Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Etats-Unis : Ryan sur la droite d’une dérive générale à droite

L’une des couvertures les plus populaires de l’édition papier du Socialist Worker [organe de l’ISO aux Etats-Unis] montrait Leatherface [face de cuir], le tueur du film de 1974 Massacre à la tronçonneuse, mais vêtu d’un complet cravate, brandissant son arme favorite devant le Capitole des Etats-Unis [édifice abritant le législatif fédéral à Washington]. Cette édition a paru en janvier 2011, alors qu’une nouvelle majorité du Grand Vieux Parti [le Parti républicain] venait de se former à la Chambre des représentants. On pouvait lire le titre suivant : Les tronçonneurs républicains du budget entrent en fonction [1].

Si ce réel Leatherface devait porter un insigne d’identité, on y lirait : Rép. Paul Ryan. L’idéologue phraseur inspiré par Ayn Rand [2] présidait la Commission du budget de la Chambre des représentants. Il était l’architecte d’un programme qui a conduit à la campagne républicaine réussie de 2010 : des propositions conduites par le Tea Party appelant à la destruction de secteurs entiers du secteur étatique fédéral et à tailler dans la Sécurité sociale, Medicare [assurance pour personne de 65 ans et plus] et Medicaid [assurance pour personne frappée de pauvreté]. Ce programme promettait, d’autre part, des baisses supplémentaires d’impôts pour les très riches, trois fois plus importantes que les cadeaux fiscaux accordés à l’époque de Bush.

L’accession de Ryan – louant des idées qui, une ou deux décennies plus tôt, l’aurait renvoyé du côté des cinglés – au premier plan, à ce stade, symbolisait déjà à quel point la politique officielle penchait vers la droite.

Personne ne peut l’oublier, Ryan a désormais été choisi pour être le candidat des républicains à la vice-présidence.

Mitt Romney n’aurait pu trouver un meilleur colistier : un vautour capitaliste, multimillionnaire, appartenant à une dynastie entrepreneuriale qui a réalisé des profits immenses à Wall Street [allusion à l’entreprise de Ryan, voir plus bas] qui fait équipe avec un camarade de classe [sociale], reconnu pour sa détermination à étrangler le gouvernement fédéral au nom de la réduction des déficits alors qu’il soutenait des réductions d’impôts pour les riches et un renflouement de Wall qui a massivement étendu le déficit.

*****

Dès que le choix de Romney est devenu public, les lobbies et les publications libéraux [au sens de « social-démocrates »] se sont emballés. Ils ont diffusé le message que nous allons entendre jusqu’au mois de novembre [date des élections] : « Regardez ce que nous aurons si Obama ne gagne pas » ! C’est cela, l’Amérique pouvait-on lire dans un message qui a atterri dans nos boîtes e-mails. « Souhaitez-vous un gouvernement Romney-Ryan qui permette aux banques de Wall Street de poursuivre leurs activités destructrices sans entrave, qui décime les priorités de la classe moyenne telles que l’éducation et le Medicare et qui récompense les entreprises qui sous-traitent nos emplois ? »

Vous devez vous attendre à écouter bien plus encore au sujet du caractère cruel et destructeur que seraient les politiques de Romney et de Ryan s’ils parvenaient à la Maison Blanche. Il est toutefois une chose que vous n’entendrez pas. Pourtant, vous le devriez car elle est entièrement vraie et elle est essentielle pour comprendre les politiques de Washington. Ce que vous n’entendrez pas c’est à quel point Obama et les démocrates ont suivi Ryan et les républicains sur les voies de l’austérité et du néolibéralisme.

« Permettre aux banques de Wall Street de poursuivre leurs agissements sans entraves ? » Obama a repris à son compte le sauvetage élaboré par l’administration Bush de Wall Street [3] – Ryan et lui-même ont d’ailleurs voté en faveur de celui-ci en tant que membres du Congrès – presque sans modification, aidant ainsi les grandes banques à retrouver des profits record. Le Département fédéral de la Justice a déclaré, deux jours avant que Romney fit de Ryan son colistier, qu’il ne poursuivrait pas Goldman Sachs pour une fraude, consistant en trafic sur les valeurs immobilières dont la banque savait qu’elles feraient chuter sa valeur, présentée en 2011 lors d’une audition devant une commission du Congrès [4].

« Décimer les priorités de la classe moyenne telles que l’éducation et Medicare ? » Obama a été en de nombreux points plus agressif que les républicains de la Chambre des représentants en encourageant des coupes de trois billions de dollars dans les programmes des « droits sociaux » [5] tels que la Sécurité sociale et Medicare. Son administration est allée plus loin dans la privatisation de l’école publique que n’aurait pu le rêver n’importe quel républicain [6].

« Récompenser les entreprises ? » Le sauvetage de l’industrie automobile réalisé par Obama a imposé de nouvelles concessions historiques au syndicat United Auto Workers [7]. En outre, la pièce centrale de sa loi sur la santé rendra obligatoire l’achat pour des millions de personnes de contrats douteux des compagnies d’assurances [8].

Les deux partis affirment actuellement que les élections de 2012 portent sur des « différences fondamentales » et sur « d’importantes questions ». Ce qui est toutefois réellement frappant c’est ce que Obama-Biden et Romney-Ryan ont en commun, y compris au sujet du titre de gloire de Ryan : sa détermination à réduire les dépenses étatiques.

Jeffrey Sachs – économiste qui fut un temps un champion du néolibéralisme et qui est devenu depuis lors l’un de ses critiques les plus acerbes – a, en février 2012, fait des calculs montrant que les propositions budgétaires d’Obama entendaient réduire les dépenses fédérales primaires (donc avant paiement des intérêts de la dette) à 19,3% du PIB des Etats-Unis, ce qui doit être comparé aux 17% environ du PIB figurant dans le plan de Ryan. Ainsi que Sachs l’écrit : « La différence est faible. Le fait important est toutefois le suivant : les deux partis se sont engagés à effectuer d’importantes coupes dans les programmes étatiques par rapport au PIB. Ces coupes seront particulièrement [sévères] dans les programmes facultatifs pour l’éducation, la protection de l’environnement, l’alimentation des enfants, la formation continue, le passage vers une énergie à faible consommation de carbone et les infrastructures. »[9]

Paul Ryan est considéré comme un personnage crédible de la politique américaine. Cela non parce qu’il est un loufoque marginal, jouant avec les dogmes d’une scribouillarde de droite écrivant des romans célébrant l’égoïsme et l’élitisme [allusion à Ayn Rand], mais parce que Washington s’est déplacée très loin en sa direction.

Nous devons être inquiets au sujet de Ryan et de son programme extrémiste. Nous devons aussi l’être en ce qui concerne l’étendue de l’acceptation et de l’adoption de ce programme – en dépit de quelques différences de détails – par l’establishment politique bipartisan.

*****

Ryan essaie, comme la plupart des républicains, de se présenter comme un « gars ordinaire », sincèrement préoccupé par la condition de la « classe moyenne ». Il s’agit là, comme pour la plupart des républicains, d’une dissimulation.

Ryan est multimillionnaire. Il est le rejeton d’une transnationale de la construction, la Ryan Incorporated Central, fondée en 1884 par son arrière-grand-père. Il est ironique de constater, devant le fanatisme que Ryan manifeste en faveur de la réduction de la taille de l’Etat, que Ryan Incorporated a obtenu des contrats pour des millions de dollars de la part de l’Etat : construction de routes et d’aéroport, nettoyage des sites SuperFund [ensemble de sites pollués dont la « dépollution » exige un traitement sur la durée, pris en charge par l’Etat].

Alors que Ryan, à la fin des années 1990, se préparait à se présenter à des élections au Congrès, l’entreprise familiale l’employa brièvement comme « consultant en marketing ». Cet épisode est qualifié par Ryan Lizza dans son profil de Ryan pour le New Yorker comme « un léger rembourrage de son curriculum vitae lui donnant sa seule expérience dans le secteur privé ».[10]

En d’autres termes, à l’instar de nombre de ses collègues conservateurs qui s’apitoient sur les politiciens de carrière et célèbrent l’expérience du « monde réel » de l’entreprise, Ryan a passé la plus grande partie de sa vie d’adulte en étant payé pour divers emplois à Washington : comme membre du personnel du Congrès auprès de républicains conservateurs comme Jack Kemp et Sam Brownback ; comme un rédacteur de discours auprès du think tank de droite Empower America, ainsi que comme membre du Congrès, élu à l’âge de 28 ans.

Ryan s’est fait un nom dans les cercles politiques de droite comme « intellectuel ». Il tire ses inspirations des propagandistes autrichiens du milieu du XXe siècle, Ludwig von Mises et Friedrich Hayek, deux économistes exprimant une vision extrême du libre marché, ainsi que de la gourou « objectiviste » Ayn Rand [qui défendait, entre autres, « l’égoïsme éthique » et s’opposait à toute initiative de l’Etat]. Au cours d’une conférence marquant le centenaire de la naissance de Rand, en 2005, Ryan s’exprimait ainsi devant une assemblée de disciples : « D’une manière générale, si je dois rendre hommage à un penseur pour expliquer la raison pour laquelle je me suis investi pour l’intérêt général,c’est à Ayn Rand que je le dois. Ne vous y trompez pas : le combat que nous menons est celui de l’individualisme contre le collectivisme. »[11]

Hayek, von Mises et Rand constituent des références obligées dans le monde très fermé de l’intelligentsia conservatrice. Les deux Autrichiens fournissent un argumentaire intellectuel et un sens apocalyptique de l’urgence – Hayek a qualifié l’Etat « providence » moderne de « route vers la servitude » [titre de son ouvrage fétiche, publié en 1944] – pour mener des politiques néolibérales qui seraient sans cela définies comme constituant une punition des pauvres et une récompense des riches.

Lorsque c’était une chose politiquement conforme, Ryan a toutefois, en tant que membre du Congrès, manifesté son intention de faire marcher l’Amérique le long de la « route de la servitude ». Sous la présidence Bush Jr. il a voté, comme un membre loyal du Grand Vieux Parti, pour toutes les politiques de cette administration qui ont fait exploser le déficit du budget fédéral : les baisses fiscales massives pour les riches, les facilités offertes par Medicare pour l’obtention des médicaments, les guerres en Irak et en Afghanistan et même le plan de sauvetage haï de Wall Street [en 2008], le Toxic Asset Relief Program.

Il va sans dire que le dévouement que Ryan manifeste pour la « liberté » ne comprend cependant pas la liberté pour les femmes de contrôler leur natalité ni la liberté des personnes de différentes orientations sexuelles [LGBT] de se marier avec qui elles le souhaitent.

Ryan se glisse aisément, sur ces questions ainsi que d’autres questions sociales, dans le costume des fanatiques du Parti républicain. Il est toutefois plus connu pour ses prises de position dans le domaine économique, où il est présenté comme un « chasseur des déficits » et un défenseur du pouvoir des entreprises.

Ryan a fait équipe, en 2005, avec le sénateur du New Hampshire de l’époque, John E. Sununu, pour favoriser la privatisation de la Sécurité sociale. Ils proposaient de transférer la moitié des charges sociales fédérales prévues pour le système fédéral de retraites vers des comptes détenus individuellement [et gérés de la sorte]. Il semble que remettre cet argent dans les mains de Wall Street était plus important pour les supposés deux « chasseurs des déficits » que le coût de 2 billions de dollars que représentait ce transfert pour l’Etat.

Cette proposition était si farfelue que George W. Bush – qui déclarait qu’il ferait usage du « capital politique » que représentait sa réélection de 2004 pour privatiser la Sécurité sociale – qualifia le plan Ryan-Sununu « d’irresponsable » et choisi une version moins coûteuse [12].

Aucun des projets n’a été réalisé. Le programme de Bush est devenu de plus en plus impopulaire, plus il s’efforçait de les vendre.. La privatisation de la Sécurité sociale fit long feu avant même que l’année ne s’achève. Il s’agissait de la première défaite politique majeure qui marqua le début de la spirale infernale que devait connaître l’administration Bush au cours de son second mandat.

Depuis lors, dans les différentes versions du budget Ryan, la privatisation de la Sécurité sociale a été recalée à l’arrière-plan. Mais il n’en va pas de même avec les rêves de Ryan de « réformer » (traduisez : détruire) le programme de santé Medicare pour les personnes âgées.

Au début 2012, tous les membres de la nouvelle majorité républicaine au Congrès sauf deux ont voté en faveur d’une proposition de budget faite par Ryan, projet dont la pièce maîtresse visait à transformer Medicare en un système de chèques individualisé permettant d’accorder des subsides aux personnes âgées pour qu’elles contractent des assurances maladie privées chères.

Mais cela n’a pas eu auprès des gens plus de succès que la privatisation de la Sécurité sociale et Ryan a finalement réarrangé son projet Medicare pour y inclure une phase d’introduction progressive avec les gens de 55 ans et moins, ainsi qu’une option permettant de rester dans le système traditionnel. Mais cela ne change pas l’essence de ce qu’il a en tête : démanteler un programme gouvernemental très populaire.

A côté de ses plans de « réforme de droits », Ryan a également des projets pour réduire drastiquement les dépenses gouvernementales sur tout autre programme que celui de la défense.

Les tickets alimentaires, les aides fédérales à l’éducation, l’aide gouvernementale pour les parcs nationaux, tout serait touché si le budget Ryan devenait un jour réalité. En plus d’abroger la loi Obama sur la l’assurance maladie, les visions budgétaires de Ryan veulent des coupes supplémentaires dans le programme de santé Medicaid pour les pauvres, laissant ainsi quelque 27 millions d’Américains de plus sans couverture maladie, selon une étude de l’Urban Institute [13].

A long terme, le plan budgétaire de Ryan ferait fondre les dépenses du gouvernement à 15% du PIB américain d’ici à 2050, ce qui correspond grosso modo au niveau de 1950. A cette époque, Medicare et Medicaid n’existaient pas et la récemment créée Sécurité sociale comptait pour une fraction réduite des dépenses de l’Etat. Dans le gouvernement futuriste de Paul Ryan, toute autre chose que la Sécurité sociale, Medicare et Medicaid serait limitée à 3,75% du PNB.

Et cela inclut le Pentagone. Mitt Romney affirme être en faveur du maintien de dépenses militaires à hauteur de 4 pourcent environ du PNB, alors que Ryan lui-même est plus dur et veut des dépenses militaires à 3% du PNB, ce qui laisserait moins de 1%, soit environ 100 milliards de dollars, à la valeur d’aujourd’hui, pour faire tout le reste [14].

Les coupes à court terme de Ryan sont assez sidérantes : par exemple, selon le journaliste au Washington Post, Brad Plumer [15], les dépenses fédérales pour le transport, incluant tout ce qui va du contrôle du trafic à la reconstruction de ponts et d’autoroutes « structurellement endommagés », seraient en 2014 de 26,1% inférieures à aujourd’hui si le plan budgétaire de Ryan était appliqué.

Mais à long terme, Ryan voit un gouvernement fédéral qui dépenserait 91% de moins qu’aujourd’hui sur tout ce qui n’est pas la Sécurité sociale, Medicare, Medicaid et la défense [16].

Dans le monde selon Ryan, il n’y a bien sûr pas d’autre choix que d’opérer ces coupes puisqu’il veut démanteler de larges pans du système d’impôt qui génère des revenus pour le gouvernement.

Apparemment insatisfait avec les coupes de l’ère Bush qui avaient fait passer le taux d’imposition des plus fortunés de 39.6% à 35%, Ryan veut limiter l’impôt sur le revenu à 25%. Il veut aussi éliminer l’impôt minimal sur les gains de capitaux payé principalement sur les opérations d’investissement.

Il y a quelque temps, Mitt Romney a reçu une avalanche de critiques lorsqu’il a révélé que pour 2010 (il a d’ailleurs refusé de montrer ses déclarations d’impôt des autres années), il avait payé des impôts à un taux de 13.9%, moins que la plupart des foyers de la classe moyenne. Mais si le projet de Ryan était effectif, ce même Romney, dont les revenus proviennent principalement de gains de capitaux, aurait payé ses impôts à un taux effectif de 0,82%seulement [17].

Ryan et les républicains vendent leurs propositions comme étant nécessaires pour contrôler le déficit. Mais il semble, selon le Center for Budget and Policy Priorities (CBPP) que tout au contraire les baisses d’impôts en elles-mêmes plomberaient la décennie à venir par environ 9,6 trillions de dollars de déficit supplémentaire [18]. Robert Greenstein, du CBPP, a étudié le budget Ryan : « Le nouveau Budget Ryan est un document remarquable qui, en raison de sa nature extrémiste, n’aurait au siècle dernier même pas fait l’objet de discussion dans les milieux dominants. En essence, ce budget est du Robin des Bois à l’envers. Il produirait la plus grande redistribution de revenu depuis la base vers le sommet de toute l’histoire étatsunienne moderne et augmenterait la pauvreté et l’inégalité plus qu’aucun autre budget dans les temps récents (et peut-être dans toute l’histoire de la nation). »

Comment un politicien dont les contributions ont d’abord été considérées comme étant hors du champ des discussions des milieux dominants a-t-il maintenant une chance de devenir vice-président des Etats-Unis ?

Le fait que Ryan soit si écouté en dit long sur l’état de la politique aux Etats-Unis. Non seulement les républicains ont dérivé si fortement vers la droite que Richard Nixon lui-même serait aujourd’hui probablement exclu du parti comme étant un libéral, et les démocrates le considéreraient peut-être comme trop centre-gauche pour capter le vote des électeurs indécis.

Le choix de Ryan comme candidat républicain à la vice-présidence va conduire les démocrates libéraux à considérer l’élection à venir avec plus d’urgence que jamais. L’éditorialiste du Washington Post, E.J. Dionne, écrit à ce sujet [19] : « Le résultat de cette élection est extrêmement important. Si le ticket Romney-Ryan gagne, les conservateurs revendiqueront les projets budgétaires radicaux de Ryan. Mais si Obama gagne, les conservateurs ne pourront plus prétendre qu’avec un Romney philosophiquement inconstant, les électeurs n’avaient pas eu vraiment de choix. Un rejet du ticket Romney-Ryan serait un magnifique rejet de l’agenda conservateur. »

Mais tout cela ne dit rien sur le fait qu’Obama lui-même ne cesse de s’incliner encore et toujours devant un tel agenda et que, sous une forme évidemment moins extrême, il soutient ouvertement les thèses de Paul Ryan.

Par exemple, les supporters d’Obama clament qu’une victoire Romney-Ryan en novembre « ouvrirait la porte » à des attaques contre la Sécurité sociale, Medicare et Medicaid. Mais la porte a été largement ouverte dès le jour où Obama a pris ses fonctions.

Même lorsque, dès le début de sa présidence, il a fait passer une importante loi sur la stimulation économique, Obama a insisté sur le fait qu’il ne voulait pas en rester là et qu’il voulait négocier une réforme de fond. Quand le Congrès n’a pas réussi à mettre sur pied une commission sur la réduction du déficit ayant le mandat de recommander de grandes coupes, Obama a fait le boulot lui-même, désignant comme co-présidents le bateleur de l’aile droite Alan Simpson et le démocrate conservateur Erskine Bowles.

La commission Simpson-Bowles, composées de 18 membres, n’a pas obtenu les 14 votes nécessaires pour amener ses propositions devant le Congrès qui aurait dû voter ou non le paquet tel quel. Mais sa proposition de réduire d’environ 4 trillions de dollars le déficit en 10 ans [20] (les trois quarts de cette somme devant se faire à travers des coupes sur les dépenses et les aides sociales), en plus de changements majeurs dans la Sécurité sociale et Medicare, est encore considérée par la Maison Blanche comme un objectif à atteindre.

Lorsque, en été 2011, la Maison Blanche et les républicains du Congrès avaient bataillé contre l’élévation du plafond de la dette, Obama avait offert un « grand marchandage » qui incluait des coupes massives dans la Sécurité sociale, le Medicare et le Medicaid. Voici comme le New York Times avait alors résumé l’offre de la Maison Blanche [21] : « La Maison Blanche a accepté de couper au moins 250 milliards dans le programme Medicare dans les prochaines dix années et quelque 800 autres milliards dans la décennie suivante, en partie en élevant l’âge donnant droit à cette assurance ». L’administration avait pris à son compte 110 autres milliards environ dans des coupes sur Medicaid et d’autres programmes de santé, avec 250 milliards de plus dans la deuxième décennie. Et dans un mouvement qui ne pouvait que provoquer une rébellion dans les rangs démocrates, Obama voulait appliquer une formule nouvelle et moins généreuse pour calculer les bénéfices de la Sécurité sociale, qui s’appliquerait dès 2015.

Et ne pensez pas un instant que toutes ces propositions démocrates ne seront plus à l’ordre du jour si Obama gagne in novembre. Comme Ryan Lizza l’a écrit dans le New Yorker [22], le second mandat de Obama ne commencera probablement par aucun de ces programmes en faveur des travailleurs dont parlent maintenant les libéraux mais par une « réduction de déficit majeure et une réforme fiscale sérieuse ».

E.J. Dionne insiste sur le fait que « cette élection compte vraiment beaucoup » et que beaucoup de gens qui, à raison, craignent les politiques défendues par Paul Ryan, vont invoquer la raison de son élection [à la vice-présidence] pour voter en faveur d’Obama, aussi déçus soient-ils par la politique de ce dernier.

Mais la réalité est que le programme de Ryan ne fait que partie du débat général qui existe aujourd’hui dans les courants dominants puisque toute la configuration politique a glissé à droite, autant les républicains que les démocrates.

Le projet de budget de Ryan fait que les propositions démocrates pour couper dans la Sécurité sociale, le Medicare et d’autres programmes semblent saines et modérées en comparaison. Mais les coupes démocrates restent des coupes et elles ne peuvent être acceptées comme étant « le mieux que l’on puisse faire ».

Ceux qui veulent construire un mouvement combatif de salarié·e·s ne devraient pas se positionner pour une version moins extrême de l’austérité et du néolibéralisme. Nous devons construire une alternative au système bipartisan qui renverse les priorités du statu quo et mobilise le pouvoir des travailleurs dans une lutte qui n’a rien à voir avec les hésitations devant les urnes. (Traduction A l’Encontre)


Article publié par l’International Socialist Organization sur son site socialistworker.org.

Notes

1. http://socialistworker.org/OtherImages/SW-726-cover.jpg

2. Ayn Rand (1905-1982), née en Russie. Elle émigre aux Etats-Unis en 1926. Elle obtient la nationalité américaine en 1931. Auteure de romans, de scénarios de films, A. Rand est aussi une philosophe influente des courants « libertariens » aux Etats-Unis dont les idées sont très diffusées. Anti-communiste radicale, elle développe une théorie fondée sur un individualisme sans entrave et le « laissez-faire » intitulée « objectivisme » dont le symbole est Atlas portant le monde sur son dos. Au sujet de cette philosophe et de la diffusion de ses idées aux Etats-Unis, on lira Ayn Rand Nation. The Hidden Struggle for American’s Soul de Gary Weiss (St. Martin’s Press, New York, mars 2012). Réd.

3. http://socialistworker.org/2009/12/18/yes-we-can-to-no-we-wont

4. http://www.google.com/hostednews/ap/article/ALeqM5i6FP1JgxS3SVYFrDupCaVoyFgsQA?docId=6986a450b15b464c8e39b6d9fc47ab21

5. http://socialistworker.org/2011/07/13/claiming-the-republican-agenda

6. http://socialistworker.org/2012/02/28/bitter-fruits-of-race-to-the-top

7. http://socialistworker.org/2009/04/06/autoworkers-get-the-stick

8. http://socialistworker.org/2012/03/29/injustices-and-the-mandate

9. http://blogs.ft.com/the-a-list/2012/02/13/#axzz23UXEtpLg

10. http://www.newyorker.com/reporting/2012/08/06/120806fa_fact_lizza?currentPage=all

11. http://www.newyorker.com/online/blogs/newsdesk/2012/08/paul-ryan-and-ayn-rand.html

12. http://nymag.com/print/?/news/features/paul-ryan-2012-5/

13. http://krugman.blogs.nytimes.com/2012/04/06/ryan-in-two-numbers/

14. http://www.theatlantic.com/business/archive/2012/03/the-worst-part-of-paul-ryans-budget/254845/

15. http://www.washingtonpost.com/blogs/ezra-klein/post/what-paul-ryans-budget-actually-cuts–and-by-how-much/2012/03/20/gIQAL43vPS_blog.html

16. http://www.theatlantic.com/business/archive/2012/03/the-worst-part-of-paul-ryans-budget/254845/

17. http://www.theatlantic.com/business/archive/2012/08/mitt-romney-would-pay-082-percent-in-taxes-under-paul-ryans-plan/261027/

18. http://www.cbpp.org/cms/index.cfm?fa=view&id=3712

19. http://www.washingtonpost.com/blogs/post-partisan/post/picking-paul-ryan-the-weakness-in-romneys-boldness/2012/08/11/bb01c8a2-e3c5-11e1-98e7-89d659f9c106_blog.html

20. http://socialistworker.org/2010/12/07/blueprint-for-cuts-to-come

21. http://www.nytimes.com/2012/04/01/magazine/obama-vs-boehner-who-killed-the-debt-deal.html?pagewanted=all

22. http://www.newyorker.com/reporting/2012/06/18/120618fa_fact_lizza

Lance Selfa

Auteur américain collaborant notamment aux publications International Socialist Review (http://isreview.org/person/lance-selfa) et Jacobin (https://www.jacobinmag.com/author/lance-selfa/).

Alan Maass

International Socialist Organization
www.socialistworker.org

Sur le même thème : États-Unis

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...