Édition du 17 décembre 2024

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Solidarité avec la Grèce

Discours d’Alexis Tsipras devant l’Assemblée nationale grecque (5 juin 2015)

Débat parlementaire tenu à la demande du Premier ministre grec Alexis Tsipras, conformément à l’article 124Α du règlement de l’Assemblée nationale grecque, dans le but d’informer les membres du Parlement sur les négociations en cours.

Madame la Présidente,

Mesdames et Messieurs les député(e)s,

Si j’ai demandé, en invoquant un article du règlement, la tenue de ce débat extraordinaire, c’est que nous nous trouvons aujourd’hui dans la dernière ligne droite mais aussi au point le plus critique des négociations.
Il m’a semblé nécessaire que l’ensemble des députés, que les partis politiques et le peuple grec soient solennellement informés du point où nous nous trouvons ― mais surtout de la direction dans laquelle nous souhaitons aller.

C’est ainsi que je conçois ma responsabilité démocratique envers l’Assemblée, les partis et les citoyens et c’est la raison pour laquelle j’ai dit, dès le début de ce processus crucial, que nous n’avions rien à cacher au peuple grec et que nous ne devions pas non plus agir à son insu.

C’est pour lui que nous négocions et pour lui que nous luttons, en toute responsabilité, afin de parvenir au meilleur accord possible.

Nous n’avons donc rien à cacher.
 
Mesdames et Messieurs les député(e)s,

Dès les premiers instants, le nouveau gouvernement a proclamé qu’il recherchait une solution européenne à la question grecque.

Un accord « mutuellement profitable », comme nous l’avons maintes fois souligné, qui délivrera la société et l’économie de la spirale déflationniste de ces sept dernières années en mettant fin à l’austérité, en rétablissant la justice sociale, en apportant enfin une solution réelle au problème majeur de la dette.

Nous ― la Grèce, mais aussi l’Europe tout entière ― avons besoin de cette solution globale, de cette solution européenne pour refermer le cycle périlleux de la crise qui s’est ouvert en 2008.

Cette solution pourrait augurer d’une nouvelle ère pour le projet d’intégration européenne ; ce serait un signe fort attestant que l’unification et la monnaie commune constituent des avancées historiques irréversibles et que la stratégie des États associés à cette expérience est une et indivisible.

Ces positions claires et fondamentales, nous les avons défendues au cours de négociations longues et intenses, lors de plusieurs rencontres au sommet, de discussions à l’Eurogroup, d’entretiens avec les dirigeants politiques et les responsables des Institutions et, au niveau technique, dans le cadre du « Groupe de Bruxelles ».

Nous avons fourni la preuve de notre attachement à l’idée européenne en soumettant la semaine dernière aux Institutions et aux dirigeants européens une proposition d’accord globale.

Cette proposition a démontré que nous étions sincèrement disposés à parvenir à un compromis ; loin de refléter les positions propres du gouvernement grec, elle intégrait les résultats des négociations menées au sein du Groupe de Bruxelles. Elle se fondait sur un terrain d’entente dégagé par trois mois d’âpres négociations. C’était en ce sens une marque claire du respect que nous avons pour le processus de négociation et pour nos interlocuteurs.

Cette proposition est à ce jour la seule base réaliste permettant de parvenir à un accord qui respecterait le mandat populaire du 25 janvier et les règles communes régissant l’union monétaire.

La première caractéristique de cette proposition est la réduction des excédents primaires, que les Institutions acceptent désormais ; les excédents élevés que prévoyait le programme antérieur n’étaient en effet qu’un autre nom de l’austérité.
Mais cette proposition ne constitue une base de discussion qu’à la condition d’être prise dans son ensemble. Ses mesures les plus difficiles ne sauraient lier le gouvernement hellénique et être mises en œuvre en l’absence d’une solution globale. Les mesures qui y sont décrites ne prendront effet que si le théâtre d’ombres de ces cinq dernières années prend fin ― ce théâtre d’ombres qui a aggravé le problème de la dette et maintenu le pays dans la crise.

Mesdames et Messieurs les député(e)s, ne nous voilons pas la face :

Les réformes qu’exigent nos partenaires pour clore le programme ne constituent pas le cœur de ces négociations. L’essentiel est de mettre un terme au cercle vicieux d’une crise ne cessant de s’alimenter elle-même. Cela ne deviendra possible que si nous changeons de mode opératoire, que si nous mettons un coup d’arrêt à cette austérité porteuse de récession, que si nous apportons dans le même temps une solution digne de ce nom au problème de viabilité de notre dette publique. C’est seulement ainsi que l’économie grecque redeviendra un terrain sûr pour les investisseurs et les marchés.

L’action réformatrice du gouvernement grec ne portera ses fruits que si une véritable solution au problème de la dette est trouvée. Une véritable solution et non une simple référence, non une simple promesse ― comme cette décision de l’Eurogroup de novembre-décembre 2012 qui n’a jamais été suivie d’effets.
Sans cela, tous les efforts du monde ne nous permettront pas de sortir du cercle vicieux de l’incertitude, principal obstacle à la relance de la croissance en Grèce.

Et j’ai la conviction que personne en Europe ne souhaite prolonger l’incertitude, que personne ne désire que nous continuions à avancer sur cette corde raide, sous le coup d’une menace perpétuelle ; personne, à l’exception peut-être de certaines voix qui s’emploient à diviser mais demeurent, je le crois, minoritaires.
Notre principal souci, par conséquent, doit moins être la gestion politique de l’accord que sa viabilité économique.

C’est pourquoi il m’est souvent arrivé de dire que ce n’était pas d’un accord que nous avions besoin, mais d’une solution : une solution définitive, tant pour la Grèce que pour l’Europe ; une solution qui mettra fin une fois pour toutes au débat sur la sortie de l’euro, débat qui agit fréquemment à la manière d’une prophétie auto-réalisatrice ; une solution qui mettra fin à cette politique d’excédents primaires exorbitants, inaccessibles, rompra avec l’austérité et garantira la viabilité de la dette.

Tel est l’enjeu principal de la négociation actuelle ; l’austérité, imposée au nom du remboursement d’une dette insoutenable, a constitué le noyau de la politique des mémorandums ― d’une politique marquée par cinq années d’échec.

Parler ici d’échec n’est pas une figure de style. Cet échec est désormais reconnu dans le monde entier par une majorité écrasante d’intellectuels, d’économistes et de dirigeants politiques, mais d’abord, avant tout, par l’opinion publique. Cet échec n’a pas été seulement sanctionné par le peuple grec lors des dernières élections ; il ressort clairement des chiffres de l’endettement, des marqueurs des inégalités sociales et des indicateurs de compétitivité d’une économie grecque qui, sous l’effet d’une dévaluation interne particulièrement sévère, ne s’est en cinq ans jamais redressée.

Mesdames et Messieurs les député(e)s,

Je dois ici avouer devant vous et devant le peuple grec que la proposition qui m’a été remise avant-hier à Bruxelles par le Président Juncker de la part des trois Institutions m’a désagréablement surpris.

Jamais je n’aurais pu croire que l’on nous soumettrait une proposition ne tenant aucun compte du terrain d’entente de ces trois mois de négociations.
Jamais je n’aurais pu croire que les efforts sincères accomplis par le gouvernement grec afin de parvenir à une solution juste et globale seraient interprétés par certains comme une marque de faiblesse.

Jamais je n’aurais pu croire, surtout, que des responsables politiques, et non des technocrates, échoueraient à comprendre qu’au bout de cinq années d’austérité dévastatrice il ne se trouverait pas un seul député grec pour voter, dans cette enceinte, l’abrogation de l’allocation accordée aux retraités les plus modestes ou l’augmentation de 10 points de la TVA sur le courant électrique.

Car je pense qu’aucun député grec ne pourrait voter cela.

[En se tournant vers la droite de l’Assemblée :]

Et si je me trompe, libre à vous de me démentir.

Malheureusement, les propositions soumises par les Institutions sont clairement irréalistes et constituent un recul par rapport au terrain de négociations qui avait été ― bien péniblement, il est vrai ― édifié jusque-là.

Le gouvernement grec ne peut en aucun cas consentir à des propositions absurdes à la faveur desquelles une avancée ― ce que de faibles excédents primaires permettraient de gagner ― serait aussitôt annulée par des mesures accablant les retraités modestes et les ménages grecs à moyens revenus.

Et je veux croire que cette proposition n’a été pour l’Europe qu’un moment malheureux, ou qu’une ruse particulièrement maladroite, et qu’elle sera très vite retirée par ses initiateurs.

Je considère néanmoins de mon devoir, avant d’arrêter les décisions finales et de répondre officiellement aux Institutions, d’écouter attentivement, à cette heure cruciale, l’avis des partis politiques.

Si le gouvernement grec porte naturellement la responsabilité la plus grande, je souhaite entendre aujourd’hui l’opinion de l’opposition ; dites-nous, la main sur le cœur et sans perdre de vue votre responsabilité patriotique, si vous nous invitez à accepter la proposition présentée par les Institutions ou si vous vous prononcez contre.

[Applaudissements.] 

Ces temps derniers, vous avez critiqué le gouvernement de façon virulente (et la critique, qui est la quintessence de la démocratie, est bien sûr bienvenue) en nous reprochant de ne pas signer l’accord alors que le temps pressait.

Maintenant que vous avez une connaissance précise de ce que l’on nous demande de signer, nous vous invitons à dire avec la même précision si vous acceptez ou rejetez l’accord en question.

La proposition réaliste faite par le gouvernement grec n’est pas le seul élément attestant de son engagement en faveur de la perspective européenne de la Grèce ― en faveur d’une Europe dont les membres se trouveraient sur un pied d’égalité, d’une Europe solidaire.

Je veux à ce point rappeler que, depuis que nous avons pris en mains le gouvernement du pays, nous avons honoré des obligations extérieures de l’ordre de 7,5 milliards d’euros malgré l’asphyxie financière choisie par les Institutions comme tactique de négociation.

Que, depuis le mois de juin 2014, aucun versement n’est venu alimenter les caisses de l’État grec dans le cadre du programme de financement alors même que, depuis le 18 février, la Banque Centrale Européenne restreint l’émission de bons du Trésor ― restriction qui n’a désormais plus aucun fondement juridique puisque la validité de l’accord de prêt a été prolongée et que la Grèce négocie dans le cadre même de ce programme.

Il ne s’agit plus seulement d’une question de droit ni même uniquement d’une question politique. L’étranglement financier d’un pays constitue désormais un problème éthique entrant en collision avec des principes élémentaires, avec les principes fondateurs de l’Europe ― ce qui soulève un certain nombre d’interrogations légitimes quant à l’avenir même de l’Europe.

Ceux qui en Europe s’honorent de cette tactique se comptent, j’en suis sûr, sur les doigts d’une main.

Le moment est donc venu pour tous de faire la preuve, en Grèce mais surtout en Europe, qu’ils travaillent à rechercher une solution et non pas à soumettre et à humilier un peuple entier.

Et s’ils travaillent à humilier ou à soumettre, qu’ils sachent qu’ils obtiendront dès lors le résultat inverse.

[Applaudissements.]

Ce que je formule là, mesdames et messieurs les député(e)s, n’est pas une menace mais un constat ― nul besoin d’étudier les sondages pour le comprendre ; il suffit de s’entretenir avec les gens, dans chaque ville, chaque village, sur chaque place, dans chaque lieu de travail, au milieu de ces groupes amicaux où des Grecs de tous âges discutent avec angoisse, tous ces jours-ci, des événements en cours, et ne nous demandent qu’une chose :

De ne pas revenir sur nos justes revendications ;

[Applaudissements.]

De ne pas céder aux exigences déraisonnables, au chantage des créanciers.

[Applaudissements.]

Peut-être me demanderez-vous, non sans raison : dans de telles conditions, sommes-nous près d’un accord viable ? Je répondrai la main sur le cœur : malgré la reculade d’avant-hier, ma conviction est que nous en sommes maintenant plus proches que jamais, et je veux vous expliquer pourquoi.

En premier lieu parce qu’il est désormais clair pour l’opinion publique européenne et mondiale que la partie grecque a proposé un cadre réaliste de solution et ne se montre ni intransigeante, ni indifférente aux besoins de ses partenaires, aux règles régissant l’union monétaire, aux demandes formulées par les opinions publiques d’autres États-membres.

En deuxième lieu, et c’est sans doute le point le plus important, parce qu’en dépit des prévisions contraires et des conditions défavorables de ces derniers mois, nous avons tenu bon.

Nous avons persisté et nous avons tenu bon ; nous avons négocié, debout, en préservant la sécurité du peuple grec.

[Applaudissements.]

Désormais, après la décision prise hier par le Fonds Monétaire International de repousser à la fin du mois le paiement des traites de remboursement, il apparaît clairement ― chacun s’en rend compte, et les marchés au premier chef ― que personne ne souhaite la rupture.

Désormais, le temps n’est pas compté seulement pour nous, mais pour tous.
Certains seraient donc bien inspirés de ne pas préjuger trop vite des événements, de ne pas tirer de conclusions hâtives.

L’approche réaliste de la partie grecque est la seule ligne de négociation sérieuse permettant de parvenir à un accord durable.

Et plus il apparaîtra que la question grecque n’est pas isolée mais concerne l’ensemble de la zone euro, ses perspectives, le futur et les perspectives de l’économie mondiale, plus grandes seront nos chances de voir nos partenaires se ranger au réalisme des propositions que nous leur avons soumises.

Mesdames et Messieurs les député(e)s, je voudrais pour conclure résumer l’objectif stratégique du gouvernement grec dans les négociations en cours :

1) Faibles excédents primaires, d’ores et déjà acceptés par nos partenaires, et qui représentent pour le peuple grec un gain de 8 milliards d’euros (pour la prochaine année et demie) et de 14 milliards d’euros pour les cinq années à venir.

2) Réduction ― restructuration de la dette.

3) Protection des pensions de retraite et du salaire réel.

4) Redistribution des revenus en faveur de la majorité sociale. L’augmentation nécessaire des recettes de l’État pose évidemment la question de savoir qui en supportera la charge : les revenus faibles et moyens ou les revenus élevés ― et en particulier ceux qui, ces cinq dernières années, n’ont pas payé leur part à l’écot de la crise ?

5) Rétablissement des négociations collectives et inversion du processus de déréglementation des relations de travail ― qui constituait selon nous un bastion idéologique essentiel de la politique des mémorandums. Je suis en mesure de vous dire que nous travaillons actuellement, en concertation avec l’Organisation Internationale du Travail, à un projet de loi en ce sens et que l’Assemblée nationale grecque, qui est souveraine, sera dans les jours qui viennent appelée à légiférer sur le rétablissement des conventions collectives dans notre pays.

[Applaudissements.]

6) Programme d’investissement solide permettant de créer une onde de choc positive dans l’économie grecque et de mobiliser ses ressources dormantes.
Ces six grands principes constituent à nos yeux les axes directeurs d’un accord économiquement viable et socialement juste.

Notre effort, de toute évidence, sera jugé sur résultats.

Mais ce résultat dépendra en grande part du soutien apporté par le peuple grec à la ligne de négociation nationale, à l’effort titanesque accompli par le gouvernement en faveur d’une solution juste et viable.

Il ne fait guère de doute que, dans les jours qui viennent, alors que nous entrerons dans la dernière ligne droite des négociations, nous ne serons pas épargnés.
Pour atteindre cet objectif national et parvenir au meilleur résultat possible, nous devrons nous armer de sang-froid, de prudence, de sagesse et bénéficier d’un soutien social et politique.

L’heure est à présent celle de la responsabilité pour tous ; pour le gouvernement, au premier chef, mais également pour tous les partis, pour l’opposition.

Je vous invite donc à soutenir avec sincérité cet effort national en laissant de côté, en ces heures critiques, la ligne de l’opportunisme et de l’alarmisme.

Enfin, je veux assurer le peuple grec que, s’il peut être fier de cette entreprise ardue, il doit aussi demeurer serein. Fier, car il est hors de question que le gouvernement cède à des exigences déraisonnables. Serein, car notre patience, notre persévérance dans la négociation et notre endurance porteront bientôt leurs fruits. Nous allons défendre de la meilleure façon possible le droit de tout un peuple à vivre dans la dignité, dans des conditions offrant une perspective de prospérité, de croissance, de progrès ― le droit de tout un peuple à vivre dans des conditions de dignité et d’espoir, d’optimisme.

Et je suis sûr que nous réussirons.

Je vous remercie.

Vidéo de l’intervention 

[Traduit du grec par Dimitris Alexakis]

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