Tiré de A l’encontre
2 mai 2022
Par Mike Ludwig
Selon les estimations, 35% des personnes interrogées – dans le cadre de la dernière enquête [sur la base de questions brèves et répétées : Pulse survey] auprès de ménages faite par le Bureau du recensement des Etats-Unis – ont déclaré qu’elles étaient « très » ou « plutôt » susceptibles de devoir quitter leur logement au cours des deux prochains mois, en raison d’une expulsion. Seuls 11% environ ont déclaré avoir demandé et obtenu une aide au loyer dans le cadre des programmes financés par le gouvernement fédéral. Généralement, ils sont administrés par les Etats et les villes qui sont chargés de distribuer environ 46,5 milliards de dollars d’aide aux propriétaires et aux locataires. Une enquête (Pulse) plus importante a révélé que près de 25% des ménages ayant un statut de locataire sont « peu certains » ou « pas du tout certains » d’avoir la capacité de payer leur loyer du mois suivant.
Ces chiffres fédéraux ne sont que des estimations extrapolées à partir d’enquêtes, mais s’ils sont proches de la réalité : une vague croissante d’expulsions pourrait déplacer des millions de personnes à mesure que le coût de la vie augmente.
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Jusqu’à récemment, les hausses des emplois et le soutien des programmes d’aide temporaire en cas de pandémie protégeaient la classe laborieuse des méfaits de l’inflation, selon Shawn Fremstad, chargé de mission au Center for Economic and Policy Research (CEPI). Cependant, les firmes continuent d’augmenter les prix pour les consommateurs. Or, le Congrès n’a pas « réussi » à prolonger les programmes d’aide tels que le crédit d’impôt pour les enfants [qui avait été augmenté en mars 2021] qui a permis à des millions de personnes de ne pas souffrir de la faim l’année dernière.
« Mais il est désormais clair que la cupidité des entreprises frappe de plein fouet la classe ouvrière », a déclaré Shawn Fremstad dans un communiqué de fin avril. « Selon le Bureau du recensement, un peu plus d’un adulte sur trois (environ 34%) déclare maintenant avoir des difficultés à faire face aux dépenses habituelles du ménage, le taux le plus élevé que nous ayons vu depuis début 2021. »
Dans les six Etats et 31 villes suivis par le Laboratoire des expulsions (Eviction Lab) de l’Université de Princeton, les propriétaires ont déposé plus de 10 247 demandes d’expulsion au cours de la seule semaine dernière. Dans les villes du Texas – Houston, Dallas et Fort Worth – les propriétaires ont déposé 37 000 demandes d’expulsion au cours des trois premiers mois de l’année, selon un rapport basé sur les mêmes données et publié par la Texas Tribune.
A Dallas, les demandes d’expulsion ont chuté au plus fort de la pandémie pour atteindre six par semaine, mais les demandes ont explosé après la levée des moratoires locaux et fédéraux sur les expulsions, il y a quelques mois. Plus de 1000 demandes ont été enregistrées à Dallas pendant une semaine, ce mois d’avril seulement. Des rapports similaires apparaissent dans les villes de tout le pays alors que l’aide sociale se tarit.
Et la crise du logement va au-delà de l’expulsion. En raison notamment de l’effondrement du filet de sécurité sociale et des bas salaires des travailleurs et travailleuses dans de nombreux secteurs d’activité, près d’un ménage étatsunien sur trois ne peut se permettre de payer un loyer de 600 dollars par mois ou moins, ce qui fait que de nombreuses familles sont aux prises avec des conditions de logement surpeuplées ou dangereuses.
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Les Etats-Unis faisaient face à une crise du logement et des expulsions bien avant que la pandémie n’oblige les entreprises à fermer leurs portes et ne mette des millions de personnes au chômage. Même avant la pandémie, beaucoup se voyaient imposer des loyers qu’ils ne pouvaient pas payer, selon les organismes de défense des locataires. Avant 2020, plus de 3,6 millions d’expulsions étaient enregistrées chaque année aux Etats-Unis.
Prendre du retard dans le paiement du loyer peut placer le locataire sur une pente glissante conduisant à la perte du logement, en particulier dans les Etats rouges (républicains) où les locataires bénéficient de peu de protections juridiques. En cas d’expulsion, seuls 3% des locataires sont représentés par un avocat, contre 81% des propriétaires, selon la National Coalition on the Civil Right to Counsel. Cependant, de nombreuses expulsions ne sont même pas contestées devant les tribunaux, selon John Pollock, avocat de la National Coalition.
« Ils partent tout simplement. S’ils essaient de se battre seuls, ils perdront, et ils le savent », nous a déclaré John Pollock dans un entretien : « La moitié des personnes concernées ne vont même pas au tribunal pour quelque chose qui peut les conduire à devenir sans-abri, à perdre leurs enfants, à perdre leur emploi. » Or, même le dépôt d’une expulsion, quelle que soit la décision au tribunal, peut rester dans le dossier d’un locataire pendant des années.
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Les répercussions de cette crise sont extrêmement inégales. De 2012 à 2016, les locataires noirs ont reçu en moyenne des avis d’expulsion de la part des propriétaires à un taux près de deux fois supérieur à celui des locataires blancs. Et les femmes noires à faible revenu ont été frappées de manière disproportionnée, selon l’American Civil Liberties Union.
Heureusement, selon John Pollock, les préoccupations relatives au logement pendant la pandémie ont amplifié les efforts déployés dans de nombreuses villes pour garantir aux locataires le droit à une représentation juridique et mettre en place des programmes de « déjudiciarisation » des expulsions. Ils visent à résoudre les différends entre locataires et propriétaires dans le but d’éviter une audience d’expulsion au tribunal. Des syndicats de locataires se sont également organisés pour défier collectivement les propriétaires et lutter contre les expulsions à travers le pays.
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L’Etat de Washington, le Maryland et le Connecticut ont mis en place des programmes de « droit à un avocat » qui fournit des conseils juridiques aux locataires menacés d’expulsion, en fonction de leurs revenus. Des programmes similaires ont récemment été mis en place à New York, San Francisco, Newark, Boulder, Baltimore, Philadelphie, Louisville, Kansas City, Minneapolis, Toledo, Seattle, Denver et Cleveland, selon John Pollock. Selon lui, « il y a maintenant 16 juridictions qui ont le droit à un avocat. Il y en avait zéro en 2017. »
D’autres villes ont tenté de contrecarrer la crise des expulsions en adoptant de nouvelles protections pour les locataires, mais selon John Pollock, ces efforts souffrent de « difficultés d’application ».
D’autres villes ont tenté de contrecarrer et la crise des expulsions en adoptant de nouvelles protections pour les locataires, mais John Pollock affirme que ces efforts souffrent de « problèmes d’application. »
« Souvent, les locataires doivent déposer une sorte d’affidavit, ils ne savent pas comment le faire, et les propriétaires peuvent le contester », explique Pollock. « Dans les villes qui n’ont pas le droit à un avocat, certains des programmes de « déjudiciarisation » des expulsions et d’autres efforts ont aidé, mais ils sont parfois entravés par le fait qu’il n’y a pas d’avocats sur place pour s’assurer que les lois sont réellement suivies. »
Même dans les villes où les locataires ont droit à un avocat, les structures nécessaires à bon nombre des nouveaux programmes sont encore en cours de construction. Selon John Pollock, il y a une pénurie d’avocats de la défense pour les locataires dans tout le pays. Un moratoire fédéral sur les expulsions a été annulé par la Cour suprême en août dernier ; et la plupart des moratoires locaux ont expiré. Les tribunaux locaux se remplissent dès lors de locataires menacés d’expulsion ; les audiences en présence remplaçant les coûteux appels Zoom qui ralentissaient auparavant les procédures judiciaires et bloquaient les défenseurs sans accès à l’internet pendant les périodes de fermeture dues à la pandémie.
Pourtant, les défenseurs savent que le droit à un avocat peut permettre à de nombreuses personnes de rester chez elles. A New York, 84% des locataires représentés par un avocat restent dans leur logement ; à Cleveland, 93% des locataires représentés par un avocat évitent une expulsion ou un déménagement contre leur gré, selon John Pollock.
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De nombreux locataires ne sont pas en mesure de se présenter au tribunal en raison de leurs obligations professionnelles, familiales et autres pendant la journée. Dans les villes où le droit à un avocat n’existe pas, ces locataires sont souvent contraints de quitter leur logement sans avoir la possibilité de faire valoir leurs droits. La représentation juridique offerte par les programmes de droit à l’assistance d’un avocat résout instantanément ce problème, les avocats se présentant au tribunal et remplissant les documents au nom des locataires.
Selon John Pollock, les défenseurs des droits des locataires encouragent davantage d’étudiant·e·s en droit à devenir avocats des locataires dans l’espoir de créer un « pipeline » entre les facultés de droit et les programmes étatiques et locaux qui garantissent la défense juridique des locataires. Et d’ajouter : « Nous considérons qu’il s’agit d’un combat de pointe pour les droits civils, ce qui est le cas ; nous considérons que cela fait partie du combat pour le droit au logement ». (Article publié sur le site Truthout, le 29 avril 2022 ; traduction rédaction A l’Encontre)
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