30 novembre 2022 | tiré de Révolution permanente
Afin d’éviter une grève nationale des chemins de fers, l’administration Biden a demandé au Congrès d’imposer de manière antidémocratique un contrat aux travailleurs du rail qu’ils ne souhaitent pas. Une manœuvre qui démontre l’hypocrisie du pseudo "président fier d’être pro-syndicats" agissant en réalité pour les intérêts du patronat
Ce lundi 28 novembre, l’administration Biden a signalé au Congrès que ce dernier devait intervenir pour contourner le processus normal de ratification et imposer des conditions aux syndicats du rail, empêchant ainsi une grève nationale du fret en décembre.
À peine 30 minutes après l’annonce de M. Biden, la démocrate Nancy Pelosi a promis que la Chambre des représentants s’empresserait de voter cette semaine un projet de loi visant à forcer les syndicats à accepter un contrat négocié par l’administration Biden et que le Sénat voterait sur ce projet peu après. Alors que les compagnies ferroviaires et d’autres titans du capital se plaignent dans la presse et à huis clos de pertes de profits et de catastrophe économique, les politiciens du Capitole se précipitent pour empêcher ce qui serait la plus importante démonstration de force nationale depuis de nombreuses années de la part d’un seul secteur de travailleurs.
Cette décision de Biden est une trahison massive pour plus de 115 000 travailleurs du rail qui se sont organisés depuis des mois pour lutter contre leurs patrons et obtenir leurs revendications. Elle montre que Biden, qui s’est autoproclamé "président pro-syndicats", n’est rien d’autre qu’un loyaliste qui plie le genou au capital au détriment des conditions de vie des travailleurs.
Depuis plus de trois ans, les cheminots étatsuniens se battent pour obtenir de meilleurs salaires et une couverture médicale, mais également des congés maladie payés et des augmentations d’effectifs afin que les travailleurs ne soient plus contraints de faire des heures exténuantes. Actuellement, ils ne bénéficient d’aucun congé maladie et beaucoup témoignent ne pas avoir le temps de passer du temps avec leur famille, se reposer ou prendre soin d’eux.
Ces politiques ont des conséquences mortelles pour les personnes qui travaillent chaque jour dans les chemins de fer. En juin, un ingénieur de 51 ans est mort d’une crise cardiaque dans un train après avoir repoussé un rendez-vous chez le médecin. Pourtant, parce que l’octroi de congés payés menace de réduire leurs profits, les compagnies ferroviaires ont refusé de donner suite à ces revendications. En réponse, les travailleurs ont rejeté de multiples accords injustes et sont prêts à faire grève depuis l’été.
L’annonce de Biden n’est pas le début de l’ingérence du gouvernement dans les négociations contractuelles des cheminots. Agissant en vertu des pouvoirs de la loi anti-ouvrière Railway Labor Act de 1926, le gouvernement s’est immiscé dans les négociations contractuelles pendant des années. Mais quand l’arrêt national des chemins de fer est devenu une possibilité cet été, l’administration est passée à l’action : Joe Biden a formé le Presidential Emergency Board (PEB) pour suivre les négociations et aider à négocier un accord. Le secrétaire d’État au travail, Marty Walsh, a rencontré les patrons et les travailleurs à la table de négociation pour tenter d’éviter le pire des scénarios : une grève nationale des chemins de fer qui paralyserait le transport des marchandises et, potentiellement, des centaines de milliers d’entreprises.
L’accord que le Congrès est maintenant susceptible d’appliquer a été négocié par l’administration Biden en septembre. Il offre certaines concessions aux travailleurs que les patrons n’étaient pas initialement enclins à mettre en avant, mais il ne répond pas à leurs demandes les plus centrales. À titre d’exemple, il ne prévoit qu’un seul jour de maladie par an, alors que les travailleurs en réclament sept.
Alors que huit des douze syndicats impliqués dans les négociations ont accepté le contrat, quatre syndicats l’ont rejeté, dont l’un des plus grands syndicats, qui représentent ensemble 55 % des travailleurs du rail concernés par l’accord. La prochaine période de réflexion devant se terminer dans moins de deux semaines, les travailleurs sont prêts à faire grève dès le 9 décembre. Les syndicats impliqués dans les négociations ont convenu que si le contrat n’est pas ratifié à l’unanimité par les douze syndicats, ils feront tous grève ensemble. La détermination de ces syndicats à se battre est un signe encourageant : c’est la raison pour laquelle l’administration Biden et le Congrès - démocrates et républicains confondus – redoublent d’efforts pour imposer leurs conditions.
Juste avant que Biden n’annonce son intention d’imposer un accord, il a reçu une lettre d’une coalition de dirigeants de plus de 400 entreprises demandant au gouvernement d’intercéder en leur faveur. Biden - avec une sympathie de façade pour les travailleurs et une réticence hypocrite à "passer outre les procédures de ratification" - agit consciencieusement pour préserver leurs profits et soutenir une économie fragile. De leur côté, les chefs des démocrates et des républicains rentrent dans le rang, soutiennent la mesure et agissent ensemble pour que les négociations ferroviaires tournent en faveur des patrons.
Dans un renversement pervers, une poignée de républicains tentent de renforcer leur position auprès des travailleurs alors que les démocrates trébuchent et décrivent le décret de Biden comme une attaque contre les travailleurs. Mais malgré sa rhétorique anti-establishment, le parti républicain est farouchement anti-ouvrier et son bilan est clair sur cette question. En effet, les dirigeants du parti travaillent dur aux côtés des démocrates pour éviter la grève, et plusieurs autres ont signalé au cours des derniers mois qu’ils voteraient contre l’imposition du contrat de septembre uniquement pour s’assurer qu’il est plus favorable aux compagnies ferroviaires.
Pour leur part, plusieurs démocrates progressistes - dont Alexandria Ocasio-Cortez et Jamaal Bowman - se sont prononcés contre l’appel de Biden à imposer les conditions en l’état, en soulignant le fait que l’accord ne répond pas aux demandes des travailleurs. Bernie Sanders a déclaré que l’accord ne va pas assez loin, et que le Congrès doit donc agir pour s’assurer que d’autres dispositions soient ajoutées pour répondre aux préoccupations concernant les jours de maladie et le personnel.
Il est vrai que l’accord négocié par le gouvernement fédéral n’est pas seulement inadéquat, il avantage clairement les compagnies ferroviaires au détriment des travailleurs. Mais ce n’est pas au Congrès de dicter ce que doivent contenir les négociations et si les travailleurs peuvent faire grève ou non ; permettre au Congrès de négocier au nom des travailleurs, c’est capituler avant même que le combat ne commence. Malgré leur positionnement pro-travailleurs, même ces démocrates progressistes se rangent derrière le reste de leur parti et s’organisent pour éviter la grève à tout prix.
Éviter la grève n’a pas de rapport avec les conséquences d’un arrêt des chemins de fer sur les familles de travailleurs. Il ne s’agit pas de la fermeture d’entreprises qui laisseraient des travailleurs sans emploi. Il ne s’agit pas de l’inflation. Ce ne sont que des prétextes pour retourner l’opinion publique contre les cheminots et leur détermination à obtenir de meilleures conditions. Ce qui inquiète en réalité Biden, le Congrès et les patrons de tous les États-Unis, ce sont les près de 2 milliards de dollars par jour qui seraient perdus si les cheminots refusaient de travailler et les conséquences que cela aurait sur les profits capitalistes.
Au cours de la semaine prochaine, le Congrès agira probablement avec une rapidité inhabituelle pour faire appliquer les négociations de Biden à plus de cent mille travailleurs et tenter d’étouffer une grève. Il s’agit d’une attaque sans équivoque contre les droits des travailleurs - une attaque contre les plus de 100 000 travailleurs du rail et contre les travailleurs de tous les États-Unis. Elle va à l’encontre de tout ce pour quoi ils se sont battus au cours des trois dernières années. Et bien qu’il s’agisse d’un exemple particulièrement flagrant de législation anti-ouvrière, le Railway Labor Act n’est pas le seul de son genre. Dans tout le pays, les travailleurs sont confrontés à des clauses de non-grève et à des lois anti-grève similaires qui les empêchent de lutter pour de meilleures conditions de vie et de travail.
Après cela, nous ne pouvons plus nous faire d’illusions sur le fait que Biden serait un président "pro-travailleurs" ou que le parti démocrate est un parti qui se bat pour les intérêts de la classe ouvrière. Et il est clair que ce système est construit pour protéger les profits de l’impérialisme américain, et non pour garantir une voie à suivre pour obtenir de meilleures conditions pour les travailleurs.
Néanmoins, le pouvoir reste entre les mains des travailleurs du rail. Ils n’ont pas besoin de la permission du Congrès pour faire grève. Leur succès réside dans leur détermination continue à lutter et à ne pas se laisser intimider par les manœuvres d’un gouvernement qui travaille pour le compte des patrons. Cela signifie qu’il faut rompre avec la logique selon laquelle le parti démocrate et les institutions de l’État américain peuvent être un moyen de lutter pour de meilleures conditions, une logique qui est défendue aux plus hauts niveaux de la direction des syndicats. Pour obtenir des congés maladie et une meilleure dotation en personnel, pour obtenir des salaires décents et des soins de santé, ces travailleurs ne doivent pas se faire d’illusions sur le fait que s’allier aux politiciens capitalistes sera autre chose qu’une alliance avec leurs ennemis.
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