Édition du 25 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

États-Unis

Les sceptiques sont confondus

Certains observateurs et commentateurs espéraient (sans trop y croire peut-être) que Donald Trump n’irait pas au bout de sa logique une fois élu et qu’il mettrait l’eau du réalisme dans le vin de ses principes tranchants et de ses projets intransigeants.
Hélas, ce n’est pas ce qu’on remarque en ce moment. Bien au contraire, Trump, fort de sa conquête d’une majorité républicaine au Sénat et à la Chambre des représentants, est pressé de les appliquer. Il tente sans vergogne de mettre l’appareil d’État à sa botte (y compris l’armée). Il promet aussi des lendemains cruels à ses opposants. Je n’aborderai pas ici la question de ces initiatives dont les médias font abondamment état ces jours-ci. Le problème qui se pose est celui-ci : l’administration Trump a-t-elle vraiment les moyens de ses ambitions ? Il ne suffit pas de la volonté forcenée d’un homme, même à la tête de la puissance hégémonique mondiale pour faire plier ses rivaux et adversaires. Examinons cela de plus près.

Tout d’abord, abordons la question des relations américano-chinoises. Le Chine est devenue une puissance d’envergure mondiale, en mesure désormais de disputer aux États-Unis la suprématie internationale, même s’il lui reste encore un peu de chemin à parcourir pour en acquérir la couronne. Afin de se protéger de la concurrence commerciale chinoise, Trump envisage sérieusement d’imposer des droits de douane prohibitifs sur les produits de l’Empire du milieu qui entrent sur le territoire américain, ce qui nuirait incontestablement à l’économie chinoise. Sauf qu’il s’agit là d’un petit jeu qui peut être réciproque. Beijing peut rendre la pareille aux produits américains que la Chine achète présentement. Il s’ensuivrait alors une guerre commerciale qui léserait non seulement le commerce américain mais aussi à celui des pays occidentaux, vu l’étendue des échanges Chine-Occident ; à moins que certains de ces pays ne tentent de profiter de cette situation en se dissociant de Washington dans ce dossier pour accroître leurs échanges avec l’Empire du milieu, lequel essaierait sans doute de toute façon de compenser la relative fermeture du marché américain vis-à-vis de ses produits. Des marchés de remplacement pour Beijing.

Il est donc loin d’être certain que des mesures brutales de rétorsion suffiraient à faire plier la Chine. On assisterait plutôt à un "retour du boomerang" des mesures protectionniste américaines dans le front des États-Unis eux-mêmes et donc indirectement, du Canada, le principal partenaire de ceux-ci et lui aussi grand acheteur de produits chinois. Soixante-quinze pour cent de son commerce se fait toutefois avec "les States".

Précisément, Trump a évoqué la possibilité (sinon la probabilité) d’imposer des tarifs douaniers élevés sur les produits canadiens vendus aux États-Unis (on parle de droits variant de vingt à cinquante pour cent). Le Canada est beaucoup plus vulnérable que la Chine aux pressions commerciales et économiques américaines. Il suffit de penser à la disproportion de leurs marchés respectifs : trois cent quarante millions d’Américains d’un côté, quarante millions de Canadiens de l’autre, dont neuf millions de Québécois.

Dans quelle mesure l’administration Trump est-elle prête à pousser ce dossier délicat des relations commerciales canado-américaines ? Difficile à dire pour l’instant. Mais a-t-elle même intérêt à affaiblir son plus proche vassal ? Là aussi, elle s’expose à des mesures défensives comme avec la Chine, mais évidemment à un niveau bien plus modeste. Cependant, l’économie de certains États américains dépend pour une part plus ou moins considérable du commerce avec le Canada. Le gouvernement d’Ottawa, qu’il soit dirigé par les libéraux de Justin Trudeau ou éventuellement les conservateurs de Pierre Poilievre ferait sûrement pression sur ces États pour les convaincre de continuer à acquérir les biens canadiens et aussi sur la Maison-Blanche pour qu’au moins Trump assouplisse sa position sur cette question-clé. Ottawa pourrait aussi rendre la pareille à Washington en imposant des droits plus élevés sur certains produits américains.

Mais il résulterait de ce chassé-croisé de mesures et de contre-mesures protectionnistes un relatif fractionnement économique et commercial nord-américain, ce qui desservirait à sa cohésion et par ricochet, constituerait une entrave économique pour les États-Unis eux-mêmes.

La faiblesse du Canada réside dans sa dépendance économique et commerciale à l’endroit des États-Unis. Mais elle comporte aussi quelques avantages, puisque le gouvernement américain ne peut aller trop loin dans une éventuelle guerre commerciale avec Ottawa sans affaiblir les États-Unis eux-mêmes, d’autant plus que l’Union européenne semble dans la mire des néo-conservateurs américains. En dépit de sa puissance, la république américaine ne peut combattre sur tous les fronts à la fois.

Sur le plan intérieur, les républicains trumpistes on remporté la victoire par une faible majorité de voix (cinquante et un pour cent pour Trump contre quarante-huit pour cent en faveur de Harris). Ses divers projets sociaux sont donc loin de faire l’unanimité chez les électeurs et électrices américains. Il risque donc de devoir affronter en cours de mandat bien des oppositions de la part de plusieurs de ces gens. Ses menaces de recourir à l’armée pour réprimer les mouvements de dissidence ont peu de chances d’aboutir. Une certaine anarchie sociale peut donc s’installer. Il devrait alors affronter une crise de légitimité grave. Il se peut également qu’au scrutin de mi-mandat, les démocrates reconquièrent une majorité à la Chambre des représentants, ce qui briderait alors les ambitions trumpistes de refaçonner la société américaine dans un sens réactionnaire.
L’appui d’une légère majorité de l’électorat à Trump et surtout à ce qu’il représente illustre bien le déclin de l’empire américain. Coups de gueule et mesures brutales ne pourront l’enrayer, ils peuvent même l’accélérer en éloignant des États-Unis plusieurs de leurs alliés.

Le Canada en est à la fois le spectateur et l’acteur. Comment réagira-t-il ?

Jean-François Delisle

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