Édition du 18 juin 2024

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Canada

Élections fédérales 2021, l’élection d’un gouvernement en sursis et les défis qui sont devant nous !

Le 20 septembre dernier, Justin Trudeau a réussi à faire élire un gouvernement minoritaire. Ce gouvernement est en sursis et sera d’abord préoccupé par sa prochaine réélection alors qu’il sera confronté tant par la poursuite de la crise sanitaire, l’approfondissement de la crise économique et la multiplication des conséquences de la crise climatique qui a démontré cette dernière année les désastres qu’elle pouvait causer et l’urgence de s’y attaquer.

L’État canadien tiraillé par des tendances centrifuges

Les huit dernières élections fédérales ont débouché sur cinq gouvernements minoritaires : Paul Martin en 2004, Stephen Harper en 2006 et 2008, Justin Trudeau en 2019 et 2021.

Cela reflète la forte régionalisation de l’électorat et la diversité des bases économiques de ces différentes régions. Les provinces des prairies (l’Alberta, la Saskatchewan et dans une moindre mesure le Manitoba) forment une région basée sur une économie extractiviste (énergies fossiles, exploitation agricole extensive) qui est entrée en crise avec le développement de la crise écologique et le réchauffement climatique. Le capital fossile qui dirige ces provinces a essayé et essaie encore de nier la réalité de la crise et défend bec et ongles leurs immenses investissements dans l’exploitation du pétrole et du gaz. La population dont les emplois dépendent pour une large part de ce type d’économie est mobilisée par des partis conservateurs qui présentent leur avenir comme le maintien de cette économie extractiviste. Cela se traduit par un vote massif pour les candidat-e-s du Parti conservateur du Canada (PCC).

Le chef du PCC, Erin O’Toole a bien tenté de recentrer son parti sur la réduction des gaz à effet de serre, sur le contrôle des armes à feu, sur l’avortement, mais ce recentrage en plus d’être d’une grande timidité était miné par les bases de son parti et de son caucus qui rappelait les positions droitières de ce parti sur cet enjeu. Ce recentrage a été un échec. Le PCC a vu son électoral stagner au Québec malgré l’appui de François Legault et être incapable de la moindre percée significative dans les grands centres urbains et particulièrement à Toronto qui joue un rôle stratégique important à cause du grand nombre de comtés qu’on y retrouve.

Cette crise du PCC constitue un terreau fertile pour l’extrême droite. Le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier est passé de 1,6% en 2019 à 5,2% des votes au Canada et de 1%5 à 2,8% au Québec. Il a principalement capitalisé sur la mobilisation antivaccin. Certains pensent que si la pandémie s’estompe, il perdra son emprise. Rien n’est moins certain, même si dans quatre ans la pandémie est éradiquée, la hausse des températures et des catastrophes climatiques combinée à l’appauvrissement des populations du Sud global obligeront des parties importantes de ces populations à migrer vers le Nord. Il est certain que l’extrême droite en fera son combat. La plateforme du PPC à cet effet est assez explicite, elle réduit l’immigration jusqu’à 75 % et élimine le multiculturalisme en tant que politique. Les nouveaux arrivants seraient interrogés pour s’assurer qu’ils adhèrent aux « valeurs et normes sociétales canadiennes », qui sont « celles d’une civilisation occidentale contemporaine.

La question nationale québécoise donne une dynamique particulière aux choix électoraux de sa population. Les défaites accumulées par le mouvement indépendantiste ces dernières années a provoqué la décomposition du bloc souverainiste et la redéfinition du nationalisme québécoise sur une base d’un nationalisme identitaire qui sait s’accommoder avec le fédéralisme canadien non sans difficultés cependant. Car ce dernier se veut centralisateur et particulièrement peu préoccupé de respecter les champs de compétences du Québec. La CAQ a été le moteur de cette redéfinition et son chef, François Legault, a appelé à voter pour le PCC car Erin O’Toole avait manifesté son intention de respecter l’autonomie de la province. Cet appel, à un enjeu plutôt abstrait pour la majorité de la population est resté sans effet véritable. Le poids de la question nationale a trouvé son expression dans le Bloc québécois qui s’est défini comme le défenseur des intérêts du Québec à la Chambre des communes. Il a joué du nationalisme en stigmatisant le mépris du Parti libéral du Canada pour l’autonomie du Québec et défendant la capacité du Québec de faire mieux que le Canada anglais. Ce positionnement lui a permis de faire élire 34 député-e-s et de miner ainsi sérieusement la capacité du PLC de former un gouvernement majoritaire.

La question de la réconciliation avec les nations autochtones a occupé une position marginale dans ses élections. Le nombre de député-e-s pouvant être envoyé au Parlement canadien y étant sans doute pour beaucoup dans cette situation. Le gouvernement Trudeau avait, en dehors de ces postures compatissantes et de ses excuses larmoyantes, n’avait pas été capable de fournir de l’eau potable à l’ensemble des communautés, promesse qu’il avait faite en 2015. L’actualité du caractère colonial de l’État canadien ne devait surtout pas être l’objet de débat ouvert et important. Et ce fut bien le cas.

À ces contradictions régionales et nationales, il faut mentionner les contradictions de classe. La classe laborieuse au Canada a su pour défendre ses intérêts s’organiser syndicalement et se donner un parti réformiste de masse, le Nouveau parti démocratique. Il a pu gagner, à certaines occasions le pouvoir gouvernemental dans certaines provinces du Canada anglais. Son modérantisme est resté cependant très profond. Il a pour cela souvent été perçu comme le flanc gauche du PLC car il n’est pas capable de s’en distinguer radicalement pour les « progressistes. C’est pourquoi, à chaque fois que la menace de la prise du pouvoir par le PCC devenait possible, le PLC appelait au vote stratégique et au ralliement de l’électorat social-démocrate au PLC. Au Québec, perçu comme un parti canadien-anglais, il s’est toujours fait le défenseur de l’unité canadienne et s’est refusé de défendre de façon conséquente le droit à l’autodétermination du Québec. Ce n’est donc pas étonnant qu’il ait fait élire un seul candidat malgré plusieurs bonnes candidatures marquées à gauche.

Les luttes des différents mouvements sociaux particulièrement du mouvement écologique et du mouvement contre la violence faite aux femmes et pour leurs droits et du mouvement antiraciste ont créé les conditions d’un rejet des valeurs conservatrices. Le PLC, le NPD et le Bloc ont eu tendance à reprendre de façon plus ou moins démagogique leurs revendications. Le pseudo recentrage d’Erin O’Toole s’est donc heurté à des sensibilités que ces mouvements ont construites dans la population canadienne.

À cause de sa crise interne, de ses prises de position inconséquentes, y compris sur le terrain des revendications écologiques, de son incompréhension totale de la situation du Québec dans la fédération canadienne, le Parti vert du Canada a manqué une occasion de savoir exprimer la radicalisation qui se développe dans la population canadienne sur les questions de la crise climatique. Le nombre de votes obtenus par le Parti vert du Canada est passé de 6,5 % en 2019 à 2,3 % en 2021 malgré qu’il ait réussi à faire élire deux député-e-s.

En somme

En somme les constats que l’on peut tirer de ces élections sont les suivants : Le PLC sort affaibli de cette élection. Il peut compter pour sa survie sur le refus des partis d’opposition de se relancer rapidement dans les élections. Mais il devra se recomposer et sans doute changer de chef pour les prochaines élections. Le recentrage du Parti conservateur sous la gouverne de son nouveau chef n’a pas donné les résultats escomptés et laisse sa base insatisfaite. La droite du PCC cherchera à reprendre la main sur le parti créant une impasse historique pour le développement de ce dernier et sa prise du pouvoir. Le NPD sans rupture significative avec son réformisme teinté de populisme bon teint et d’un écologisme qui se cantonne dans le soutien au capitalisme vert, sans un saut qualitatif dans sa compréhension de l’État canadien comme prison des peuples, est appelé à stagner au rang de tiers parti et se contentera de rôle de flanc gauche du gouvernement libéral. Le Bloc a déjà offert sa collaboration au gouvernement de Justin Trudeau qui gère le pays au profit de la grande bourgeoisie canadienne. Il ne pourra sortir du sillon tracé par le gouvernement Legault et jouer le rôle de la cinquième roue du carrosse du nationalisme identitaire. Il servira en « défendant » les intérêts de la « nation québécoise » sur des bases rétrogrades de repoussoir aux perspectives de construction d’un soutien à la lutte pour le droit à l’autodétermination dans le Rest of Canada (ROC).

Des perspectives pour la gauche écosocialiste et décoloniale

La gauche écosocialiste a des défis considérables pour dépasser la portion congrue qu’elle occupe dans la politique canadienne. Ce dépassement passera par une série de tâches stratégiques qu’il ne faut plus maintenant repousser.

La construction d’une vaste alliance dans la lutte aux changements climatiques pour répondre à la crise climatique est la première tâche stratégique à relever. Cette alliance pourrait se donner comme tâche de démasquer la rhétorique mensongère de Justin Trudeau qui se définit comme un vert, mais qui mène des politiques de compromis avec le capital fossile. Pour permettre la rupture de la population des Prairies, il faudrait qu’une telle alliance développe un plan de reconversion économique et de création d’emplois verts pour surmonter la situation de crise dans laquelle cette population se retrouve.

Des secteurs de la gauche canadienne ont tenté à plusieurs reprises dans l’histoire de tirer le NPD sur la gauche. Ces tentatives ont échoué. L’ouverture d’un débat sur la construction d’une alternative à la gauche au NPD est absolument nécessaire pour que la gauche puisse dépasser son état de fragmentation régionale et de repli local. La possibilité d’ouvrir la construction d’une alternative à l’échelle pancanadienne nécessitera un saut qualitatif dans la compréhension de la question nationale et du caractère colonial de l’État canadien.

La lutte de libération nationale du Québec pourrait être un catalyseur de la prise de conscience du caractère colonial de l’État canadien, mais cela nécessitera de dépasser l’impasse actuelle du nationalisme québécois et que soit formé un nouveau bloc indépendantiste sur des bases de classe visant une indépendance d’un Québec pluriel et antiraciste. La mobilisation sociale autour d’une telle perspective pourrait avoir un effet inspirant et dans le cas qui nous occupe la lutte contre la domination des corporations comme les minières, des institutions financières et de l’État néocolonial et pétrolier canadien.

Ces tâches politiques sont immenses mais incontournables si nous voulons être en mesure de faire face aux défis politiques importants qui sont devant nous. Il faut maintenant définir dans les débats larges et fédérateurs, les conditions qui permettront de jeter les premiers jalons de la réalisation de ces tâches.

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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