Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Etats-Unis. Changement climatique, effet domino sur des infrastructures, et polarisation sociale

L’air plus froid et les tempêtes hivernales qui se sont abattues sur le centre des États-Unis sont un autre exemple de conditions météorologiques extrêmes dues au réchauffement de la planète.

Alencontre
25 février 2021

Par Barry Sheppard

Cet événement a également révélé que l’infrastructure de base du pays n’est pas à la hauteur pour faire face efficacement aux effets du changement climatique – actuellement et à l’avenir – alors que de plus en plus de phénomènes météorologiques extrêmes se développent.

L’expérience du Texas est en soi un exemple flagrant [voir à ce sujet l’article publié sur ce site en date du 22 février 2021]. Les scientifiques nous disent que des événements particuliers ne peuvent être réduits au seul changement climatique, mais qu’ils laissent augurer des conditions météorologiques plus extrêmes dans le monde entier.

Mais cet événement actuel est lié à une évolution directement due au réchauffement climatique. C’est le fait que l’Arctique se réchauffe plus rapidement que le reste du globe. Comme le réchauffement climatique en général réduit la quantité de glace de l’Arctique, un cercle vicieux s’est développé, qui accélère le réchauffement de l’Arctique.

La calotte glaciaire est blanche, ce qui renvoie la lumière du soleil dans l’espace pendant l’été. Comme la calotte glaciaire devient plus petite en raison de la fonte due au réchauffement climatique, elle réfléchit moins la lumière du soleil, ce qui augmente la quantité de lumière du soleil qui atteint la terre, et expose l’eau de l’océan Arctique au réchauffement, ce qui contribue également au réchauffement climatique.

Le cycle se renforce lui-même

L’un des effets du réchauffement de l’océan Arctique est d’affaiblir le courant-jet [jet-stream : courant d’air rapide ; les courants-jets polaires sont situés entre 7 et 12 kilomètres au-dessus du niveau de la mer] qui sert à limiter la quantité d’air froid de l’océan Arctique qui se dirige vers le sud. Le courant-jet affaibli a commencé à se déplacer davantage, ce qui affecte le climat mondial et permet à plus d’air arctique de se mélanger à l’air du sud. Cela prépare le terrain pour que davantage d’air froid se déplace vers le sud. Mais cela se produit chaque année, ce qui n’explique pas seulement l’événement extrême actuel.

Toutefois cette année, un réchauffement stratosphérique soudain a eu lieu au-dessus de la calotte glaciaire. En quelques jours seulement, fin décembre 2020, les températures de l’atmosphère au-dessus du pôle nord se sont réchauffées de 100 degrés Fahrenheit [soit 37,7778 Celsius], passant de moins 110 degrés [-43,33 C°] à moins 10 [12, 22C°]. Le réchauffement climatique augmente la fréquence des événements du type réchauffement stratosphérique soudain.

Il en résulte un nouvel affaiblissement du jet-stream qui implique son élongation, permettant à l’air froid de plonger vers le sud jusqu’à la frontière avec le Mexique.

Alors que les océans Pacifique et Atlantique maintenaient les côtes plus chaudes, cet air froid de l’Arctique descendait dans les plaines du centre-sud. Des centaines de records historiques ont été établis alors qu’un froid sans précédent s’emparait des villes et des bourgades non préparées à cette explosion. Puis l’air froid et les tempêtes se sont déplacés vers l’est.

Effondrement des infrastructures

Un article paru dans le New York Times du 21 février commençait par une description des risques révélés par le froid et les tempêtes :

« Alors même que le Texas s’efforçait de rétablir l’électricité et l’eau au cours de la semaine dernière, des signes des risques posés par des conditions météorologiques de plus en plus extrêmes pour les infrastructures vieillissantes des Etats-Unis apparaissaient dans tout le pays.

 »Les tempêtes hivernales qui se sont abattues sur le continent ont déclenché des pannes d’électricité au Texas, en Oklahoma, au Mississippi et dans plusieurs autres États. Un tiers de la production pétrolière du pays a été interrompue. Les systèmes d’eau potable de l’Ohio ont été mis hors service. Les réseaux routiers du pays ont été paralysés et les efforts de vaccination ont été interrompus dans 20 États.

 »La crise est porteuse d’un profond avertissement. Alors que le changement climatique entraîne une augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes, des inondations, des vagues de chaleur, des incendies et d’autres événements extrêmes, il met de plus en plus à mal les fondements de l’économie du pays : son réseau routier et ferroviaire, ses systèmes d’eau potable, ses centrales électriques, ses réseaux électriques, ses décharges industrielles et même ses habitations.

 »Les défaillances dans un seul secteur peuvent déclencher un effet domino de pannes difficiles à prévoir.

 »Une grande partie de ces infrastructures ont été construites il y a des décennies, en espérant que l’environnement resterait stable, ou du moins fluctuerait dans des limites prévisibles. Aujourd’hui, le changement climatique remet en cause cette hypothèse. »

Le long article poursuit en énumérant les nombreux exemples de défaillances des infrastructures ces dernières années lors d’événements climatiques extrêmes dans tout le pays.

L’exemple du Texas

Lorsqu’une grande partie de l’énergie électrique du Texas est tombée en panne, le gouverneur Greg Abbott, républicain négationniste du changement climatique, a déclaré : « Cela montre à quel point le Green New Deal serait un contrat mortel pour les États-Unis d’Amérique. Le Texas a la chance de disposer de multiples sources d’énergie comme le gaz naturel, le pétrole et le nucléaire, ainsi que le solaire et l’éolien. Mais… nos énergies éolienne et solaire ont été coupées, or elles ne représentaient pas plus de 10% de notre réseau électrique. Et cela a poussé le Texas dans une situation où électricité manquait dans tout l’État. »

Mais les responsables de son propre gouvernement ont contredit cette affirmation absurde. Ils ont déclaré que la panne était due au froid qui a gelé les vannes, les tuyaux, etc. des centrales électriques utilisant le gaz naturel, le charbon et le combustible nucléaire pour produire de l’électricité.

Alors que Greg Abbott a été contraint de revenir un peu en arrière sur sa déclaration, Fox News et d’autres ont continué à répandre ces mensonges.

D’autres éléments sont impliqués dans la défaillance du réseau électrique de l’État. En premier lieu, dans les années 1930, le réseau électrique du Texas était délibérément séparé des deux grands réseaux de l’est et de l’ouest du pays, afin d’éviter les réglementations régissant ces réseaux.

Ainsi, lorsque le réseau texan s’est effondré, il ne pouvait pas tirer de l’électricité des réseaux nationaux. C’était le résultat de la fameuse « indépendance » du Texas. Une ville faisait exception, El Paso, qui est connectée à l’un des réseaux nationaux, et n’a donc pas connu de coupure de courant.

Dans les années 1990, le système électrique a été complètement déréglementé et privatisé. De nombreuses entreprises différentes se font concurrence pour fournir de l’électricité.

Ces entreprises fournisseur du courant [et utilisant un réseau commun] disposent de formules juridiques différentes pour déterminer le montant des tarifs. [Voir sur le type de contrats et la possibilité de hausse des tarifs l’article de Galbraith cité ci-dessus.] Dès lors, certains ont reçu des factures de plusieurs milliers de dollars, eux dont la facture était inférieure à 100 dollars avant que le froid et les tempêtes ne frappent.

Mais tout cela est légal et a cependant provoqué un tollé. Dès lors, l’État a empêché l’envoi de factures d’électricité, mais il ne contrôle toujours pas ces prix. Peut-être que l’argent que le gouvernement fédéral envoie au Texas, puisque l’état d’urgence a été déclaré, servira à payer ces factures. Il reste à voir ce que coûtera l’électricité lorsque le réchauffement climatique ramènera lentement le système électrique à la « normale ».

Les compagnies de gaz naturel ont également subi des arrêts de production à cause du gel des équipements. La plupart des maisons sont chauffées au gaz naturel. Aux actualités, nous avons vu des gens tenter frénétiquement de se réchauffer pendant ce gel polaire. Les mieux lotis pouvaient aller dans des hôtels qui avaient encore du chauffage. D’autres, montrés à la télévision, étaient en train de découper des tables, des chaises, des bibliothèques, etc. en bois pour les brûler s’ils avaient une cheminée.

Aujourd’hui, les compagnies de gaz pratiquent également des prix abusifs, car elles reviennent sur le marché et font face à une forte demande. Les capitalistes qui se trouvent dans une telle situation ne manquent jamais de faire des profits lors des catastrophes.

Nous avons vu aussi que le froid a gelé les canalisations d’eau, ce qui a entraîné l’inondation et la dégradation de nombreuses maisons. Beaucoup de maisons n’ont plus du tout d’eau courante. Les hôpitaux ont été durement touchés dans tout l’État en raison du manque d’eau et d’électricité nécessaire pour traiter de nombreux patients, par exemple ceux qui sont sous dialyse. D’autres malades, traités à domicile, face aux coupures d’eau et d’électricité ont été coupées, ont dû s’en remettre aux hôpitaux avec les dépenses importantes qui en découlent. Sans mentionner que certains hôpitaux ont été inondés en raison du gel des canalisations d’eau.

Comme cela a été le cas au Texas lors d’autres événements extrêmes comme de puissants ouragans, les plus touchés ont été les Noirs et les Latinos. Dans un entretien dans Democracy Now, le Dr Robert Bullard, professeur à la Texas Southern University de Houston, connu comme le « père de la justice environnementale », a souligné la situation à laquelle de nombreuses personnes de couleur étaient confrontées, « frappées, sans électricité, sans argent, sans eau, sans moyen de transport pour se rendre à l’épicerie afin d’obtenir de l’eau et de la nourriture ».

Robert Bullard a également déclaré :

« L’impact de cette tempête dépasse de “simples” pannes de courant et des désagréments pour les communautés qui ont historiquement été touchées par l’insécurité énergétique, devant payer une plus grande partie du revenu du ménage pour l’énergie.

 »Et ce genre de perturbations, avec cette vague de froid et du fait que les gens devront régler à la hausse le thermostat pour se tenir au chaud après le rétablissement de cette coupure de courant, ils vont recevoir des factures d’électricité élevées. Certains ne pourront pas les payer et verront leur approvisionnement en électricité coupé.

 »C’est l’inégalité qui s’ajoute à l’inégalité habituelle. Et nous voyons cela se produire dans toute la ville, ainsi que dans l’État. »

Les tâches à venir

Nous savons que très peu de choses sont faites pour réduire et éliminer les gaz à effet de serre, causés par l’utilisation de combustibles fossiles, que ce soit aux États-Unis ou au niveau international. Nous savons le désastre qui attend l’humanité si trop peu est fait et à temps, pour prendre en charge cette énorme tâche.

Nous devons également moderniser les infrastructures afin de pouvoir atténuer les effets des conditions météorologiques extrêmes qui se produisent déjà et qui s’intensifieront avec le réchauffement climatique.

Nous devons donc faire les deux, simultanément et maintenant. L’augmentation des catastrophes dues au réchauffement climatique est un avertissement pour l’humanité : nous devons sortir la tête du sable, ouvrir les yeux, regarder autour de nous et faire face à la réalité, sinon nous assisterons à un réchauffement planétaire aux effets mortels. (Texte envoyé par l’auteur le 24 février 2021 ; traduction rédaction A l’Encontre)

Barry Sheppard

Barry Sheppard était l’un des militants du mouvement pour les droits civiques et contre la guerre du Vietnam, actif au MIT. Par la suite, il occupa un poste de direction au sein de l’historique Socialist Workers Party des Etats-Unis, avec lequel il a rompu suite à sa dégénérescence organisationnelle et politique. Un premier volume de ses mémoires politiques est paru The Socialist Workers Party 1960-1988 ?A Political Memoir, Volume 1 : The Sixties, Published by Resistance Books, 2005.

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