrivé à son terme. Mais celui-ci prétend demeurer un an de plus, le temps d’organiser un référendum constitutionnel et des élections. S’il se heurte à l’opposition de la majorité de la population, il peut compter sur le soutien de la communauté internationale.

tiré de : Entre les lignes et les mots 2021 - Lettre n°7 - 13 février : Notes de lecture, textes, pétitions
Publié le 10 février 2021

L’échéance du 7 février 2021 catalyse la reprise des manifestations d’un mouvement social, qui a connu son point d’orgue en 2018-2019, sans pour autant ne s’être jamais éteint. Selon la Constitution haïtienne, les mandats des parlementaires et du président commencent le 7 février de l’année électorale, et non le jour de leur investiture. C’est d’ailleurs, en vertu de ce principe, que le président, Jovenel Moïse, qui n’avait pas organisé d’élections, a renvoyé les députés et les deux-tiers des sénateurs début 2020. Depuis lors, il gouverne par décret. Mais, il prétend que son propre mandat a débuté le jour où il a prêté serment, le 7 février 2017, et qu’il restera donc au pouvoir encore un an, le temps d’organiser un référendum constitutionnel et des élections.

Une communauté internationale à contre-courant

Parmi les manifestations qui se multiplient dans tout le pays, celle du vendredi 22 janvier 2021 avait ceci de particulier que, contrairement à l’accoutumée, elle ne fut pas violemment réprimée par la police. Il faut dire qu’elle était menée par différents chefs des gangs armés – leurs photos devaient circuler sur les réseaux sociaux –, parmi lesquels : Jimmy Chérizier, alias Barbecue, le principal d’entre eux. Ancien policier, chef d’une coalition de bandes armées, le G9, ce dernier est impliqué dans plusieurs massacres, dont celui, en novembre 2018, de La Saline, un quartier populaire de la capitale, où 71 personnes ont été abattues.

Que cet individu, censé être l’homme le plus recherché en Haïti, puisse ainsi tranquillement parader dans les rues de la capitale, Port-au-Prince, en dit long sur la collusion, dénoncée par plusieurs rapports nationaux et internationaux de droits humains, entre les gangs et le pouvoir. L’hypocrisie et l’absurdité de sa participation à une manifestation contre les enlèvements, dont il est l’un des principaux responsables, ne sont-elles pas à l’image de l’attitude de la communauté internationale vis-à-vis d’Haïti ?

Tandis que, depuis plus de deux ans, le pays est secoué par un mouvement social inédit contre l’appauvrissement (plus de 59% des Haïtiens vivent sous le seuil de pauvreté) et la corruption – mise en évidence par le scandale Petrocaribe –, d’abord, l’incurie du pouvoir et sa complicité avec les gangs armés, ensuite, qu’a fait la communauté internationale ? Elle s’est alignée sur Washington, et a soutenu le président. La corruption et les violences, dont la responsabilité remonte jusqu’au sommet de l’État, et l’impunité qui les couvre ? Elle les regrette et les condamne, appelant le gouvernement à réagir… enfin. Et en vain. Mais il est vrai qu’un massacre en Haïti soulève moins d’indignation dans les chancelleries occidentales que l’arrestation d’un opposant au Venezuela.

Fin janvier, le Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH) déclarait qu’elle apporterait un appui technique, opérationnel et financier à l’organisation du référendum et des élections. C’était confirmer et cadenasser la stratégie poursuivie, au mépris du droit et du peuple haïtien. Ainsi, cette décision ignorait superbement la position de la Fédération des Barreaux d’Haïti, affirmant que le président a « ouvertement abusé de la situation », et que son mandat doit prendre fin le 7 février 2021, ainsi que celle de la Cour des comptes, qui ne reconnaît pas la légalité du Conseil électoral provisoire, « sous le leadership » duquel l’ONU travaillera. Sans compter l’interdiction de tout référendum par la Constitution haïtienne.

Comment, d’ailleurs, de telles consultations pourraient-elles être libres et démocratiques dans un climat de violence, où les gangs sévissent et contrôlent nombre de quartiers de la capitale, et alors que la majorité de la population s’y oppose ? Car la position du BINUH constitue aussi une gifle aux acteurs de la société civile haïtienne, qui, des syndicats aux mouvements de femmes, des organisations de droits humains à la Conférence épiscopale, des Petrochallengers aux organisations étudiantes et paysannes, s’opposent au maintien au pouvoir de Jovenel Moïse.

Et nous ?

Début février, une grève générale, largement suivie, était organisée par une coalition d’une trentaine de syndicats, appelant le peuple à la rébellion, et la communauté internationale « à cesser de supporter un régime criminel et inconstitutionnel ». Cet appel commence enfin à trouver quelque écho à l’international par le biais, notamment, de la campagne Stop silence Haïti, qui regroupe une centaine d’organisations, dont la Confédération syndicale internationale et les plateformes européennes de paysans (Via Campesina) et d’ONG travaillant avec Haïti (Co-EH). Quatre eurodéputés verts, français et allemands, s’en sont récemment saisis pour interpeller le parlement européen.

Chaque jour qui passe après le 7 février 2021, avec Jovenel Moïse à la tête du pays, est une chance de perdue pour briser le cycle de dépendance et d’impunité. Ce qui se passe en Haïti n’est pas le spectacle d’un lointain chaos, plus ou moins barbare. Encore moins la démonstration de l’incapacité des Haïtiens – ou des Noirs, en général – de se gouverner. C’est le miroir de notre silence et de notre échec à contrôler les acteurs internationaux qui agissent en notre nom. Cela fait plus de deux ans maintenant que la population de ce pays s’est soulevée, avec courage et ténacité, pour réclamer justice, pour exiger de vivre dignement. Les Haïtiennes et Haïtiens refusent d’être gouvernés par le mépris et les diktats. Et nous ?

Frédéric Thomas

https://www.cetri.be/Haiti-la-communaute-internationale

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Madame Lalime et la gamine de Duvivier

Dans la région de Duvivier, au nord de Port-au-Prince, une adolescente est décédée, tuée par une balle à la tête. Comme dans Souvenir de la nuit du quatre, de Victor Hugo, « l’enfant n’a pas crié vive la République ». Elle était juste au mauvais moment, au mauvais endroit. Dans un de ces quartiers où le banditisme est au service d’un pouvoir assassin. On l’avait dit : aujourd’hui dans l’illégalité la plus totale, Jovenel Moïse n’a plus que les armes pour tenter de se maintenir au pouvoir.

C’était prévisible. Des Haïtiens l’avaient prévu, en avaient parlé aux diplomates, aux journalistes étrangers, à la classe des affaires en Haïti. Tout ce monde avait refusé d’entendre à quel point étaient réels dans la conscience populaire le refus de continuer dans la parodie de démocratie formelle, les revendications pour la justice sociale et la justice tout court. Combien le spectacle de la gabegie et l’horreur des massacres perpétrés dans les quartiers populaires rendaient toute acceptation du pouvoir de Jovenel Moïse et du parti PHTK impossible.

Nous étions nombreux, impliqués dans la vie civile et politique, à leur dire que des gens allaient mourir, qu’on courait droit à un nouveau macoutisme en réponse aux revendications populaires.Mais nous ne sommes que des Haïtiens, qu’avons-nous à dire sur les affaires d’Haïti !

Il est connu que ce qui vaut pour ailleurs ne vaut pas pour Haïti. Le pouvoir viole la Constitution, qu’est-ce qu’une Constitution haïtienne ? D’ailleurs celle-là n’est pas bonne. Elle a été rédigée par des Haïtiens. Nous avons des experts qui leur en feront ne bonne. En attendant, celle-là, que le pouvoir la jette à la poubelle. Rien de grave.

Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire a proclamé la fin du mandat présidentiel de Jovenel Moïse le 7 février 2021. Mais qu’est-ce qu’un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire haïtien ? La nouvelle rapportée par un certain nombre de médias étrangers n’a pas été cet acte de droit de la plus haute instance, garante du mot du droit. Elle a été plutôt une prétendue tentative de coup d’état contre le « président » Jovenel Moïse. Elle n’a pas été non plus l’arrestation et l’humiliation publique d’un juge à la Cour de Cassation, la violation des droits élémentaires d’un groupe de citoyens exposés comme des bêtes sous prétexte de tentative d’assassinat d’un « président » qui détient le monopole des armes. Aujourd’hui elle ne sera pas la fermeture des locaux de l’Ecole de la Magistrature et de la Cour de Cassation. Elle ne sera pas non plus la mort de cette gamine que des gangs pro-Jovenel ont assassinée.

Elle ne sera pas non plus qu’on ne peut plus parler de ministres, de police nationale. Il n’y a plus que des hommes en armes, les uns portant des uniformes, d’autres pas, qui répriment. Sous Duvalier, on avait entendu un président de la Croix Rouge dire que pour défendre son chef, « je ferai de Port-au-Prince un Himalaya de cadavres ».

Les déclarations des pro-Jovenel ne sont pas loin : c’est Jovenel ou votre mort. La gamine de Duvivier n’avait peut-être pas entendu la menace, trop naïve pour y croire.

Quelle honte ! Et quel racisme ! Y a-t-il un autre mot ?

De la part de la classe des affaires, de certains des plus riches et des plus importants de ses membres, en tout cas. Peur du peuple. Peur du changement. Absence de volonté d’une vraie république, même capitaliste. La richesse par la rente, par l’absence de normes. Alors, le peuple… pas un acteur politique important. Le « blanc » et le pouvoir en place. Faire avec. Pour ses grandes et petites affaires.

De la part de la « communauté internationale ». Comment la représentante du Secrétaire général des Nations Unies a-t-elle pu avaliser la folie dictatoriale de Jovenel Moïse ? Comment les ambassades et les institutions internationales ont-elles pu accorder leur soutien objectif à cette folie meurtrière ? Mépris total des analyses faites par les Haïtiens, chercheurs, intellectuels ou simples citoyens. Mépris total du peuple haïtien jugé sans doute incapable de penser sa réalité. Besoin de tranquillité pour continuer à mener leur politique de coopération à leur guise : Jovenel Moïse les laisse faire et en retour ils le laissent faire.

Tout ce monde ne parle sans doute même pas créole. Et surtout, la réalité des souffrances d’un peuple qui réclame ses droits les intéresse moins que le faire-valoir. Ailleurs, quand le peuple est dans les rues, il se bat pour la démocratie. En Haïti, quand le peuple est dans la rue, il ne sait pas ce qu’il fait. Ou l’opposition l’y a poussé avec de l’argent. Comme si « l’opposition », la pauvre, disposait de ressources plus grandes qu’un président qui dirige par décret, parmi lesquels un décret retirant ses pouvoirs à la Cour supérieure des comptes, organe de contrôle de l’usage des finances publiques.

Cette politique en deux poids deux mesures s’explique facilement. Ayant depuis trente ans placé la vie politique d’Haïti sous pilotage automatique, financé élections truquées après élections truquées, les représentants de la « communauté internationale » en Haïti ont besoin du faire-valoir d’une démocratie qui fonctionne.

« La démocratie qui fonctionne  » a tué une gamine dans le quartier de Duvivier. Elle en tuera d’autres. Des adultes aussi. Elle arrêtera des juges, des intellectuels, peut-être un jour l’auteur de cette chronique. Elle répandra la terreur en attaquant des résidences privées, en organisant des cambriolages qui tournent au meurtre. Elle mettra fin à toute vie institutionnelle. Madame Lalime écrira peut-être dans ses mémoires pourquoi elle a fait que les choses en arrivent là, pourquoi fallait-il que cette gamine meure.

Lyonel Trouillot

https://lenouvelliste.com/article/226168/madame-la-lime-et-la-gamine-de-duvivier

https://blogs.mediapart.fr/francois-bonnet/blog/090221/haiti-lappel-de-lecrivain-lyonel-trouillot

Frédéric Thomas

auteur pour le site Mémoire des luttes.

http://www.medelu.org

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