Les arguments du gouvernement de l’Etat espagnol, résumées dans le discours de Mariano Rajoy (Parti populaire), sont ceux de toujours : « la consultation que l’on [le gouvernement autonome de Catalogne] entend mener à bien est, autant par son objet que par la procédure suivie, incompatible avec la Constitution espagnole ». Vraiment ? Pourquoi n’ont-ils pas accepté d’appliquer, par exemple, l’article 150.2 qui aurait permis de transférer la compétence de convoquer un référendum non contraignant à la Generalitat ? S’y ajoute : « la souveraineté réside dans le peuple espagnol dans son ensemble et une fraction de celui-ci ne peut prendre des décisions sur ce qui affecte tout le monde ». Pourquoi, alors, a-t-il été possible en Ecosse que seuls les Ecossais et les Ecossaises aient pu voter sur la possibilité d’une séparation avec le Royaume-Uni et que ce ne soit pas l’ensemble des habitant·e·s de cet Etat qui l’ait fait ? Et, finalement, sur un mode catastrophiste, Rajoy affirme : « cette consultation sur l’autodétermination […] s’oppose à la loi, est extérieure à la démocratie, divise les Catalans, les éloigne de l’Europe et du reste de l’Espagne et porte un grave préjudice à leur bien-être ». Ne serait-ce pas plutôt l’Etat espagnol que s’éloigne de cette « Europe » qui n’a rien dit contre le référendum écossais mais qui, en revanche, assiste préoccupée à l’instabilité politique que pourrait provoquer la « collision de trains » qui s’annonce ?
Le pire, dans ce discours prévisible de Rajoy, réside dans son affirmation catégorique selon laquelle : « d’un point de vue strictement politique, il n’est pas non plus possible d’agir d’une autre manière ».
C’est là que réside le nœud du problème : s’il existe une revendication largement majoritaire en Catalogne en faveur de l’exercice du droit à voter le 9 novembre prochain, ainsi que cela a été vigoureusement confirmé de différentes manières (il y a désormais 92,9% des municipalités disposées à organiser la consultation), la logique aurait voulu de rechercher une certaine formule légale pour l’exercice de ce droit. Ce d’autant plus qu’il s’agit d’une consultation non contraignante et, par conséquent, il ne s’agira pas de céder au résultat de cette consultation, dans l’hypothèse d’une majorité en faveur de l’indépendance, en la proclamant immédiatement.
On ne se lassera jamais de rappeler que cet autisme politique contraste avec ce que firent autant le PP que le PSOE [Parti socialiste ouvrier espagnol] afin de permettre la réforme exprès de l’article 135 [2] de la Constitution, en plein mois d’août 2011, de façon à contenter ces « marchés financiers » qui continuent d’agir en tant que véritables gouvernants de la zone euro. Pourquoi n’avoir pas évoqué les mêmes motifs dans ce cas ? Bien évidemment parce que les cessions de souveraineté « par en haut » sont déjà une norme courante pour certains gouvernements qui sont au service d’un despotisme antidémocratique à l’échelle européenne, alors que leur crainte face à la démocratie exercée à partir d’en bas augmente et qu’à cette occasion, d’un peuple qui revendique d’être reconnu comme tel.
C’est le manque de volonté politique de Rajoy et de son gouvernement à trouver un terrain d’entente permettant à la légalité de s’ajuster à la réalité – et non le contraire – qui a conduit à l’affrontement actuel. Sans doute, un fondamentalisme constitutionnel bien enraciné dans ses rangs les a influencés, mais aussi les calculs électoralistes classiques, destinés à compenser l’usure dont ils souffrent autant sur le plan politique (corruption) que social (« austéricide »), par le recours à un nationalisme espagnol belliqueux présent au sein d’une partie significative de sa base sociale. Néanmoins, le prix qu’ils paieront pour cela sera très élevé non seulement en Catalogne, mais aussi dans d’autres parties de l’Etat espagnol, où, ainsi que nous le voyons aux îles Canaries en ce moment même, la revendication du droit à décider sur des questions d’importance spéciale pour les habitant·e·s s’étend face à un gouvernement et à un régime en crise profonde de légitimité [un fort mouvement social existe depuis plusieurs mois aux Canaries contre les firmes pétrolières].
La réponse des organisations sociales et politiques catalanes favorables à la consultation ne s’est pas fait attendre. Nous vérifierons très probablement cet après-midi la puissance d’un mouvement pluriel et transversal [3], au sein duquel une partie croissante ne se reconnaît pas dans ce « pujolisme » qui a été également l’un des piliers du « régime de 1978 », qui a réalisé aussi de dures coupes sociales et qui se trouve aujourd’hui dans une crise profonde [4]. Ce mouvement qui proclame son droit de désobéir à la suspension prononcée par le Tribunal constitutionnel peut, pour cela, compter sur toute la légitimité démocratique et, en outre, sur la légalité même accordée par ses institutions représentatives.
Nous ne savons pas jusqu’où pourra aller ce mouvement ni ce qui se passera le 9 novembre. Une chose est cependant certaine : la porte que le Tribunal constitutionnel a claquée à la face de la consultation ne manquera pas de renforcer à l’avenir la désaffection des habitant·e·s et l’indépendantisme en Catalogne.
Entre-temps, nous observons en dehors de Catalogne – en dépit du fait que soit perceptible un changement progressif de segments significatifs de l’opinion publique espagnole pour autoriser aux Catalans à réaliser la consultation – que peu nombreuses sont les voix qui s’élèvent, exigeant au gouvernement, et au PSOE, qu’ils reconnaissent ce droit et qu’ils se résignent une bonne fois pour toutes à reconnaître la réalité plurinationale de cet Etat. Et, par conséquent, qu’ils acceptent l’existence d’un demos catalan spécifique disposant du droit à décider de son avenir. Faudra-t-il insister une fois encore sur le fait que le défi démocratique catalan suppose une contestation en règle de ce « régime de 1978 » [Transition du franquisme à ladite démocratie] contre lequel lutte également une majorité sociale croissante dans tout l’Etat espagnol ? Ne devrions-nous pas prendre note du fait que, bien que les sentiments nationaux soient très différents, nous avons un intérêt commun que dans ce combat politique ne sorte pas victorieux un régime qui se trouve, en outre, en profonde auto-réforme réactionnaire ? (Traduction A l’Encontre, article publié le 30 septembre sur la publication électronique publico.es)
Notes
[1] Artur Mas est le président de la Generalitat, soit Généralité de Catalogne, qui est le gouvernement autonome. Artur Mas continue de faire campagne, entre autres sur TV3, le 4 octobre, en faveur de la consultation. (Réd. A l’Encontre)
[2] Cet article a été modifié par le Parlement, grâce à un accord bipartisan PSOE-PP, en quelques heures en août 2011, soit lors des derniers mois du gouvernement du « socialiste » José Luis Zapatero ; il inscrit dans la Constitution l’obligation de l’équilibre budgétaire ; c’est une sorte de « frein à l’endettement ». (Réd. A l’Encontre)
[3] Dans l’après-midi du 30 septembre plusieurs dizaines de milliers de Catalans manifestèrent contre la décision du Tribunal constitutionnel. (Réd. A l’Encontre)
[4] Référence à Jordi Pujol, ancien président de la Generalitat de la Catalogne, entre 1980 et 2003, aujourd’hui poursuivi pour corruption et, plus généralement, à la coalition aujourd’hui au pouvoir dans la communauté autonome qui, aux côtés d’un nationalisme catalan, réalise un programme d’austérité qui n’a rien à envier à celui de l’Etat central. (Réd. A l’Encontre)
* Jaime Pastor est universitaire, professeur de Science politique auprès de l’UNED, éditeur de la revue Viento Sur, membre de Izquierda Anticapitalista et de Podemos. Il a publié récemment Los nacionalismos, El Estado espanol, y la izsquierda (2e édition révisée, 2014), Ed. Los Libros de Viento Sur et La Oveja Roja.