Édition du 12 novembre 2024

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États-Unis

Donald Trump dessine une future administration ultraconservatrice

Après avoir semblé hésiter sur la direction à suivre après son entrevue avec Obama, le président élu a commencé à aligner les nominations pour les futurs postes de son administration. Le cap est clair : ultraconservateur.

19 novembre 2016 | tiré de mediapart.fr

New York (États-Unis), correspondance. - « La transition se déroule sans le moindre accroc, et je suis le seul à connaître le nom des finalistes », mentait Donald Trump le 15 novembre 2016, dans un de ses tweets dignes de ses anciens reality shows. Entre coups bas, guerres intestines et joutes politiques internes, le recrutement des quelque 4 000 membres de la future administration semblait ce jour-là figé en rase campagne, et le président élu, quelques heures après avoir infligé un nième remaniement à son équipe de transition, tentait de rassurer son cher peuple sur… ses capacités de manager, sans pour autant livrer ses intentions politiques. 

Donald Trump, au sortir de sa rencontre d’une heure et demie avec Barack Obama, le 10 novembre, avait semé la confusion en semblant dessiner quelques compromis : le mur à la frontière, bien sûr payé par le Mexique, pourrait se transformer en simples barrières ; des dispositions vitales de l’assurance santé d’Obama, le fameux Obamacare, pourraient être maintenues, pour éviter une crise de santé publique majeure. Et l’expulsion de 12 millions de clandestins se limiter à celle de « deux ou trois millions de criminels ». Si ces amendements informels, de simple bon sens, ont pu calmer un instant la terreur de ses opposants, leur soulagement n’a pas duré.
Avant même les premières nominations de membres de son gouvernement qui prendra ses fonctions le 20 janvier 2017, une simple visite dans l’énorme immeuble, le GSA building de Washington, hébergeant son équipe de transition aurait écourté les illusions. Le gotha ultraconservateur s’y entasse : les anciens barons du reaganisme de choc, comme Edwin Meese, d’ex-adjoints du taciturne Dick Cheney de l’ère Bush, ou des proches du fameux Scott Walker, un gouverneur du Wisconsin adulé par la droite pour avoir cassé les plus anciens syndicats de fonctionnaires du pays, côtoient tous les analystes des classiques Heritage Foundation et American Enterprise Institute, autant que les envoyés de Americans for Prosperity, le think tank des frères Koch, milliardaires pétroliers et principaux bailleurs de fonds du Tea Party. 

Pouvait-on imaginer que le choix des ministres de Trump démentirait cet abrupt virage à droite ?

Le choix comme « chief of staff », secrétaire général de la présidence, de Reince Priebus, directeur depuis 2011 de la machine électorale du parti républicain, a pu, le 13 novembre, indiquer une concession au pragmatisme. Pour avoir présenté ce visage rassurant de l’establishment, Trump a reçu les félicitations de Paul Ryan, un président de la chambre qu’il brocardait pourtant depuis 18 mois pour son appartenance à l’élite corrompue de Washington.

Quant aux idées de la révolution Trump, elles ne pouvaient être mieux incarnées que par le nouveau conseiller stratégique Stephen Bannon, le penseur de sa campagne, un baroudeur sans scrupules formé dans la marine, puis à Harvard, Goldman Sachs et Hollywood, propriétaire depuis 2012 du site Breitbart News, un brûlot populiste et xénophobe auprès duquel Fox News paraît angélique ; un maître à penser dont la nomination provoque la joie délirante du Ku Klux Klan, des milices rurales, et des chaumières pro-Trump affolées par le péril musulman.

« C’est une idée de génie de les avoir nommés dans le même communiqué », s’enflamme Dick Morris, l’ancien conseiller républicain de Bill Clinton. Trump place au même niveau « un insider complet, un homme d’appareil qui connaît tout Washington et peut faire avancer les projets du gouvernement, et un outsider type, Steve Bannon, chargé de garder un œil sur l’électorat working class qu’il a si efficacement rassemblé autour du candidat pendant les trois derniers mois de la campagne ».

Le camp Trump a certes médité l’exemple d’un autre novice populiste, Arnold Schwarzenegger, devenu gouverneur de Californie au nom du seul changement et du rejet de l’establishment, finalement anéanti faute de relais auprès des parlementaires d’État, et de projet de gouvernement. « On me parle de choix pragmatique à propos de Priebus, et je ne peux le croire », grince l’éditorialiste démocrate EJ Dionne. « Dans un monde normal, il serait jugé ultraconservateur. Mais le voilà maintenant comparé à des extrémistes décomplexés, des “nationalistes ethniques”, digne des extrêmes droites européennes. »

Les points de repères ont changé. En bombardant Jeff Sessions, sénateur d’Alabama depuis 1996, au poste d’attorney general, ministre de la justice, Trump promeut un marginal du parti jugé trop raciste, en 1986, par une commission parlementaire républicaine, pour obtenir un poste de juge fédéral. Hostile aux organisations des droits civiques, qu’il décrivait comme des agents du communisme, Sessions a longtemps milité, au Sénat, pour priver les immigrés clandestins des droits constitutionnels garantis à tous les résidents.

Interrogé en 2015 par Steve Bannon en personne au micro de Breitbart News, sur la possible interdiction d’entrée des musulmans aux États-Unis, exigée par Trump, Sessions avait prudemment éludé ; non sans « apprécier l’ouverture d’un débat ». La nomination de ce farouche défenseur des lois spéciales antidrogue vieilles de 40 ans compromet déjà le projet d’une réforme de la justice pénale, pourtant acceptée dans ses grandes lignes par ses collègues républicains, et l’espoir d’une diminution de la plus massive population carcérale du monde occidental.

Si le tropisme ultra-partisan de la nouvelle administration n’était pas assez clair au Departement de la Justice, le choix du directeur de la CIA, Mike Pompeo, élu du Kansas à la Chambre des Représentants, ébranle le principe de la neutralité politique des services de renseignements. Aussi brillant soit-il, cet ancien officier dans les blindés, formé à West Point puis à la prestigieuse fac de droit de Harvard, a reçu le poste à 52 ans, moins en raison de son attachement à Guantanamo et aux « black sites » (les prisons clandestines de la CIA) que de son acharnement contre Hillary Clinton lors des interminables auditions de la commission d’enquête parlementaire, majoritairement républicaine, sur l’affaire de Benghazi concernant la mort en 2012, de l’ambassadeur en Lybie Christopher Stevens et de trois Américains dans l’attaque du consulat de cette ville par Al-Qaïda.

Trump n’a pas hésité à prendre le risque d’intégrer ses enfants au processus

Pour en finir avec l’ère honnie du politiquement correct, Trump ne pouvait, non plus, trouver meilleur symbole que la promotion de Michael Flynn, son mentor en matière militaire pendant toute la campagne, au poste stratégique de conseiller en sécurité nationale de la Maison Blanche. Viré par Barack Obama de la direction du renseignement militaire en 2014, un an avant sa retraite officielle, ce militaire de carrière a longtemps prétendu qu’il avait payé ses critiques constantes de la stratégie du président contre Daech, jugée trop molle et attentiste.

À entendre les mises en garde d’organisations de droits de l’homme comme Human Rights Watch, son penchant pour les méthodes musclées, incluant si nécessaire la torture des détenus, et ses propos alarmants sur les musulmans, pourraient galvaniser les démocrates. Même son propre camp nourrit des inquiétudes. Plus que la voix de la raison, le nouveau conseiller apparaît comme un clone en uniforme de Donald Trump, aussi impulsif et irascible que son boss.

Tant qu’à s’entourer d’alter ego, le président élu a longtemps promis d’appeler son compère Rudy Giuliani à de hautes fonctions, probablement les affaires étrangères. Une fonction pour laquelle l’ancien maire justicier de New York s’estime préparé, lui qui avait fait expulser Yasser Arafat d’un concert au Lincoln Center lors du cinquantième anniversaire des Nations unies. Certes, son commandement efficace au moment des attentats du 11 septembre 2001 lui a évité d’achever son deuxième mandat à City Hall dans la déchéance politique devant l’insurrection de ses électeurs contre ses mœurs de caudillo et ses bavures ultrasécuritaires. Cette gloire passagère lui a ouvert des ambitions présidentielles, avant sa terrible défaite aux primaires républicaines de 2012, puis un business. Ses missions de star consultant de sécurité, de la Serbie au Qatar et à Moscou, l’ont enrichi à millions, mais le risque de conflits d’intérêts pourrait au bout du compte compromettre sa nomination.

Trump n’a pas hésité à prendre d’autres risques : celui d’intégrer ses enfants au processus de nomination. Omniprésents dans l’équipe de transition, Eric, Donald Jr, Tiffany et bien sûr Ivanka et son milliardaire d’époux Jared Kushner, 44 ans, sont habilités à jauger au « feeling », et sans appel, la crédibilité et la loyauté d’un postulant. Nul ne doute de l’influence grandissante de Jared, impliqué dans l’éviction brutale du précédent directeur de l’équipe de transition, le gouverneur du New Jersey Chris Christie, un temps pressenti comme vice-président de Trump au début de la campagne. Et pour cause : dix ans plus tôt, alors qu’il était encore attorney general, ministre de la justice du New Jersey, Christie avait requis deux ans de prison contre son père Charles Kushner, un baron de l’immobilier accusé de fraude fiscale et d’irrégularités diverses en matière de financement électoral. Trump ne s’est pas contenté d’inviter Ivanka à assister à sa rencontre avec le premier ministre japonais, il tente d’obtenir, pour son gendre, l’accès au secret officiel, en vue de lui trouver un poste de haut niveau à la Maison Blanche.

En attendant, dans le Hall plaqué or de la Trump Tower, Kellyanne Conway, porte-parole de Trump pressentie pour diriger la com’ de la Maison Blanche, s’indigne devant la presse des accusations de racisme proférées contre son administration. « J’en suis offensée. Pensez-vous que je resterais si de telles pensées nourrissaient la philosophie de la présidence ? » répond la brillante spécialiste des sondages électoraux, adulée aujourd’hui pour avoir usé de tous les mots-clés xénophobes requis pour la victoire. Chargée des partitions de la fanfare populiste, elle pourrait bientôt s’adjoindre les services d’une porte-parole rêvée : Laura Ingraham, juriste prometteuse reconvertie depuis les années 1990 en blonde et sémillante bateleuse de talk shows conservateurs.

Trump, qui n’avait dû son salut et sa fortune, depuis dix ans, qu’aux scénaristes et aux éclairages parfaits de son reality show, « The apprentice », sait qu’il détient avec elle l’arme ultime contre les médias. Quoi qu’il arrive, quoi que réserve la prochaine présidence, l’Amérique de Trump n’aura d’yeux, à chaque point de presse, que pour son combat contre les « médias vendus ». La nouvelle ère ouvre sur l’inconnu, mais elle promet du spectacle.

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