Édition du 17 décembre 2024

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Féminisme

Exploitation minière : des répercussions sociales et environnementales particulières aux femmes

Joanna Manu, une fermière du Ghana, a été arrêtée pour intrusion alors qu’elle cultivait sa terre. Les policiers et agents de sécurité qui l’ont arrêtée travaillaient pour le compte de la minière Golden Star Resources.

L’auteure est directrice des politiques d’Oxfam-Québec.

Les cultivatrices et les cultivateurs du coin se faisaient souvent dire que le gouvernement avait donné leur terre à la compagnie et qu’il n’y avait rien à faire. Toutefois, Joana avait participé à une formation offerte pas une organisation locale et elle connaissait ses droits. « J’ai dit à la Cour que j’étais là avant la compagnie et qu’elle ne m’avait pas dédommagée. La compagnie n’avait pas le droit de m’enlever cette terre. Je connais mes droits et je savais que la justice suivrait son cours. Je cultive toujours cette terre. »

Les communautés qui ont été déplacées pour laisser la place à des mines d’or au Ghana ont perdu leurs terres agricoles et sont aujourd’hui confrontées au chômage et aux dommages environnementaux Photo : Neil Brander / Oxfam

L’expérience de Joana n’est pas unique en son genre, bien que son succès soit plutôt rare. Dans plusieurs pays où Oxfam travaille, on a été témoins des impacts économiques, sociaux et environnementaux importants que peuvent avoir les projets miniers sur les communautés locales. Ces impacts sont particulièrement prononcés sur la vie des femmes.

Les femmes ont le droit d’obtenir des renseignements sur les projets qui vont les affecter, le droit de participer au processus décisionnel et le droit de gagner leur vie et de vivre à l’abri de la violence. Les gouvernements et les minières trop souvent sapent ces droits. Si elles se rendent compte que les femmes sont particulièrement touchées, les compagnies minières peuvent minimiser les conséquences négatives tout en réduisant leurs coûts et leurs risques.

Malheureusement, nous avons souvent entendu des employés des minières dire qu’ils n’avaient jamais pensé à « parler aux femmes ». Ceci est difficile à imaginer étant donné l’impact négatif documenté de l’extraction minière sur les femmes. En voici quelques-uns :

Accaparement des terres : l’expropriation des terres à la faveur de projets miniers peut avoir un grand impact sur les femmes. Celles-ci dépendent souvent de la terre pour nourrir leur famille ou pour des cultures vivrières qui apportent des revenus additionnels. En conséquence, leur vie devient plus précaire et leur dépendance économique envers les hommes s’accentue. Il est important de rappeler que se sont souvent les hommes qui reçoivent des compensations pour les terres saisies et qu’ils ont accès, contrairement aux femmes, à d’autres sources de revenus comme, par exemple, un travail à la mine.

Emploi et revenu : les données indiquent que l’accès aux emplois reliés aux industries extractives est marqué par une grande disparité entre hommes et femmes. Les tentatives effectuées pour augmenter la participation des femmes au secteur minier ne sont pas toujours accompagnées de mesures pour rendre les mines sécuritaires et pour en faire un lieu où les femmes peuvent travailler à l’abri du harcèlement sexuel et de la violence.

Accaparement de l’eau et la pollution : dans les pays en développement, ce sont les femmes qui s’assurent que leur famille ait de l’eau. Le secteur minier est un grand consommateur d’eau et fait concurrence aux communautés qui s’en servent pour l’usage domestique et pour l’agriculture de subsistance. En conséquence, il y a moins d’eau disponible et ce qui existe est souvent pollué par l’activité minière. Les femmes doivent donc travailler davantage pour obtenir de l’eau propre et, si un membre de la famille tombe malade après avoir bu de l’eau contaminée, il revient aux femmes de les soigner.

La violence faite aux femmes : l’activité industrielle attire beaucoup de travailleurs masculins. Ce phénomène, accompagné par la perte de leur moyen de subsistance, peut pousser certaines femmes à s’en remettre à des activités sexuelles transactionnelles pour obtenir un revenu, ce qui accroit leurs chances d’être victime de violence ou d’être infectées par le VIH/sida. Les faits démontrent que l’activité minière entraîne des changements rapides dans le milieu familial, ce qui contribue à la violence fondée sur le genre.

Consultations communautaires et processus décisionnel : il n’est pas rare qu’une compagnie procède à des négociations avec les hommes alors que les femmes ne sont ni parties des négociations, ni bénéficiaires de l’éventuel accord sur les redevances ou autres indemnités. En conséquence, elles sont privées de leurs moyens traditionnels d’acquérir influence et richesse. Les recherches démontrent que les hommes et les femmes priorisent l’investissement communautaire différemment et que l’on obtient des résultats plus durables lorsque les femmes participent pleinement avec les hommes à établir les priorités.

Certaines compagnies tentent de répondre à ces préoccupations, surtout dans le domaine de l’emploi, mais il reste beaucoup de travail à faire. Oxfam organise un panel au Congrès de l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (ACPE) le 1er mars 2015. Elle portera sur les moyens d’améliorer les pratiques des compagnies dans ce domaine.

L’extraction minière devrait se faire en respectant l’environnement, les droits humains et les communautés locales. En écoutant les femmes, en appuyant leur leadership lors des forums décisionnels en faisant usage d’analyses d’impact sur le genre, les minières peuvent protéger les droits des femmes et aider les communautés dans lesquelles elles œuvrent.

Il est important d’améliorer le statut social des femmes pour que le changement et le développement opèrent dans un pays. Lorsqu’on donne à des femmes comme Joanna Manu les outils dont elles ont besoin pour prendre une place active et équitable dans leur société, il devient possible d’effectuer des changements positifs sur les familles, les communautés et les cultures au complet.

Lina Holguin

Directrice des politiques d’Oxfam-Québec.

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