Défaire le mythe de l’égalité atteinte
On ne le répétera jamais assez : l’égalité entre les hommes et les femmes n’est pas une chose que l’on peut qualifier de réglée. Bien qu’il faille admettre que plusieurs avancées ont été réalisées dans les 30 dernières années particulièrement, plusieurs féministes et pro-féministes vous diront que les acquis sont souvent difficiles à garder. Au fédéral, pensons simplement aux attaques en règle conservatrices, qui ont teinté les batailles féministes des 10 dernières années, concernant la question du libre-choix face à l’avortement. Que ce soit en voulant considérer le meurtre d’une femme enceinte comme un double meurtre ou en voulant revoir la définition d’un être humain dans le code criminel canadien, toutes les portes possibles sont utilisées par les députés conservateurs pour jouer le populisme de bas étage et tenter de revenir 30 ans en arrière. Et ce n’est pas terminé : nous savons déjà qu’un possible prochain projet de loi tentera de rouvrir le débat sur la question de l’avortement illégal lorsqu’il est fait pour "choisir" le sexe de l’enfant. Nous avons déjà bien hâte de voir les arguments qui justifieront la lutte contre ce "terrible fléau" canadien.
Au Québec maintenant, les luttes féministes sont bel et bien présentes et continuent de nous faire réfléchir tant sur nos choix de société que sur nos modes de fonctionnement internes. La pauvreté se conjugue encore trop au féminin : elles sont plus nombreuses à travailler à temps partiel, moins nombreuses à temps plein. Leurs revenus tournent autour de 29 000 $ par année comparativement à 44 000$ pour les hommes. Elles sont plus nombreuses à travailler au salaire minimum, les familles monoparentales sont majoritairement le lot des femmes, tout comme le travail domestique, le rôle d’aidantes "naturelles", etc.1 Elles sont encore trop peu nombreuses dans les postes de pouvoir et de décisions, même si cet aspect peut soulever d’autres questions sur le genre de modèle économique et politique que nous voulons. Bref, les occasions ne manquent pas pour démontrer l’inégalité persistante spécifique des femmes dans une société que certain-e-s qualifient d’égalitaire.
Les luttes féministes : des luttes anticapitalistes dans une perspective globale
Être féministe, ce n’est pas seulement se battre pour l’égalité et les droits des femmes du pays dans lequel nous sommes ou dans celui que nous voulons bâtir. C’est aussi être dans une solidarité mondiale avec les femmes d’un peu partout qui se battent pour leur autodétermination, leur autonomie, une reconnaissance pleine et entière de leur personne et encore ... Pensons à ces femmes du Guatemala qui se battent contre les minières et pour le droit à la terre, à celle de Turquie qui remettent en question le capitalisme et qui luttent pour la démocratie, à celle du Portugal ou de la Grèce qui n’en finissent plus de voir pleuvoir les mesures d’austérité. Mais dans quel monde vivons-nous ? Comment se fait-il que partout dans le monde, des femmes doivent se regrouper pour se battre afin de faire reconnaître leurs droits ?
Devant des contextes et des réalités bien différentes, force est d’admettre que la lutte contre le système capitaliste et patriarcal est ce qui peut nous rassembler. En effet, le système capitaliste est celui qui permet une hiérarchie des pouvoirs, souvent liés à l’économie et au politique, en fonction de ce que l’on possède. Ainsi, ceux qui tirent les ficelles de ce monde, ont comme objectif de toujours maximiser leurs profits, essayant de faire des profits sur les profits déjà faits. Rien ne se perd, tout se vend ! Pour que ce système fonctionne, il faut donc que des personnes possèdent tout et que d’autres ne possèdent rien. C’est alors qu’entre en jeu le système patriarcal qui, lui, va donner une "orientation de genre" à ce système, donnant ainsi une force de pouvoir économique plus grande aux hommes et confinant les femmes dans la sphère "de la maison". Toutefois, les distinctions basées sur le genre ne peuvent être réduites à ce résumé rapide puisqu’elles prennent plusieurs formes. En effet, des femmes se retrouvent parfois dans les hautes sphères, mais doivent adopter et reproduire le modèle pensé par et pour les hommes afin d’y rester. D’un autre côté, les hommes ne sont pas à l’abri du "bas de la pyramide", surtout ceux ne correspondant pas au modèle dominant.
C’est donc ces systèmes que nous combattons tous et toutes. C’est devant le constat que ces systèmes sont présents partout dans le monde que la Marche mondiale des femmes a pu regrouper ses revendications autour de deux thèmes principaux dans les dernières années : pauvreté et violence2. Bien que les réalités soient différentes pour les femmes d’un pays à un l’autre et même à l’intérieur du même pays, les conséquences de ces systèmes d’exploitation qui permettent, entre autres, la traite des personnes ou de ne pas considérer plusieurs activités des femmes comme une source de travail se font bel et bien ressentir.
Les temps changent ...
Les temps ont effectivement changé et des enjeux nouveaux pour le mouvement féministe se font sentir. Québec Solidaire, dans sa réflexion pour son propre programme, n’échappera pas à la donne. De plus, ces remises en question sont nécessaires pour notre avancement collectif. Voici quelques exemples pour illustrer les temps nouveaux !
La revendication de la reconnaissance du travail invisible des femmes a longtemps été mise de l’avant au Québec. Faut-il permettre à toutes d’avoir un salaire décent et ainsi accorder aux tâches domestiques et au rôle parental la même importance qu’au travail rémunéré ? Faut-il plutôt améliorer les fondements de base du marché du travail pour que celui-ci permette une véritable conciliation travail/famille/militance sans pénalisation du revenu ? Prendre la voie du salaire pour la reconnaissance du travail invisible est-elle plutôt gage de retour à la maison pour les femmes ?
Doit-on comme parti politique prendre position sur le débat très polarisé de la prostitution et du travail du sexe ? Doit-on aller vers une position clairement affirmée pour l’abolition de la prostitution ou doit-on plutôt aller vers une légalisation et des législations encadrant le travail du sexe ? Québec Solidaire ne devrait-il pas chercher sa propre voie dans tout ce débat et sortir des deux modèles qui nous sont régulièrement présentés ?
L’intersection des oppressions est une nouvelle approche qui fait son chemin au Québec. Cette approche vise, en résumé, à ouvrir nos horizons sur la diversité des oppressions qui se vivent dans notre société. Ainsi, doit-on continuer à se regrouper autour de ce "nous les femmes" et contre le patriarcat afin de former une alliance plus grande ? Doit-on plutôt (certaines diront enfin) reconnaître les différents rapports de pouvoirs qui existent, même entre les femmes elles-mêmes et reconnaître les réalités différentes qui colorent notre mouvement (femmes racisées, immigrantes, aînées, handicapées, assistées sociales, lesbiennes, transgenres, transexuelles, etc.) ?
La diversité des orientations sexuelles est un enjeu dont on parle depuis un certain temps au Québec. Ainsi, les réalités des femmes lesbiennes et bisexuelles résonnent un peu plus dans nos réseaux militants. Les questions de diversité de genre posent toutefois d’autres questions bien importantes pour les féministes : qu’est-ce qu’être une femme, par exemple ? On pourrait supposer que la diversité des genres vient remettre en cause certains aspects du féminisme, pensons à la non-mixité pour ne nommer que celui-ci.
De grandes réflexions nous attendent à Québec solidaire concernant cet enjeu toujours d’actualité. D’ailleurs, notre propre réflexion s’inscrit dans un mouvement de réflexion plus large qui aura lieu en novembre prochain : les États généraux de l’action et de l’analyse féministe3. Ainsi, des centaines de féministes d’un peu partout au Québec apporteront leur réflexion pendant cette fin de semaine. Voilà une contribution importante à laquelle nous pourrons nous référer pour la suite de nos débats !
Marie-Ève Duchesne
Candidate pour Québec solidaire dans Taschereau