Quelque 38,8 millions de personnes vivent en Californie, soit environ une personne sur huit aux Etats-Unis. La Californie produit également une bonne partie des produits alimentaires que l’on trouve sur les tables du pays et dans le monde. Les gens ont donc le droit d’être effrayés.
La sécheresse en Californie provoque la crise l’écologie de l’Etat et de la région et les gens ordinaires se bousculent pour trouver de l’aide. De nombreux restaurants ont cessé de servir de l’eau de table à moins que les clients le demandent. Bon gré, mal gré, les gens cessent de tirer l’eau des toilettes, prennent des douches plus courtes et ne lavent plus aussi souvent leurs véhicules.
Les médias sont remplis de conseils sur comment les individus peuvent modifier leurs modes de vie et leurs habitudes personnelles afin de contribuer à alléger la crise de l’eau, litre après litre. Mais tout cela évite de poser les questions plus vastes sur ce qui est à l’origine de cette sécheresse et ce qui peut être réalisé pour améliorer la situation.
Les scientifiques reconnaissent que les « mégas sécheresses » de l’ouest des Etats-Unis sont le résultat du changement climatique, lequel produit des records de températures sur la côte ouest et des hivers historiquement froids ainsi que des « mégas tempêtes » sur la côte est.
Bill Patzert, chercheur et océanographe de la NASA, explique dans un article de 2014 évaluant l’histoire des sécheresses en Californie, comment le réchauffement climatique intensifie les effets d’événements climatiques cycliques :
« Un phénomène connu sous le nom de “negative Pacific decadal oscillation [1]” est en marche. Il a été historiquement lié à des zones de haute pression qui bloquent les orages. De tels événements, qui forment des bassins d’eau chaude dans le Pacifique nord et de l’eau froide le long de la côte Californienne ne sont pas le résultat du réchauffement climatique. Mais le changement climatique causé par la combustion de carburants fossiles a été lié à des vagues de chaleur plus longues. Cette carte spéciale ne faisait pas partie du jeu par le passé. »
Il semble que l’année 2015 sera encore pire que 2014. Les précipitations en Californie se situent à un niveau exceptionnellement bas. Les scientifiques, qui étudient les cercles d’arbres remontant à plusieurs centaines d’années, ont calculé que cette année serait la plus sèche en 434 ans.
Les chutes de neige ont aussi été très mauvaises. Le California Department of Water Resources rapporte que l’accumulation de neige dans la Sierra Nevada, qui réalimente naturellement les réservoirs d’eau lorsqu’elle fond au printemps et en été, se situe entre 16 et 22% des niveaux normaux.
Et ce n’est pas tout. Moins d’eau implique un nombre plus élevé de feux de forêt, lesquels se répandent déjà à travers l’Etat à des taux supérieur à la moyenne. Les incendies ont détruit 1’295 hectares depuis le début de l’année alors que la « saison des incendies » reste à venir.
Tout cela aura un impact sur des récoltes qui sont centrales pour la production agro-industrielle aux Etats-Unis. Ainsi que le rapportait le Department of Agriculture en 2014 :
« La sécheresse en cours en Californie – avec l’année la plus sèche enregistrée par l’Etat, à la suite de plusieurs années de sécheresse – aura probablement un grand impact sur la production agricole de l’Etat en 2014. Malgré une suite relativement récente d’importants orages, les déficits d’humidité de longue durée à travers l’Etat reste à des niveaux presque records. Parce que la Californie est le plus important producteur de fruits, de légumes, de noix et de produits laitiers, la sécheresse a des implications potentielles pour la fourniture et les prix des Etats-Unis des produits touchés en 2014 et au-delà. »
Les fruits, les noix et les légumes jouent un rôle dominant pour l’agriculture californienne et les producteurs californiens figurent en tête de la production des Etats-Unis de nombreux produits dans ces catégories. Plus de la moitié de la valeur des récoltes agricoles de Californie provient de la production de fruits et de noix (15 milliards de dollars en moyenne 2010-12) et environ un quart des légumes commercialisés (6,3 milliards de dollars, sans compter les pommes de terre). Ces produits représentent plus de 60% du total de la valeur de fruits et de noix des Etats-Unis à l’achat (auprès des fermes) et 51% de la valeur à l’achat des légumes.
Il n’est pas surprenant que la plupart de ces rapports qui insistent sur les effets des pénuries d’eau sur la production agricole ignorent ce que Sonali Kolhatkar, invité de l’émission de radio Uprising sur la chaîne Pacifica’s KPFK, soulignait dans un article récent publié sur Truthdig. com : les mesures de préservation de l’eau ciblent les individus et les petites entreprises et non la grosse agriculture, qui siphonne jusqu’à 80% de l’eau californienne pour faire pousser des plantes dans un désert.
Kolhatkar affirme que la crise écologique est directement liée au processus de production alimentaire régie par le marché :
« Ce désert est irrigué avec suffisamment de ressources aquatiques précieuses pour soutenir la pousse artificielle d’un tiers des fruits et légumes du pays, une industrie de 40 milliards de dollars.
Pensez-y. Un tiers de tous les produits [alimentaires] des Etats-Unis poussent dans le désert d’un Etat dont les ressources aquatiques sont presque épuisées. Ces produits sont transportés dans des camions qui consomment du carburant fossile de la côte ouest dans tout le pays, contribuant par conséquent aux mécanismes mêmes du changement climatique qui sont sans doute la cause de la sécheresse historique de Californie. »
Jusqu’à l’année dernière, il y avait aucune régulation à l’échelle de l’Etat sur le forage profond d’anciennes nappes aquifères pour arroser les champs. Alors que les niveaux d’eau ont chuté, les producteurs de Central Valley asséchèrent ces puits pour produire des récoltes marchandes comme les noix.
Que faut-il pour faire croître une amande ? Quelque chose comme un gallon d’eau [environ 4,40 litres]. Il faut près de cinq gallons pour une noix. D’autres types de plantes cultivées en Californie dépendent également de quantité exorbitante d’eau pour pousser (une tête de brocoli nécessite plus de cinq gallons).
Une autre industrie responsable de ce que la crise atteint ces proportions est le pétrole et le gaz. Les géants de l’énergie firent irruption en Californie au cours des dernières années pour participer au boom du fraking hydraulique : ce qui, bien sûr, nécessite le pompage et l’injection sous haute pression de quantités énormes d’eau afin de libérer des poches de gaz naturel et de pétrole.
Malgré les rapports qui indiquent que le sol de Californie s’enfonce d’un pied [0,3048 mètre] par année en raison de l’assèchement des réservoirs, des enquêtes ont révélé que les compagnies pétrolières déversaient des eaux usées du fraking dans la nappe phréatique et les puits. Il y a même des discussions pour déverser cette eau contaminée dans l’océan.
Le San Francisco Chronicle rapporte dans un article titré que « des résidus pétroliers déversés dans la nappe phréatique ». Il y a des conséquences supplémentaires à la production pétrolière :
« La Californie produit plus de pétrole que tout autre Etat à l’exception du Texas et du Dakota du Nord et ses champs pétroliers sont inondés dans l’eau salée. Un puits pétrolier typique de Central Valley injecte neuf ou 10 barrels [1056 ou 1173 litres] d’eau pour chaque barrel [117,34 litres] de pétrole qui atteint la surface.
En outre, les compagnies inondent souvent leurs réservoirs de pétrole avec de la vapeur afin de faire jaillir le brut épais et visqueux, bien plus lourd que le pétrole que l’on trouve dans la plupart des autres Etats. Ils injectent de l’eau sous haute pression avec des additifs chimiques dans le sous-sol afin de faire éclater la roche. Soit la pratique controversée de la fracture hydraulique. Ils emploient de l’acide et de l’eau afin de nettoyer les débris qui, sans cela, obstrueraient leurs puits pétroliers.
Toute cette eau restante, mêlée d’un peu de pétrole et d’autres produits chimiques, doit être redirigée quelque part. Déverser le liquide – connu dans l’industrie sous le nom d’eau produite – à nouveau dans le sous-sol est considéré comme l’une des manières les plus responsables pour l’environnement de s’en débarrasser. »
Selon le Chronicle, les régulateurs californiens autorisèrent les compagnies pétrolières de remplir de déchets issus du fraking 170 nappes phréatiques qui pourrait être adaptées à la consommation ou à l’irrigation. Les compagnies firent des forages près de 253 autres puits que l’EPA [Environemental Protection Agency] considérait comme protégés parce qu’il s’agissait d’aquifères potentiellement utilisables.
Un autre rapport de NBC News de la Bay Area [région de San Francisco] indique que « des officiels de l’Etat ont permis aux compagnies du pétrole et du gaz de déverser près de trois milliards de gallons d’eau usée dans les aquifères de sous-sol qui auraient pu être utilisés comme eau potable ou d’irrigation ».
On s’attend à ce que le gouverneur Jerry Brown signe une loi permettant 1 milliard de dollars de dépenses visant à alléger la crise et le Sénat de Californie a approuvé des lois permettant la réalisation d’infrastructures et aidant les zones les plus touchées par la crise de l’eau ainsi que pour des amendes punissant la dispersion illégale d’eau affectant les poissons.
Mais le gouverneur et les législateurs californiens tiennent un double discours lorsqu’ils déclarent punir les « dispersions illégales d’eau » alors qu’ils refusent de poursuivre les entreprises pétrolières pour la pollution des réservoirs et de l’eau souterraine.
Brown se définit comme un dirigeant politique mettant en œuvre des pratiques écologistes et visant à l’énergie renouvelable. En janvier, lors de son adresse inaugurale, Brown proposa une étendue des objectifs d’énergie renouvelable pour la Californie, d’un tiers en 2020 à 50% à partir de 2030. Mais, en même temps que Brown pousse pour l’adoption de telles mesures, l’économie californienne s’est intégrée plus que jamais dans le boom national de l’extraction de carburant fossile.
Alors que Brown réalise des conférences de presse au cours desquelles il brandit sa crédibilité en matière écologique, lui et d’autres politiciens démocrates restent très liés aux entreprises énergétiques qui contribuent à la hausse des émissions de CO2 et, donc, au réchauffement climatique.
Qu’est-ce que tout cela signifie pour les gens vivant en Californie ?
Nous avons devons-nous une lutte et nous avons besoin de nous y préparer en unifiant les forces qui puissent s’opposer aux chefs d’entreprise et aux politiciens qui ne pensent qu’à leurs résultats financiers alors que la Californie brûle. Les partisans de la justice écologique doivent envisager et se battre pour une production alimentaire soutenable, pour les droits, la santé et la sécurité des travailleurs ainsi que pour les droits des indigènes.
On estime que les paysans et l’industrie agricole dans son ensemble ont perdu 2,2 milliards de bénéfices en raison de la sécheresse de 2014 et que 17’000 personnes furent licenciées. Des localités rurales avec plusieurs milliers d’habitant·e·s, principalement de la classe laborieuse, doivent effectuer des choix difficiles concernant l’utilisation de l’eau alors que l’eau de sous-sol et les puits sont contaminés par la pollution issue du fraking.
Les droits des peuples indigènes du bassin du Klamath-Trinity, y compris les tribus Yurok et Hoopa, sont aussi en ligne de mire. Les tribus californiennes se sont battues pendant des années pour protéger leurs pêcheries et leurs populations de saumon (le réchauffement des eaux de surface provoque la mort des poissons).
Récemment, l’eau du réservoir de Trinity d’une contenance de 595’000 acres-pieds [1 acre-pied équivaut à 1233,48 m2] a été déversée dans les vallées de Sacramento et de San Joaquin. L’eau restant dans le réservoir est à un niveau parmi les plus bas de son histoire. Cela malgré une décision de la Cour fédérale de 1979 qui habilitait les tribus à « utiliser autant d’eau des terres Réserves qu’il leur est nécessaire afin de préserver leurs droits à la chasse et à la pêche » pour « des temps immémoriaux ». Les menaces contre le système de rivières augmenteront tandis que les législateurs californiens promeuvent la construction de nouveaux barrages, qui ont historiquement dévasté la population de saumons.
Dans un entretien pour un article pour le East Bay Express, Dania Colegrove, membre de la tribu de la Hoopa Valley, qui est aussi membre d’une organisation de base appelée Klamath Justice Coalition, a fait retentir le clairon en vue d’une protestation qui devrait résonner pour toute personne préoccupée par la justice écologique en Californie : « Ce sera un combat à partir de maintenant. » (Article publié sur SocialistWorker.org le 30 mars 2015. Traduction A l’Encontre)
[1] Oscillation décennale du Pacifique (ODP). Variation de la température de surface de l’océan Pacifique, à l’origine du déplacement de la trajectoire de phénomènes météorologiques, de manière cyclique et sur plusieurs décennies.