L’auteur est professeur de philosophie au cégep de St-Hyacinthe.
Un tel silence médiatique n’est-il pas troublant alors que le gouvernement du Québec semble pervertir l’esprit qui animait l’instauration du Conseil des collèges, du Conseil des universités ainsi que la Commission mixte de l’enseignement supérieur en favorisant exclusivement la mise en concurrence et l’adaptation des cégeps et des universités aux demandes des entreprises ? Faut-il rappeler que depuis le fameux rapport Parent et la création du ministère de l’Éducation, le Québec a toujours convenu qu’il revenait ultimement à ce ministère de déterminer les orientations et les normes guidant notre enseignement supérieur ? Or, à l’encontre de ce consensus, le gouvernement actuel entend transférer cette responsabilité politique collective à ces nouveaux Conseils qui évalueront, à travers ce seul prisme, l’évolution de l’enseignement supérieur et son « progrès continu » en fonction des besoins de l’industrie locale et du marché international. C’est précisément à cette fin, par exemple, et sans se soucier outre mesure des problèmes que cela risque de susciter au niveau de la reconnaissance des diplômes ou d’une formation nationale cohérente, que l’on propose « d’assouplir » plusieurs dispositions du Règlement sur le régime des études collégiales (RRÈC) afin de privilégier la multiplication des formations à la carte, adaptées, écourtées, etc.
Comment faut-il interpréter un tel silence ? Est-ce à dire que les médias n’accordent qu’un intérêt tout à fait secondaire aux orientations que nous devons donner à notre enseignement supérieur ? Qu’elles ne sont pas dignes d’être portées à la connaissance du public afin de favoriser un débat aussi essentiel pour une société pleinement démocratique ? Que les politiques actuelles du gouvernement en matière d’enseignement supérieur, dont les impacts auront la force d’une réforme, seraient à ce point consensuelles qu’elles peuvent être soustraites sans plus à l’attention et à l’examen public alors même que ses principaux acteurs s’en montrent inquiets ? Que la recherche, notamment, peut être assujettie sans plus aux exigences du marché au détriment de ses autres dimensions ?
Certes, l’enseignement supérieur doit composer avec les exigences de l’État et les pressions exercées par les diverses entreprises, avec ce que l’on nomme souvent l’économie du savoir, mais il ne saurait certainement pas y trouver sa finalité ultime, s’y restreindre ou s’y atrophier. Or, il importe que, dans une société démocratique, les médias relaient l’information nécessaire sur des enjeux aussi cruciaux que ceux relatifs à l’enseignement supérieur afin qu’un débat plus éclairé puisse avoir lieu afin d’orienter au mieux le sens de nos actions collectives. L’enseignement doit chercher à promouvoir la vie de l’esprit, la recherche libre et indépendante de nouvelles connaissances, l’éducation à la pensée critique et sa transmission responsable, etc. Mais n’est-ce pas là après tout, dans nos démocraties libérales, autant de valeurs qui fondent le sens même des médias et qu’ils devraient également chérir ?
Ce texte est cosigné par François Dugré, Héloïse Moysan-Lapointe, Katerine Deslauriers, Louis Samson, Sébastien Müssi - Professeurs de philosophie au collégial et membres de l’exécutif de la Nouvelle Alliance pour la philosophie au collège (NAPAC)
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