Édition du 17 décembre 2024

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Génocide ou pas : qui est juge et quel droit s’appliquera ?

Dans notre imaginaire, nous comprenons souvent le génocide comme un acte intentionnel et délibéré, exécuté à vaste échelle, visant à faire disparaitre un groupe particulièrement défini. Par “faire disparaitre”, nous pensons à des machettes et des chambres à gaz. Nous pensons à des camps de concentration et à des législations formalisant les disparitions.

Tiré du site web d’Alternatives.

Le terme “génocide” semble être entré dans le vocabulaire au milieu du 20e siècle. Dans ses sillons sanglants s’est dessinée une volonté législative de le prévenir. Souvent trop tard. Souvent après-coups. Mais vers où se tourner ailleurs que vers le Droit pour prévenir, surveiller et punir ?

Entre en scène alors la définition juridique du génocide. Pour le prévenir, encore faut-il le définir. Pour le punir, aussi, encore faut-il le définir.

Décembre 1948. L’Assemblée générale des Nations-Unies adopte la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Pour prévenir.

À son article II, la définition en droit international du génocide.

"... le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe."

En 1998, la Cour pénale internationale est mise sur pied. Pour punir. Le Statut de Rome, le traité international qui lui donne naissance, reprend la même définition de génocide. Depuis, différents États l’ont repris à différents degrés et même quelque fois en ajoutant d’autres critères.

À la base, ces définitions sont juridiques. En d’autres termes, elles servent à donner un statut juridique aux mortalités de masses qui passent à l’histoire. Impossible, donc, de les séparer du contexte historique dans lesquelles elles trouvent genèse. Ou ancrage.

Une définition juridique trop stricte court le risque de ne couvrir que des cas de figure passés au lieu de prévenir un drame historique futur. Une définition juridique trop large risque de ratisser trop loin et finirait par banaliser le drame.

Le débat est sain. Après tout, l’objectif de définir le génocide dans la loi est de créer des conséquences au génocide dans la loi. D’un point de vue de droit criminel et droit international, il est certes crucial de peser les mots, comprendre les virgules et cumuler les alinéas. Quelqu’un quelque part en sera accusé. Quelqu’un quelque part en répondra. L’accusé fera face à la pire accusation, le prime crime, la pire connotation greffée à quelconque intention.

Comment alors ressentir autre chose qu’un malaise lorsqu’un rapport de 1200 pages résultant de deux ans de travaux affirme qu’un génocide a lieu ici, dans notre société, tous les jours ?

Et quelles sont nos portes de sortie face à ce malaise ?

Une des portes se résume au déni. Inconcevable est-il que la pire accusation, le pire crime et la pire intention puissent avoir eu lieu aussi souvent si proche de nos vies. À quelques mètres d’une station de métro, à quelques kilomètres de nos centres urbains. Là, directement chez nous. Dans notre cour.

Alors que faire pour se conforter dans ses idées ?

Se comparer.

Ici, pas de camps de concentration, pas de chambre à gaz, pas de listes officielles de citoyens de seconde ou tierce classe. Rien de tout cela. Aucun indice dans notre cour de l’ampleur de tout ce qui se trame devant nos yeux envers et malgré nous.

Alors, ça n’existe pas.

Il est vrai, après tout, que seul un tribunal de droit ayant juridiction peut décider ce qu’est génocide au sens de la loi.

Une autre porte de sortie consiste à lire le rapport. Bêtement. Et si le rapport est trop long, alors lire ses 231 recommandations pour une meilleure société pour les femmes autochtones. Si les recommandations sous forme de point manquent trop de contexte, alors lire le rapport complémentaire sur le Québec. Si le rapport complémentaire est trop ponctué de récits individuels, alors regardez les cartes en lignes meublées par des utilisateurs sur les disparitions et meurtres de femmes autochtones dans nos quartiers. Si la carte est trop près de la maison, alors lire les données de Statistiques Canada sur le taux de violence ciblant les femmes autochtones. Ainsi de suite. Ad nauseam.

Nous ne manquons pas de raisons, de données, d’analyses pour conclure qu’il y a un problème et que ce problème fait des femmes, filles et personnes queers autochtones des victimes physiques. Elles meurent. Violemment. Et sous silence. Depuis des décennies.

Pour certains, ce problème peut être choquant, mais pas aussi choquant que son étiquette de génocide.

Ainsi, nous continuons à forcer l’analyse comparative des génocides. Pas de machette. Pas de camps de concentration. Pas de chambres à gaz. Pas de législations formalisant les disparitions.

Se pose alors la question de savoir à qui sert le point de fuite comparatif ? Quels intérêts sont servis en comparant les génocides pour mieux se convaincre qu’il n’y a pas de génocide ici, dans nos cours arrières ?

Le rapport n’est pas un jugement, ni une sanction contraignante, ni un projet de loi. Il n’est pas rédigé par des juges. Il n’émane pas d’une instance avec un pouvoir contraignant de prévenir, de surveiller ou de punir.

Le rapport est un pavé. Dans la marre de nos idées. Il bouscule. Et il doit bousculer. Voulons-nous vraiment entendre parler du fait que des femmes autochtones disparaissent dans un mélange abject de violence et de générale indifférence sans être bousculé-e ?

Il me semble que nous perdons beaucoup de nuances et d’introspection à vouloir comparer les génocides pour mieux démontrer qu’il n’y a pas de génocide.

Je vous suggère une autre porte de sortie. Celle de voir ce rapport comme l’occasion de se poser de sérieuses questions sur la sécurité des femmes et des filles autochtones et de s’engager dans un autre virage pour éviter la falaise. Il me semble également que nous devons comprendre ce rapport comme une mise en garde formelle nous forçant à revoir notre pensée avant qu’il ne soit trop tard, avant d’attribuer rétroactivement les blâmes.

Car une fois au bord de la falaise, nous reconnaîtrons tous qu’il s’agissait d’une situation historique de mortalités de masses rattachées à des facteurs identifiants précis de genre et de race.

Bref, d’un génocide.

Arij gazouille sur @helloarij

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