Déclaration syndicale
En décembre 2013, le gouvernement Marois a demandé une étude indépendante afin d’évaluer le potentiel économique des hydrocarbures en milieu marin (Old Harry et le banc des Américains). Ce fut le coup d’envoi pour la sortie de deux manifestes aux orientations divergentes.
Comme organisation syndicale, nous reconnaissons que l’utilisation des hydrocarbures est une des grandes causes de la crise environnementale mondiale. Ainsi, nous considérons qu’une transition énergétique est nécessaire. Celle-ci consiste à utiliser plus d’énergies propres et renouvelables. Ce virage, important et pressant, il faut le faire pour les générations futures. Il faut agir selon les principes du développement durable, qui réconcilie les enjeux environnementaux, économiques et sociaux.
Toute l’histoire du mouvement syndical est marquée par la défense et la promotion du développement économique et social, par cette volonté d’améliorer la qualité de vie et par son incorrigible souci d’assurer le partage des fruits du progrès et de la richesse créée. Dans le débat qui agite le Québec autour de l’exploration et de l’exploitation des potentielles ressources pétrolières dont serait pourvu notre sous-sol, tant terrestre que maritime, notre vision reste aussi fondée sur les mêmes assises : le développement, le progrès et le partage.
Une première question se pose donc. L’exploration et l’exploitation du potentiel pétrolier québécois constituent-elles une urgence telle qu’elles doivent se déployer dans la précipitation et l’incertitude ? Dans l’immédiat, le Québec, pas seulement l’État du Québec, mais sa population entière fait face à des choix qui, forcément, marqueront son avenir. Rien de théorique ! Trois projets d’envergure qui visent l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures à l’île d’Anticosti, dans le golfe du Saint-Laurent et en Gaspésie sont sur la table. Nous connaissons l’engouement que peuvent soulever de tels projets et le potentiel de développement économique dont ils pourraient être porteurs, particulièrement pour les régions. Nous savons aussi que le pétrole, le gaz et les autres hydrocarbures importés représentent 50 % de notre bilan énergétique et que cela pèse lourd, notamment, dans la balance commerciale du Québec. Nous sommes aussi tout à fait à même de prendre la mesure de l’état des finances publiques du Québec ; nous sommes conscients qu’il pourrait devenir impérieux de trouver de nouvelles sources de financement pour assurer la pérennité des services publics. Défi d’autant plus grand que la population vieillit. Nous le savons. Voilà pourquoi, encore une fois, le camp du oui pourrait être le nôtre si, et seulement si, l’exploitation des hydrocarbures obéit à des conditions strictes.
Toutefois, il faut reconnaître que, sans toutes les garanties suffisantes, ces projets comportent des risques dont il faut prendre la pleine mesure. Notre devoir et notre responsabilité collective nous imposent de prendre les bonnes décisions. Nous devons nous assurer de préserver les ressources du Québec dont nous sommes les dépositaires. Pour nous, pour nos enfants et ceux qui les suivront. L’objectif de léguer un Québec en meilleure posture financière doit nécessairement être subordonné à celui de laisser aux générations à venir un territoire à façonner pour elles-mêmes.
Une réflexion globale
Toute analyse sensée et rigoureuse doit tenir compte de l’ensemble des tenants et aboutissants. En l’occurrence, l’évaluation des retombées de cette filière énergétique est beaucoup plus complexe que ce que l’on tente de nous faire croire. L’exploration et l’exploitation éventuelle du pétrole au Québec n’offrent aucune garantie quant à son effet sur l’économie, dont celle hautement escomptée sur le déficit commercial, puisqu’à ce moment-ci, aucune étude sérieuse n’a démontré l’ampleur de ce potentiel.
De même, nous ne savons toujours pas comment le gouvernement entend s’assurer que nos ressources pétrolières, s’il devait y en être, ne seraient pas pillées aux seuls bénéfices des entreprises privées. Peut-on foncer à brides abattues dans un tel développement sans savoir d’abord si le jeu en vaut vraiment la chandelle ? Sans que le gouvernement s’engage à assumer toutes les responsabilités qui sont les siennes lorsque l’on parle de ressources ? Sans savoir si ceux qui en tireront les profits ne le feront pas sous forme de dividendes ou de redevances versés à même les risques que le Québec prendrait collectivement ?
Les comptes doivent être faits et bien faits. Dans la colonne des actifs, une ressource potentielle, une promesse indéterminée de croissance et des revenus hypothétiques pour l’État. Dans la colonne des passifs, une incertitude quant aux réelles retombées économiques du développement de cette filière énergétique, un risque encore très mal évalué pour l’environnement et les écosystèmes, une détérioration possible de la qualité de vie de communautés entières.
Si aucune étude ne peut nous permettre à ce jour de prendre la juste mesure de ces risques, nous savons ce qu’il en a coûté à d’autres de s’y engouffrer. Pour mémoire, les puits de Lakeview aux États-Unis et le déversement de 9 millions de barils, Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique et les 4,9 millions de barils déversés dans les eaux, une catastrophe pour laquelle des milliards de dollars sont nécessaires ne serait-ce que pour tenter de rétablir les équilibres écologiques détruits. Et si ça n’arrivait pas qu’aux autres ? Que devrions-nous inscrire dans la colonne des passifs ?
Et si le potentiel était prouvé
Pour susciter l’enthousiasme, le développement doit correspondre au progrès. Qu’en serait-il d’un développement qui rendrait irréversible la fragilisation voire la ruine de systèmes écologiques complets ? Ainsi, l’état actuel des connaissances scientifiques appelle à une prudence certaine. Par exemple, nous ignorons, en cas de fuite, comment les hydrocarbures pourraient être récupérés dans un milieu où il y a présence de glace. Nous savons, par ailleurs, que les technologies utilisées pour l’exploration et l’exploitation vont tantôt créer des levées sismiques, tantôt requérir l’utilisation de produits chimiques dont les effets sur les communautés biologiques et sur la vie des hommes demeurent insoupçonnés.
Et s’il s’avérait que cette exploitation est possible dans le respect de l’environnement et des populations, nous croyons qu’il faut poursuivre le virage vers un développement durable : par exemple, en misant sur des programmes efficaces d’économie d’énergie pour les secteurs commercial, industriel et résidentiel ; en établissant des programmes qui favorisent des énergies renouvelables en substitution aux hydrocarbures. Les projets de développement énergétique, qu’ils utilisent les ressources fossiles ou non, doivent être acceptables sur le plan environnemental, mais aussi sur le plan social, et ils doivent susciter une adhésion des citoyennes et des citoyens. Pour nous, dans leur forme actuelle et avec le peu d’informations disponibles, les projets Old Harry, d’Anticosti et de la Gaspésie ne sont acceptables ni sur le plan environnemental ni sur le plan social, pas plus qu’ils ne sont justifiables d’un point de vue économique.
Quant au partage
Même si finalement et après maintes tribulations, l’Assemblée nationale a adopté une nouvelle loi sur les redevances minières, les Québécoises et les Québécois ne sont pas assurés de toucher leur part de l’exploitation des ressources pétrolières du territoire et encore moins de pouvoir assurer aux générations futures un héritage palpable. Agir vite en ce domaine des énergies non renouvelables ne les priverait-il pas plutôt de leurs propres choix dans des conditions qui pourraient être bien plus avantageuses lorsque de meilleures connaissances et peut-être des technologies nouvelles seront à leur disposition ? Agir trop vite, c’est aussi prendre le risque de bafouer des droits, à commencer par ceux des Autochtones.
Pas un chantre ou une sinistre chorale du développement à tout prix ne devrait appeler le Québec à occulter les risques, au profit du profit. Derrière l’appel de certains à une prise de précaution, on entend quand même un écho du slogan de la droite américaine, repris dans le même esprit par son clone canadien, vorace d’énergie fossile : Drill, baby, drill. Le gouvernement y restera-t-il insensible ?
C’est pourquoi nos organisations réclament du gouvernement du Québec :
1- Qu’il ordonne un moratoire complet et immédiat sur l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures en sol québécois ;
2- Qu’il tienne un BAPE générique, étape essentielle et préalable à l’amorce même d’un débat sain et éclairé, afin de bien mesurer l’ensemble des impacts sociaux et économiques et de bien évaluer les risques environnementaux associés au développement de cette filière énergétique.
3- Qu’il s’inscrive encore davantage dans la lutte aux changements climatiques et adopte un plan d’action ambitieux de réduction des gaz à effet de serre.
4- Qu’il mette tout en œuvre pour réduire notre dépendance aux hydrocarbures.
Signé par :
François Vaudreuil Centrale des syndicats démocratiques
Louise Chabot Centrale des syndicats du Québec
Jacques Létourneau Confédération des syndicats nationaux
Daniel Boyer Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec