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États-Unis

Etats-Unis : Mitt Romney fait rentrer les néo-conservateurs par la fenêtre

On les croyait disparus, discrédités, et un peu honteux de leur bilan. Et bien pas du tout ! Les néo-conservateurs américains sont de retour. Vu le désastre irakien, le bourbier afghan, et l’impact sur l’image des Etats-Unis des politiques anti-terroristes et d’une rhétorique belliqueuse contre-productive, George W. Bush lui-même avait fini par les écarter lors de son second mandat de président des Etats-Unis. Pourtant, depuis un an, ils on repris du service auprès de Mitt Romney, le candidat républicain à la présidence.

23 septembre 2012 | tiré de mediapart.fr

Il suffit d’examiner la liste de la quarantaine de conseillers de Romney pour se faire une idée d’où il tire ses idées en matière de politique étrangère. Selon le magazine The Nation, 70% d’entre eux ont occupé des postes de responsabilité dans l’administration Bush. Il y a bien quelques modérés dans le lot, quelques personnalités qui penchent davantage dans le camp des « réalistes » qui autrefois dominait le parti Républicain. Mais les figures les plus importantes, celles que l’on voit régulièrement à la télévision américaine quand il s’agît de soutenir le candidat de la droite, émargent au mouvement néo-conservateur. Pour un modéré comme Robert Zoelick (ancien président de la Banque mondiale), on compte une douzaine d’artisans des politiques les plus dévastatrices des années 2000.

Regardons la liste de ceux que Romney utilise comme conseillers à des titres divers et qui s’expriment pour lui dans les médias :
John Bolton, ancien sous-secrétaire d’Etat et ambassadeur aux Nations Unies qui avait déclaré un jour que « si l’ONU perdait dix étages demain, personne ne verrait la différence » ;
Elliot Abrams, ancien des administrations Reagan et Bush fils, condamné dans l’affaire de l’Iran-Contra, supporteur du coup d’Etat raté contre Hugo Chavez en 2002 ;

 Dan Senor, ancien porte-parole de l’Autorité provisoire en Irak, qui a participé à toutes les décisions les plus néfastes, de la dissolution de l’armée et du parti Baas à la privatisation des entreprises irakiennes ;
 Eliot Cohen, universitaire spécialiste de questions stratégiques et ancien bras droit de Condoleeza Rice, qui fût l’un des plus farouches partisans de l’invasion de l’Irak en 2003 ;
 Cofer Black, ex-CIA, conseiller de Romney pour les questions anti-terroristes depuis 2007, il a supervisé le programme de détention secrètes de la CIA tout en niant que la « noyade simulée » soit une pratique s’apparentant à de la torture ;
 Michael Hayden, ex-patron de la CIA et de la National Security Agency (NSA) au moment de la mise en place d’écoutes téléphoniques controversées sous Bush ;
 Robert Kagan, historien et l’un des rares intellectuels sérieux du mouvement néo-conservateur ;
 John Lehman, ancien secrétaire à la Marine sous Reagan et l’un des pionniers parmi les néo-cons…

Il y en a encore une demi-douzaine d’autres, moins connus, qui, à des titres divers, font partie de l’entourage de Romney. Sans oublier l’ancienne conseillère à la sécurité nationale et secrétaire d’Etat de George W. Bush, Condoleeza Rice. Sans faire officiellement partie de la campagne de Romney, elle fût une des rares à s’exprimer sur les questions de politique étrangère à la Convention républicaine de Tampa à la fin-août. Inutile de préciser que son discours ne fût pas une autocritique des ses huit années passées au côté de Bush.

Le summum du mouvement néo-conservateur : le discours "mission accomplie" de Bush en 2003

Cette liste de conseillers est d’autant plus notable qu’à l’exception de Paul Wolfowitz ou de Richard Perle, elle comprend la plupart des figures majeures du mouvement néo-conservateur depuis les années 1990 encore en activité. A l’inverse, parmi le reste des conseillers internationaux de Romney, on ne compte aucun grand nom représentatif des deux autres courants conservateurs de politique étrangère aux Etats-Unis, les réalistes et les isolationnistes.

Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que, peu après la défaite de John McCain à l’élection de 2008, quatre personnalités de droite (Robert Kagan, Eric Edelman, Dan Senor et William Kristol) décidèrent de lancer le groupe de réflexion Foreign Policy Initiative, conçu comme un successeur du Project for the New American Century (PNAC), le manifeste original des néo-conservateurs datant de 1997. Or, trois des quatre fondateurs occupent désormais des postes dans l’organigramme des conseillers de Romney – le quatrième étant le rédacteur en chef du Weekly Standard, principal organe des conservateurs et donc soucieux d’y conserver son poste en observant une neutralité de façade.

Le tropisme “likoudnik”

Mitt Romney, qui ne possède aucune expérience dans le domaine des affaires étrangères (si l’on excepte son séjour de missionnaire mormon en France), semble donc avoir choisi son camp, un peu à la manière de George W. Bush qui avait confié son sort aux néo-conservateurs au détriment des réalistes qui avaient servi son père (James Baker, Richard Haas, George Schultz…). Alors qu’ils avaient été expulsés par la porte de derrière, les cheerleaders de l’invasion de l’Irak (et de l’imposition de politiques néo-libérales sur le pays), les militants du renforcement du budget militaire, les convaincus de l’exceptionnalisme américain, les promoteurs d’un discours autoritaire et dédaigneux vis-à-vis du reste du monde sont donc de retour par la fenêtre.

On a pu le constater tout au long de la campagne. Des primaires jusqu’à maintenant, les quelques interventions de Mitt Romney sur les affaires internationales s’avèrent frappées du sceau néo-conservateur. Même si, dans tout ce qu’il dit et fait en dehors de ses (nombreuses) gaffes, il joue le flou plutôt que la spécificité, ses rares déclarations saillantes renvoient à cette vision du monde empreinte de confrontation.

Comme lorsqu’il assure que « La Russie est l’ennemi géopolitique numéro un » des Etats-Unis. Comme lorsqu’il s’oppose au retrait des troupes américaines d’Afghanistan avant 2014 et refuse tout dialogue avec les Talibans. Comme lorsqu’il s’oppose aux coupes dans le budget du Pentagone (coupes approuvées par les militaires eux-mêmes). Comme lorsqu’il prône un « changement de régime en Iran » appuyé par la force. Comme lorsqu’il laisse entendre qu’il faut appuyer les rebelles syriens avec une intervention militaire. Ou comme lorsqu’il accuse Obama d’être trop conciliant avec les assaillants des ambassades américaines en Egypte et en Libye.

Et puis il y a la proximité affichée et revendiquée avec la droite israélienne et son premier ministre Benjamin Netanyahou. Cette constante « likoudnik » du mouvement néo-conservateur se trouve accentuée par le lien personnel d’amitié qui unit Romney à Netanyahou, depuis que ceux-ci ont travaillé côte à côte dans une banque d’affaires de Boston en 1976-77.

Ses récentes déclarations sur le fait qu’il ne croit pas à une solution à deux États pour résoudre le conflit israélo-palestinien, sur le fait que, s’il est élu président, il serait tenté de ne toucher à rien (ce qui revient à laisser Israël s’occuper seul du problème), son assurance que Jérusalem soit la capitale d’Israël… toutes ces prises de parole s’inscrivent clairement dans la doxa néo-conservatrice. Netanyahou l’a bien compris et, en se servant de la menace iranienne, il est intervenu d’une manière sans précédent dans une campagne américaine en faveur de Romney.

La vision du monde – c’est un bien grand mot – développée par le candidat conservateur s’inspire de celle développée par George W. Bush durant son mandat. Une vision bipolaire du « eux contre nous », du « si vous n’êtes pas avec nous vous êtes contre nous » marquée par l’héritage de la Guerre froide et qui, selon plusieurs chercheurs, « se trompe sur les véritables menaces ». Comme l’équipe Bush, l’opposant Romney surestime le poids des Etats face aux courants transnationaux (terrorisme, drogue, migrations), perçoit la Chine et la Russie comme des dangers, regarde le monde arabo-musulman avec l’angoisse de celui qui ne le comprend pas, et raisonne toujours avec un bâton dans le dos plutôt qu’avec une carotte dans la main.

En tant que président sortant, Barack Obama a parfois mené une politique de la main tendue et de la conciliation, mais il a aussi inscrit ses pas dans la lignée musclée de son prédécesseur : augmentation des troupes en Afghanistan (le « surge »), maintien de la prison de Guantanamo, intervention en Libye, intensification des frappes de drones au Pakistan et en Afghanistan (mais aussi au Yémen et en Somalie), assassinat de Ben Laden…

Face à un tel adversaire, Mitt Romney a choisi, comme certains joueurs de poker, de surenchérir. La rhétorique et le tempérament des néo-conservateurs jouent, en politique étrangère, le rôle que le Tea Party et les ultra-libéraux remplissent sur le plan intérieur : une course idéologique à-droite-toute qui n’hésite pas à recycler les initiatives et les notions faillies de certains penseurs et acteurs de la précédente administration républicaine et de celle de Ronald Reagan.

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