Au lendemain du tremblement de terre, nous assistions pourtant à un réveil extraordinaire de la solidarité du peuple haïtien. Sensible à la crise alimentaire qui sévissait dans les centres urbains, le secteur paysan tentait par tous les moyens possibles de contribuer aux efforts humanitaires. Les institutions dominantes, tant les organisations
internationales que l’État haïtien, ont néanmoins tout fait pour marginaliser cette solidarité. Alors que l’État se réfugiait dans un attentisme le plus complet, les institutions financières internationales mandataient 90 « experts » internationaux pour développer le plan d’action pour le relèvement et le développement d’Haïti.
Adopté par l’ONU en mars 2010, sans aucune consultation des organisations haïtiennes, ce programme de reconstruction ne reflète en rien les expériences de solidarité vécues au lendemain du séisme. Il s’inscrit plutôt en ligne droite avec les politiques néolibérales imposées à Haïti depuis 25 ans, renforçant par le fait même la crise que vit le pays.
Le cadre de ce plan, en priorisant le secteur privé et en demandant à l’État de privatiser les institutions publiques, empêche une bonne intervention de l’ensemble des acteurs.
Après les politiques néo-libérales des années 1990, les occupations militaires de 1994 et de 2004, le plan d’action complète la recolonisation du pays. L’arrivée massive d’organisations non gouvernementales (ONG) étrangères (plus de 12 000, selon l’Union européenne) a engendré une conjoncture favorisant la substitution et le remplacement des acteurs haïtiens. Nos meilleurs intervenants humanitaires sont relégués à des rôles de sous-fifres, parfois sous la direction de jeunes stagiaires dans la vingtaine qui, inévitablement, manquent d’expérience. Les ONG internationales entreprennent leurs propres campagnes de plaidoyer, sans s’inspirer suffisamment du travail entrepris par nombre d’organisations haïtiennes de développement ou de défense des droits de la personne.
Les « expats », ces étrangers de l’humanitaire qui définissent aujourd’hui les stratégies de reconstruction d’Haïti, engouffrent une large part des sommes consenties par les pays donateurs. Dans certains projets, on constate que jusqu’à 65% des budgets sont alloués aux salaires et autres avantages des étrangers.
L’année 2010 aura été des plus traumatisantes. Au séisme se sont ajoutés l’ouragan Thomas, les inondations qui ont suivi, puis une épidémie de choléra, sans précédent, importée par des militaires népalais de la MINUSTAH. Nous avons néanmoins constaté beaucoup de vigueur du mouvement populaire,même s’il n’a pas encore atteint l’ampleur de l’élan des années suivant le départ de Duvalier.
Les élections, largement imposées par l’étranger, n’auront pas assouvi le désir du mouvement populaire d’une reconfiguration du milieu politique permettant une réelle sortie de crise. Moins de 22% de la population s’est rendue aux urnes lors du premier tour électoral [1], déçue qu’aucune offre politique adéquate ne soit offerte par les différents candidats, notamment en matière de droits fonciers et du nouveau Port-au-Prince. Les Haïtiens et les Haïtiennes veulent la constitution d’un régime politique qui tienne compte de la nécessité de vaincre l’exclusion et de changer profondément la distribution des revenus. Il est temps d’avancer vers de véritables solutions de rechange au système de domination actuel.
Camille Chalmers est Professeur d’économie à l’Université d’État d’Haïti, l’auteur est directeur de la Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (PAPDA).
(tiré de Perspectives CSN - Mars 2011)