Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Lettre ouverte au ministre de la Santé et des services Sociaux

Évaluation critique de certains services en santé : un témoignage

Première partie

Dans l’édition du 11 août 2023 du quotidien Le Devoir nous pouvons lire que dans le cadre d’un projet pilote le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) semble avoir constaté un taux de satisfaction d’environ 71% de la part des personnes qui ont participé à l’enquête portant sur leur « expérience globale » des soins reçus dans le réseau public[1]. Il va sans dire que ce résultat est partiel et ne semble pas faire l’unanimité parmi des professionnel.le.s qui s’y connaissent en la matière. Ce pourcentage a été obtenu auprès d’une clientèle très ciblée (santé mentale et grossesses) et le résultat ne vaut pas, par conséquent, pour l’ensemble des services donnés par le réseau public.

L’auteur des présentes lignes a subi une intervention chirurgicale durant la période estivale. Il s’agissait d’une opération dans le cadre d’une chirurgie d’un jour pouvant donner lieu à une hospitalisation ou non. Dans mon cas, le retour à domicile a été retardé d’une journée. Voici, en cette période trouble pour le réseau de la santé (pensons seulement aux problèmes qui découlent de la pénurie de personnel hospitalier toutes catégories confondues) une évaluation critique de mon expérience personnelle.

De l’admission à l’opération

De l’admission au CHUM à mon opération, tout s’est déroulé d’une manière impeccable. Aucune critique à soulever et aucun commentaire négatif à formuler envers qui que ce soit. C’est une fois rendu dans la chambre individuelle du centre hospitalier et à mon domicile que j’ai découvert l’état déplorable, lamentable et pitoyable de certains services (j’insiste de certains services seulement) de notre réseau de la santé.

Les services dits postopératoires

C’est donc après l’opération que la situation s’est dégradée. Plusieurs services n’étaient tout simplement pas au rendez-vous. Durant mon séjour à l’hôpital, deux préposées aux bénéficiaires manifestement débordées par leur charge de travail m’ont dit ne pas avoir le temps pour m’assister et m’accompagner dans une marche sur l’étage. Exercice pourtant impératif pour favoriser ma récupération. On m’a mentionné qu’à ma sortie du CHUM, j’aurais accès au « service ambulatoire » du CLSC. Ce qui n’a pas été le cas. En téléphonant au CLSC, j’ai appris que la seule chose qui était prévue était un rendez-vous avec une infirmière pour le retrait de la sonde urinaire.

De plus, les équipements qui m’ont été remis, au moment où j’obtenais mon congé du CHUM, étaient inadéquats et insuffisants. J’ai été obligé de revendiquer haut et fort pour avoir droit à un rendez-vous avec une infirmière du CLSC en vue d’obtenir le matériel requis à la suite de mon opération. Je précise également qu’au CHUM on ne m’a pas correctement formé pour changer les sacs de jour et de nuit de la sonde urinaire. C’est ma voisine, qui a des connaissances et une expertise en la matière, qui m’a fait une démonstration sans défaut. À la sortie de la salle de récupération, après mon opération, on m’a mentionné qu’en cas de difficultés postopératoires je n’avais qu’à téléphoner ou à me rendre à l’urgence du CHUM. Après 6 jours de « constipation bouchon », j’ai téléphoné au numéro 24h sur 24. L’infirmier m’a recommandé de me rendre à l’urgence de l’hôpital, de préférence là où j’ai été opéré. Il y avait, selon lui, la présence d’un « fécalome » et un risque d’ACV. Il a mentionné également qu’un lavement (ou un autre traitement) était probablement tout indiqué. Je me suis donc rendu sur le champ à l’urgence du CHUM. Après 5h30 d’attente, dans la position debout (j’étais dans l’impossibilité de m’asseoir), je n’avais toujours pas été vu par un médecin. Mon état ne semblait pas assez grave pour être examiné, dans un délai acceptable à mes yeux, par une ou un urgentologue du CHUM. J’ai décidé de mon propre chef d’interrompre cette intolérable et surtout inacceptable attente improductive et de rentrer chez moi en espérant que tôt ou tard, un déblocage de mon boyau d’évacuation intestinal se produirait. Ce qui a fini par se produire dans des conditions pénibles et surtout extrêmement douloureuses. Dans l’ensemble, le service ambulatoire du CLSC ainsi que certains services postopératoires du CHUM ont été déficients et insuffisants.

Pris en charge par des personnes de mon entourage

Ce sont les personnes suivantes qui ont eu à pallier aux lacunes auxquelles j’ai été confrontées immédiatement après mon opération : ma conjointe, ma voisine, une amie dont le conjoint a subi, il y a plusieurs années, la même chirurgie que la mienne, un ami opéré pour la même chose que moi et une connaissance de ma conjointe dont l’ami de coeur est atteint du même cancer que celui pour lequel j’ai été opéré.

Bilan : des services à vitesses variables

Dans mon cas, je dois avouer que plusieurs services postopératoires ont été totalement inexistants, sauf pour le retrait de la sonde. J’ai donc eu droit, dans l’ensemble, à des services à vitesses variables. Une opération high-tech, certains services professionnels de grande qualité et d’autres d’une qualité nettement douteuse, voire même inexistante. Ce sont des personnes dévouées de mon entourage qui m’ont assisté et accompagné durant ma récupération et ma convalescence à domicile. À partir de mon expérience personnelle, il reste selon moi encore beaucoup à faire avant que nous puissions nous dire « satisfait » de notre système de santé[2]. Le chiffre qui nous a été récemment communiqué par le MSSS au sujet de la satisfaction de la population à l’endroit des services de santé, soit 71%, est, selon moi, de la poudre aux yeux.

Des pistes d’investigation à envisager

Ce sont donc cinq personnes de mon entourage qui m’ont permis de me rétablir de cette opération pour un cancer et là je me suis mis à penser aux personnes plus faibles que moi et surtout à ces personnes complètement isolées et moins bien entourées. Que se passe-t-il avec ces êtres vulnérables ? Après avoir échangé avec certaines professionnelles, j’ai appris que les complications postopératoires étaient souvent fréquentes et même nombreuses. Est-ce bien le cas ? De mon côté je n’ai aucun moyen pour le vérifier et voilà pourquoi il serait intéressant que le MSSS (ou une autre institution) dresse le portrait statistique des personnes qui ont ou n’ont pas accès aux ressources et aux services de santé et ensuite qu’on évalue rigoureusement la quantité et la qualité des services postopératoires. J’ajoute deux questions dérangeantes ici : qu’en est-il de l’accès aux soins intensifs dans les centres hospitaliers ? L’accès à ces soins est-il universel ou tout simplement inaccessible ou impossible à obtenir au-delà d’un certain âge ?

Yvan Perrier

14 août 2023

13h30

yvan_perrier@hotmail.com

Copie conforme aux personnes suivantes :

Protecteur du citoyen (Québec)

Direction générale du CHUM

Direction générale CLSC Simone Monet Chartrand

Députée du comté de Marie-Victorin (Assemblée nationale Québec)

[1] Voir à ce sujet l’article signé par Marie-Eve Cousineau https://www.ledevoir.com/societe/796080/reseau-de-la-sante-un-taux-de-satisfaction-de-71-chez-les-patients?#:~:text=Réseau%20de%20la%20santé%20%3A%20un,Le%20Devoir. Consulté le 12 août 2023.
[2] Nota bene : je n’ai pas écrit "pleinement satisfait".

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Québec

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...