Pablo Elorduy : Pourquoi penses-tu que le changement soit nécessaire en Andalousie ?
Teresa Rodríguez : La situation de vulnérabilité réside dans le fait que la crise et les effets de l’ajustement néolibéral ont eu en Andalousie des conséquences plus dures que dans d’autres régions. Actuellement l’Andalousie est la Communauté autonome qui a le plus de pauvre en Espagne, un million de personnes se trouvent en situation de pauvreté sévère. C’est la région qui a le chômage le plus élevé de l’Union européenne. Ce que nous vivons au cours de ces mois, c’est la possibilité imminente d’un changement réel. Cette fenêtre d’opportunité ne sera pas toujours ouverte. Les partis du régime (PSOE, PP) peuvent se reconfigurer, ils peuvent survivre à cette mauvaise grippe qu’ils traversent. Et ce qui serait le plus dramatique : les gens pourraient s’accoutumer à cette situation. La population peut s’accommoder avec le fait qu’il faut payer pour aller voir le médecin, à ce que les centres publics soient négligés… Avant que cela se produise, avant que se ferme la crise de légitimité qui frappe ceux qui dirigent ce pays, il est indispensable de réaliser des changements.
Comment vos mesures les plus avancées seront-elles financées ?
Le financement des communautés autonomes, en particulier l’Andalousie, ne dépend pas d’elles. Notre capacité de recouvrement (recettes fiscales) est assez limitée. Nous avançons dans ce cas un projet qui se situe également à l’échelle de l’Etat et qui est lié à une série de mesures concernant la dette. L’une d’entre elles touche à la question de la restructuration de la dette comprenant une restructuration (dans le sens d’une réduction de la dette) et un audit. Cela de façon à ce que soit explicitée et que soit reconnue quelle partie correspond à une dette que l’on peut considérer comme étant illégitime, en raison de décisions erronées des gouvernements antérieurs, en raison d’une mauvaise gestion des fonds publics.
D’un autre côté, nous misons sur une réforme fiscale progressive visant ceux qui disposent des plus grandes fortunes. Ils doivent payer le plus d’impôts, dans un pays qui exerce la pression fiscale sur les grandes fortunes la plus basse de toute l’Union européenne. Aujourd’hui en Andalousie la dette publique occupe la troisième position dans les dépenses, ce qui a une conséquence directe sur les dépenses pour l’éducation, la santé, les services sociaux, les assurances, tout comme c’était le cas avec le licenciement pour un équivalent de 4502 places d’enseignant·e·s en 2012. Cette vision selon laquelle les coupes budgétaires auraient été plus douces en Andalousie [sous le gouvernement de coalition PP-PSOE] ne correspond pas à la réalité. Le budget par élève et par patient est le plus bas de tout l’Etat espagnol.
Suggérez-vous la réadmission du personnel licencié en raison des réductions budgétaires, comme l’a proposé SYRIZA ?
Bien sûr que oui. Mais ce n’est pas suffisant car avant la crise le budget par patient et par élève était spécialement bas en Andalousie. Il est indispensable de revenir au moins à la situation qui prévalait avant les coupes et, dans cette dynamique, augmenter les parts du budget pour atteindre la moyenne européenne en termes d’investissement public.
Il est souvent question de l’industrie comme moyen de sortir de la crise. Les navires militaires qui sortent de Cadix, les mines de Río Tinto [mine de cuivre à ciel ouvert, fermée depuis 1994] ou la réouverture de la mine d’Aznalcóllar [mine de métaux fermée il y a 16 ans, après un des plus graves accidents écologique, et dont la réouverture a été annoncée en mars 2014, en misant sur la création de 1300 emplois] seraient inclus ?
L’horizon doit être l’élaboration d’un nouveau modèle productif. Un modèle fondé sur les énergies sales et les carburants fossiles n’est pas seulement indésirable en termes de « soutenabilité » environnementale, mais il n’a pas d’avenir à moyen terme et il produit une situation de dépendance et d’endettement énorme. Le sous-développement industriel de l’Andalousie est historique, il s’agit d’une situation de dépendance et de marginalisation périphérique que l’on pourrait presque décrire comme étant coloniale. Mais on peut approcher aussi cette situation comme une possibilité de créer un modèle de développement basé sur les énergies renouvelables, un secteur dans lequel l’Andalousie pourrait être pionnière, un modèle fondé sur l’innovation et la Recherche et Développement. Les classes dominantes veulent transformer l’Etat espagnol – et l’Andalousie en particulier – en une « Floride » de l’Europe. alors que l’on pourrait aspirer à ce qu’elle soit la « Californie » de l’Europe, où l’investissement est destiné à un secteur de recherche et développement conçu depuis le secteur public, intégrant des critères sociaux et écologiques ; un modèle orienté vers l’économie sociale, de proximité, un modèle où les produits de la terre sont transformés en Andalousie, une revendication formulée il y a déjà 37 ans, lors de la mobilisation du 4 décembre en faveur du statut d’autonomie, qui n’est toujours pas satisfaite.
Nous continuons à être producteurs de biens ayant très peu de valeur ajoutée : la plus grande partie du coton est produite ici, mais il n’y a pas d’industrie textile… Il n’y a pas d’industrie de transformation des produits agricoles ici… Cependant, faire cela au XXIe siècle suppose être en mesure d’assumer les défis de l’économie sociale, le coopérativisme, la petite entreprise, les circuits courts de production et de consommation. Il y a une série de possibilités pour mettre en place un modèle de développement qui ne tombe pas dans les mêmes erreurs que les modèles de développement industriel du siècle passé.
Qu’est-ce qui peut être entrepris depuis la Junta [le gouvernement autonome] pour améliorer la situation de la population des paysans et des zones rurales ?
Avant tout, il faut qu’une chose soit bien claire : la Politique agricole commune (PAC) n’est pas un phénomène atmosphérique. Elle est le fruit d’un accord des grands partis au niveau européen. Nous devons nous battre contre ce modèle qui, outre le fait qu’il crée peu d’emploi, génère des bénéfices énormes pour les grands propriétaires terriens en Andalousie. Cette lutte, qui est en rapport avec le contexte européen, pourrait être conduite en Andalousie en mettant en place, par exemple, une banque des terres – qui est restée dans les tiroirs de la dernière législature – qui suppose l’achat de parcelles et la mise en exploitation y compris de terres publiques afin de les mettre à disposition des coopératives et de municipalités. Cela afin que les chômeurs des villages puissent au moins cultiver la terre et développer le tissu économique, non seulement de la production agricole mais aussi écologique.
Quelle est votre principale proposition en matière de logement ?
Dans la province de Cadiz, à Sanlúcar de Barrameda, il y a aujourd’hui 100 familles qui occupent des logements possédés par des fonds vautours. Il y a une expérience très récente en ville de Cadix, celle de la Corrala La Bahía où vivent environ 30 familles ; la Corrala Utopía à Seville s’est achevé en partie par une victoire des locataires, qui sont parvenus à trouver une solution pour leur problème de logement…
Les changements législatifs sont liés à la mobilisation de ceux d’en bas. Il en a été ainsi historiquement et c’est ainsi que cela doit être. Ce n’est pas seulement un bon gouvernement, habilité politiquement et juridiquement, qui est en mesure de changer les choses. Il est indispensable que la corrélation de forces à partir d’en bas s’impose, de stimuler des processus d’auto-organisation et d’enpowerment des gens. Quoi qu’il en soit, ce que nous devrons faire à partir du gouvernement : passer une législation qui paralyse les expulsions des logements dès le lendemain [de l’arrivée à la tête de la Junta]. Il y a une base légale pour le faire : le Tribunal de justice de l’Union européenne a conclu que les mécanismes judiciaires des expulsions de logement en Espagne ne respectent pas les garanties juridiques minimales des personnes sous hypothèque. A terme, il s’agit d’acquérir des logements publics et de les mettre à la disposition des gens sous loyer social. Il faut renverser le processus de réduction du logement public que l’on a connu en Andalousie pour que le logement possède la dimension sociale que lui attribue même la Constitution, il n’est pas nécessaire d’aller chercher plus loin.
Entretien paru dans le numéro 240, 19 février-4 mars 2015, du journal d’actualité critique Diagonal. Traduction A l’Encontre.