Antonis Samaras s’est donc pris les pieds dans le tapis du palais Maximou : le premier ministre grec, en décidant soudainement, de concert avec la commission européenne, d’avancer l’élection présidentielle grecque, a raté son pari visant à prendre de court l’opposition de Syriza… Il n’a pas réussi à faire élire son candidat à la présidence de la République, Stavros Dimas – un vieux routier de la droite de Nouvelle Démocratie et ancien commissaire européen. Ce lundi 29 décembre, pour le troisième et dernier vote de cette élection présidentielle, seulement 168 députés sur 300 ont approuvé le choix du gouvernement Samaras. Pas une voix de plus que lors du deuxième vote, mardi 23 décembre. Or une majorité des trois cinquièmes était nécessaire : douze voix ont manqué pour faire élire Stavros Dimas.
Les députés qui étaient susceptibles de basculer – ceux du parti de la droite populiste des Grecs indépendants, ceux de la gauche modérée de Dimar, ou encore les sans étiquette – ont donc fini par résister au chantage du chef de l’exécutif, qui n’a cessé d’opposer la stabilité au chaos en cas d’élections législatives anticipées. Il faut dire qu’un scandale de corruption avait éclaté entre les deux premiers tours, lorsqu’un député des Grecs indépendants avait affirmé avoir été approché, avec la somme de 3 millions d’euros, pour accepter de voter pour le candidat de l’exécutif. Ce parti qui compte 12 députés à la Vouli, issu d’une scission avec Nouvelle Démocratie, était donc très refroidi quant à l’idée de soutenir le gouvernement Samaras.
L’Assemblée sera donc dissoute ce mardi 30 décembre, et les élections législatives anticipées se tiendront dans un délai record d’à peine quatre semaines : elles auront lieu le 25 janvier, a annoncé le premier ministre, à l’issue du vote, au cours d’une déclaration retransmise par la chaîne parlementaire. Rappelons que le Parlement actuel est lui-même issu d’élections anticipées – c’était au printemps 2012… Cette Assemblée n’aura donc siégé que deux ans et demi.
Sans laisser poindre l’ombre d’une remise en question, Antonis Samaras a soutenu mordicus que le choix de voter pour Stavros Dimas était le choix « de la stabilité, celui de sortir prochainement et définitivement des mémorandums d’austérité » : « On a fait ce qu’on a pu pour faire élire le président et éviter des élections législatives anticipées, élections que ne souhaite pas la majorité des Grecs. (…) Voter pour Stavros Dimas était la voie de la logique et de l’intérêt national, et je remercie ceux qui l’ont choisie », a poursuivi le premier ministre, mettant dans un même panier gauche radicale et néo-nazis, « Syriza avec Aube Dorée », qui « entraînent le pays vers des élections anticipées »… Antonis Samaras croit-il seulement à ses propres paroles ? Lorsqu’il termine son allocution, au cours de laquelle il apparaît le visage crispé, avec les mots « nul doute que la victoire sera la nôtre », il est en réalité incapable de soutenir le regard de la caméra ; il baisse la tête et s’échappe rapidement du cadre.
Le chef de Syriza, Alexis Tsipras, de son côté, jubile. « C’est un jour historique pour la démocratie grecque, lance-t-il à la sortie du Parlement. Les députés grecs, les partis de l’opposition démocratique, ont démontré que la démocratie ne s’exerce pas sous un chantage. (…) Quand la grande majorité du peuple grec est décidée à mettre fin aux politiques d’austérité, alors, les députés ne peuvent faire autrement que de se conformer à la volonté populaire. Aujourd’hui, le gouvernement Samaras, qui depuis deux ans et demi a ravagé la société et qui s’était déjà prononcé et engagé pour de nouvelles mesures, appartient au passé. Et avec la volonté de notre peuple, d’ici quelques jours, les mémorandums d’austérité feront aussi partie du passé. »
Syriza, première force d’opposition, était arrivé en tête aux élections européennes de mai dernier, avec près de 27 % des voix. Depuis, le parti n’a fait que se consolider, conservant dans les intentions de vote une avance de plusieurs points sur Nouvelle Démocratie, tandis que le PASOK – le parti socialiste, membre de la coalition gouvernementale – poursuit sa chute entamée il y a trois ans. Le champ est donc libre à présent pour le parti d’Alexis Tsipras…
Reste que les défis sont de taille pour la gauche radicale grecque. Il ne lui suffira pas d’arriver en tête du scrutin le 25 janvier prochain ; encore lui faudra-t-il réunir une majorité suffisante pour pouvoir gouverner. Car si la Constitution grecque donne une prime de 50 députés au premier parti élu à l’Assemblée, il n’est pas certain que cela suffise à Syriza pour détenir à lui seul la majorité absolue (151 sièges sur 300) : il lui faudra alors nouer des alliances, au risque de devoir faire des compromis. L’un des partenaires possibles de Syriza pourrait être la gauche démocratique de Dimar – petit parti solidaire du gouvernement Samaras à ses débuts, aujourd’hui complètement revenu de la politique d’austérité. Autre possibilité : un rapprochement avec le parti Grecs indépendants, qui, sur le plan économique, partage le même positionnement anti-austérité que Syriza…, mais qui reste un parti de droite, aux antipodes de la gauche sur les questions de société ou des droits des immigrés par exemple. Une nouvelle formation un peu fourre-tout qui a émergé cette année, La Rivière, et qui rassemble de nombreux déçus du PASOK, pourrait aussi se présenter comme un allié potentiel. Quant au parti communiste grec, l’orthodoxe KKE, il semble peu probable qu’il puisse faire partie d’une coalition avec Syriza, tant le dialogue est, pour des raisons historiques, inexistant entre les deux partis.
De nombreuses inconnues subsistent donc sur l’issue de ces législatives. Mais une chose est certaine : une victoire de Syriza déclencherait une dynamique au niveau européen et obligerait la commission européenne à revoir sa copie. Peu après le vote, l’Espagnol Pablos Iglesias, le leader de Podemos, a d’ailleurs envoyé un message d’encouragement à Alexis Tsipras via Twitter : « 2015 sera l’année du changement en Espagne et en Europe. On commence par la Grèce. En avant Alexis ! En avant Syriza ! »
En 2015, une bonne partie de l’Europe du Sud, va, de fait, prendre le chemin des urnes : le Portugal renouvellera son Parlement à l’automne, l’Espagne en décembre. Les Pierre Moscovici et autres Wolfgang Schaüble vont bien finir par devoir admettre que les électeurs ont, eux aussi, voix au chapitre sur la politique menée dans leur pays