Pour le secteur gazier, c’est une affaire digne de Wikileaks qui commence. Dans son édition du 26 février, The New York Times publie un très sévère réquisitoire contre l’exploitation des gaz non conventionnels (GNC) aux États-Unis. Le sujet n’est pas nouveau. Mais, cette fois, la charge est des plus sérieuses. Car, en complément de son long article, le quotidien new-yorkais publie 30,000 pages de rapports secrets de l’agence de protection de l’environnement (EPA), de l’industrie gazière et des régulateurs. Une volumineuse collection de documents inédits que le site du journal met à la disposition des internautes.
Qu’apprend-on en épluchant cette documentation fraichement exhumée ? D’abord, l’importance des gaz non conventionnels dans l’approvisionnement énergétique des États-Unis. En 2010, 493,000 puits fournissaient 50% du gaz naturel consommé outre-Atlantique. En 2030, rappelle l’EIA (le service de statistiques du ministère américain de l’énergie, ndlr), les deux tiers des molécules américaines seront extraites de ces gisements non conventionnels. Sidérant, si l’on se souvient que cette production était encore marginale il y a une dizaine d’années.
Ensuite, les ravages de cette industrie. Plus de 9 puits sur 10 ont utilisé (ou utilisent toujours) l’hydrofracturation. Cette technique consiste à injecter de l’eau dans la roche prospectée. Sous la très forte pression (100 bars), les fissures préexistantes s’ouvrent davantage, facilitant le drainage des (petites) poches de gaz. Car, c’est tout le problème de ces GNC. Qu’il s’agisse de gaz de schiste, de charbon ou compacts, ces gisements sont généralement de très petites tailles. Ce qui oblige les compagnies gazières à forer un grand nombre de puits pour produire des volumes conséquents d’hydrocarbures.
Pour arriver à leurs fins, les foreurs utilisent de très grandes quantités d’eau (jusqu’à 15 millions de litres pour un seul puit). Une quarantaine de puits peuvent ainsi consommer autant d’eau que Paris en une seule journée. Mélangée à du sable (pour maintenir les fractures ouvertes et faciliter le drainage du gaz) cette eau contient aussi des additifs chimiques, destinés à tuer les bactéries, faciliter le passage du sable et accroître la productivité du puits. Ces additifs sont riches en sels corrosifs et en produits cancérigènes comme le benzène.
A force de creuser, les foreurs traversent parfois des terrains comprenant des minerais radioactifs (uranium, radium). Une radioactivité qui finit par remonter. De 10% à 40% de l’eau et des déchets de forage (boues, sables) sont ramenés en surface pour, officiellement, y être traités. Ce qui explique, en partie, la noria de camions qui s’agite autour de chaque forage.
En Pennsylvanie (où l’on décompte un puits actif pour 1,6 km2), indique The New York Times, plus de la moitié des eaux de forage sont envoyées dans des stations de traitement d’eaux usées classiques avant d’être rejetées dans le Delaware, le Susquehanna, le Monogahela, l’Allegheny ou l’Ohio.
Problème : l’activité de l’eau remontée de bon nombre de puits est particulièrement élevée. Selon des relevés officiels publiés par le quotidien, une dizaine de puits rejette une eau dont l’activité alpha globale dépasse les 500 becquerels par litre. Pour mémoire, en France, la valeur guide d’activité alpha globale, fixée par l’arrêté ministériel du 11 juin 2007, est de 0,1 becquerel/litre.
Certes, il peut paraître audacieux de faire respecter à des déchets une norme relative à l’eau potable. Rien n’est plus vrai dans l’absolu. Mais, souligne le quotidien, les stations de traitement utilisée outre-Atlantique ne sont pas équipées pour traiter des résidus radioactifs. Toujours contaminée, l’eau rejetée dans les fleuves peut être ensuite captée pour produire de l’eau… potable. Hypothèse d’école ? Pas si sûr.
Plusieurs rapports soulignent que l’eau radioactive n’est pas toujours très bien diluée, qu’elle soit rejetée en rivière ou en mer. Une étude, menée en Louisiane, en 1990, sous l’égide de l’American Petroleum Institute, montre ainsi que les personnes consommant du poisson pêché à proximité d’un émissaire rejetant des eaux « gazières » présentent un risque élevé de cancer. Interrogée par les journalistes, l’auteure de l’étude, Anne Meinhold, aujourd’hui experte à la NASA, craint que les rivières diluent encore moins bien que le Golfe du Mexique la pollution radioactive.
Une opinion partagée par des chercheurs de l’EPA. En 2009, dans une note confidentielle, ces experts anonymes doutent de la capacité des cours d’eau de Pennsylvanie de diluer suffisamment le radium des eaux de forage.
D’une façon générale, certaines nappes phréatiques du Colorado, de l’Ohio, de la Pennsylvanie, du Texas et de la Virginie occidentale sont aujourd’hui polluées par les déchets de l’extraction des gaz non conventionnels.
Mais l’eau n’est pas tout. En 2009 et pour la première fois de son histoire, l’État du Wyoming n’a pu respecter les normes fédérales de qualité de l’air. En cause : les émissions de benzène et de toluène des 27,000 puits de GNC en exploitation dans l’ Equality State. Dans le comté de Sublette (Wyoming toujours), on a mesuré, en 2009, des teneurs en ozone supérieures à celles enregistrées à Houston ou Los Angeles : le benzène et de toluène sont des précurseurs à la formation de l’ozone de basse altitude.
Fiers de leur 93,000 puits, les Texans en subissent les conséquences. Dans six comtés du Lone Star State, les médecins ont constaté, l’an passé, que le quart des enfants soufrent d’asthme : 3 fois plus que dans le reste de la population texane.
Cet article est tiré du site web du Journal de l’environnement