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Les destructions provoquées par les ouragans qui ont frappé l’île en septembre 2017 ont été aggravées par la longue histoire de l’exploitation impérialiste qui a dévasté l’économie et les infrastructures, en particulier au cours de la dernière décennie.
Récemment, Carmen Yulín Cruz, maire de San Juan, capitale de la colonie, a déclaré : « La majorité de l’île est toujours sans électricité. Seulement 40 à 60% de la population a accès à de l’eau. Cela ne veut pas dire que c’est une bonne eau. Nous devons encore le faire bouillir ou y mettre du chlore pour pouvoir la boire. Les services médicaux sont vraiment, vraiment mauvais à cause du manque d’électricité. Les approvisionnements dans les supermarchés ne sont pas encore là, donc les gens ont beaucoup de mal à obtenir les biens dont ils ont besoin. »
Les rapports indiquent de nombreux décès dus à la situation sanitaire. De même, les personnes âgées meurent étant donné le manque de climatisation en raison de la carence d’électricité dans les foyers pour personnes âgées.
Un article paru dans le New York Times du 14 novembre rapporte que suite aux ouragans et aux semaines de désolation, « il y a des signes avant-coureurs d’une véritable crise de santé mentale sur l’île, disent les responsables de la santé publique. Avec des secteurs importants de la population présentant des symptômes de troubles expressions d’un stress post-traumatique. »
L’article souligne de même que « les personnes atteintes de maladies mentales avant la tempête et qui ont vu leur thérapie interrompue au même titre que l’obtention des médicaments ont vu leur état se détériorer [….]. Revenir à une routine est l’étape la plus importante pour surmonter les traumatismes…. Mais pour la plupart des Portoricains, les obstacles logistiques tels que la pénurie d’eau et d’électricité, ainsi que les écoles fermées de même que les entreprises rendent cela impossible. »
Le nombre effectif des décès dus aux ouragans et aux conséquences d’une aide inadéquate est inconnu. Le maire Yulín Cruz cite un grand nombre de crémations, sans aucune explication provenant du gouvernement pro-impérialiste. Nous ne pourrons jamais connaître le nombre réel de morts.
Il y a un manque de clarté et d’information en général concernant la situation dans toute l’île.
Certains pensent que le manque d’aide appropriée de Washington est dû à l’incompétence de Trump. Un tel jugement est superficiel. Les actions de Washington sont délibérées et calculées. Cela soulève la question : quels sont exactement ses objectifs pour l’avenir de Porto Rico ? Pour commencer à répondre à cette question, il est utile de se pencher sur l’énorme dette de 75 milliards de dollars que Porto Rico doit aux fonds financiers vautours américains et sur le cas particulier de la compagnie d’électricité de l’île, insolvable.
A la suite de la déclaration du gouvernement portoricain selon laquelle il ne pouvait pas rembourser la dette, l’administration Obama a mis en place, en 2016, un conseil financier nommé par les Etats-Unis pour superviser les finances de la colonie. Un objectif de ce conseil est de trouver des moyens de faire rendre gorge au peuple portoricain le maximum d’argent possible aux fonds vautours.
Le maire Cruz a déclaré à l’époque : « Ils ont dévoilé à tout le monde, à la communauté internationale et à chacun à Porto Rico que nous sommes une colonie des Etats-Unis…. Ce conseil de contrôle colonial abaissera le salaire minimum pour les personnes de 25 ans ou moins à 4,50 dollars l’heure. Il pourrait vendre nos ressources naturelles… », notamment en privatisant les entreprises et les services publics et en utilisant le produit pour payer les fonds vautours.
L’une des principales entreprises de services publics déjà sur le terrain est The Porto Rico Power Authority (PREPA), la compagnie d’électricité de l’île. La façon dont les gestionnaires de PREPA agissent a été illustrée il y a deux ans. Ils se sont adressés à une firme qui était supposée restructurer la dette de PREPA. Cette firme n’a jamais été en mesure d’obtenir un accord avec les détenteurs d’obligations émises par PREPA, mais PREPA a versé 46 millions de dollars, en février, à cette firme pour 18 mois de « travail ».
Après le passage des ouragans, la direction de PREPA a signé un contrat secret avec une petite entreprise de l’Etat du Montana, Whitefish Energy Holdings, pour 300 millions de dollars afin de restaurer le système de distribution électrique. Cette société est composée de deux personnes. Ce qu’ils font n’est autre qu’embaucher des sous-traitants pour faire le travail, et les deux propriétaires de Whitefish empochent une partie des profits.
Whitefish Energy se trouve dans une petite ville rurale du même nom qui est justement la ville natale du secrétaire à l’Intérieur de Trump, Ryan Zinke. Zinke jure sur une pile de bibles qu’il n’avait absolument rien à voir avec l’obtention de ce contrat pour ses copains de cette ville.
Toute cette procédure était sans précédent. Après une panne électrique catastrophique, les entreprises appellent une organisation commerciale, l’American Public Power Association, qui organise un réseau de services d’électricité régionaux et étatiques pour rétablir rapidement l’électricité.
C’est ce qui s’est passé au Texas après l’ouragan Harvey et en Floride après Irma. Le lendemain du départ d’Irma, Florida Power and Light a déclaré que plus de 20’000 travailleurs de 30 Etats et du Canada avaient été déployés pour rétablir l’électricité. La PREPA, qui est membre de l’Association, ne s’est pas adressée à cette société. Elle a embauché Whitefish.
Il s’avère que Whitefish a embauché deux entreprises pour faire le travail, et ils ont prétendu n’avoir que quelque 300 travailleurs à Porto Rico, quelques semaines après les ouragans. Selon le contrat, le Washington Post rapporte que la PREPA paie 462 dollars de l’heure à Whitefish pour un agent de supervision à Whitefish et 319,04 dollars pour un monteur de ligne, soit environ 17 fois ce que gagnent les monteurs de ligne portoricains (19 dollars l’heure). Juan González de Democracy Now (canal de TV) à Porto Rico a déclaré que ce travail aurait pu être fait par des travailleurs portoricains, qui travaillent déjà pour PREPA, et d’autres travailleurs des Etats-Unis pour une somme bien inférieure.
Les sous-traitants paient les monteurs de lignes de 60 à 100 dollars l’heure. Whitefish facture également à 332 dollars les frais d’hébergement par nuit pour un travailleur et à 80 dollars par jour pour la nourriture.
Le contrat stipule également : « En aucun cas PREPA, le Commonwealth de Porto Rico, l’administrateur de la FEMA [Federal Emergency Management Agency] ou tout autre représentant autorisé n’a le droit d’inspecter ou de vérifier les éléments de coûts et bénéfices relatifs aux coûts de la main-d’œuvre ici spécifiés. »
« Il est vraiment déconcertant que les gens puissent juste escroquer, escroquer une population entière quand ils sont le plus vulnérables », a déclaré Yulín Cruz.
Sous une pression énorme, le gouverneur de Porto Rico, Ricardo Roselló [à ce poste depuis 1992, réélu en janvier 2017], a finalement donné l’ordre à la PREPA d’annuler le contrat, mais il est valide jusqu’au 30 novembre. Roselló a nommé Ricardo Ramos à la tête de la PREPA en début d’année. R. Ramos est le responsable qui a signé le contrat avec Whitefish. Après que le scandale a éclaté, le gouverneur, en essayant de sauver la face, a demandé au gouvernement des Etats-Unis un somme d’environ 95 milliards de dollars pour la reconstruction. Ne prenez pas le risque de retenir votre souffle en attendant que Washington fasse quelque chose qui réponde à cette requête.
L’électricité à San Juan a été restaurée plus qu’ailleurs, mais de façon très inégale. Toutefois, une autre panne est intervenue, une nuit après que les lignes ont été installées par les sous-traitants de Whitefish.
Il existe un autre contrat signé par la PREPA avec une compagnie appelée Cobra pour un montant de 200 millions de dollars. Mais peu d’éléments ont été rendus publics à ce sujet.
González ajoute que la PREPA « est en faillite, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de liquidités provenant [avant la tempête] des tarifs que les utilisateurs de services publics paient. La question est : où va l’argent ? »
La vérité est que les gestionnaires de la PREPA la conduisent au désastre. C’est pourquoi il a fallu engager Whitefish avec ces tarifs. Le but est de forcer la privatisation de cette société, ce qui est le but de la bourgeoisie comprador portoricaine et de ses politiciens pro-impérialistes ainsi que de Washington. (Le gouvernement de la ville de San Juan, y compris le maire, est évidemment une exception, il a été élu avec le soutien des syndicats.)
La compagnie des eaux, Fluor, est la prochaine sur la liste des privatisations de Washington et de ses laquais locaux. Ainsi que le système scolaire. L’objectif de Washington, selon une position délibérée – tout en assistant à la souffrance de Porto Rico – est de privatiser autant que possible l’économie.
Mais est-ce son seul but ? Ce qui semble se passer est quelque chose comme ce qui s’est passé à La Nouvelle-Orléans après l’ouragan Katrina en 2005, lorsque la catastrophe a été utilisée pour chasser les Noirs les plus pauvres. Un politicien raciste s’est exclamé : « Katrina a fait ce que nous ne pouvions pas faire. » L’éducation a été presque complètement privatisée, et la ville a été embourgeoisée.
On dirait que le « choc » de ces ouragans (pour utiliser la terminologie de Naomi Klein) qui frappe Porto Rico est utilisé pour pousser davantage de pauvres Portoricains à fuir vers les Etats-Unis, ce qui a déjà commencé. Cette privatisation puissance deux pourrait conduire à l’embourgeoisement de l’île estiment certains analystes socialistes, ce qui conviendrait aux riches des Etats-Unis et aux Etats-Unis.
Barry Sheppard
* Article envoyé par l’auteur le 16 novembre 2017 ; traduction A l’Encontre publiée le 17 novembre 2017 :
http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/etats-unis-quels-sont-exactement-les-objectifs-etats-uniens-pour-lavenir-de-porto-rico.html
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