Le président de la Commission Jean-Claude Juncker présente un plan migratoire en quatre piliers : aide au pays d’origine et de transit des migrant·e·s, contrôle des frontières au sud de la Lybie et des pays limitrophes, sécurité et défense contre les trafiquants et passeurs, ainsi qu’une répartition des réfugié·e·s sur la base de quotas entre les pays de l’UE. Trois de ces quatre points visent à renforcer le contrôle policier, voire militaire, et légaliser l’interventionnisme dans des pays tiers. Tout cela au prix des centaines, des milliers de morts qui continuent d’être dénombrés autour de la forteresse Europe.
Un droit d’asile, pas de quotas
L’Italie et les pays européens du bord de la Méditerranée croulent sous les arrivées des réfugié·e·s et ne sont plus en mesure, même s’ils l’avaient souhaité, de leur fournir des conditions de vie décentes. Les accords Dublin, qui imposent la prise en charge des demandeurs.euses d’asile au premier pays d’enregistrement, aggravent encore la situation. La solution de la Commission est une répartition de l’accueil entre les Etats, en fonction de la taille du pays et de sa croissance économique. Parallèlement, l’UE en profite pour réduire drastiquement la quantité de places proposées : 20 000 personnes seront accueillies au cours des deux prochaines années…alors que 2014 avait vu le dépôt de 360 000 demandes d’asile.
La mise en place de quotas dans l’accueil des réfugié·e·s est le comble de l’hypocrisie, c’est confondre droit d’asile et immigration. La question de l’asile est soumise à des critères juridiques permettant d’assurer la protection des gens, ce droit est accordé individuellement à toute personne persécutée ou en danger. En ce sens, il est impossible de prévoir le nombre de places nécessaires par avance, et tenter de fixer un seuil équivaut à nier ce droit d’asile.
Surveiller, contrôler, limiter
Avec la proposition Juncker, l’Europe vise à juguler la migration par tous les moyens. Au sein de la forteresse même, la politique d’asile se veut uniforme et orientée vers le contrôle maximal et l’identification systématique des réfugié·e·s ainsi que le relevé de leurs empreintes digitales.
De plus, un plan de bataille contre les passeurs et de destruction des bateaux est prévu par la Commission, incluant l’emploi de la force et la possibilité de tirer sur les barques vides dans les pays de transit. Il a été décidé également de renforcer les moyens de sauvetage et de surveillance en mer (l’un n’allant bien sûr pas sans l’autre), et pour cela de tripler les budgets et les moyens de l’opération Triton en Italie et Poséidon en Grèce. Une initiative qui fait sourire quand on se souvient que Triton est une version réduite du plan Mare Nostrum, déclaré un échec après le naufrage à Lampedusa en 2013.
Ces mesures seront discutées par les ministres des Affaires étrangères, mais elles mettent déjà en lumière la lutte armée et la chasse aux trafiquants qui se préparent et permettront de détourner les regards des causes réelles de la crise : l’implication de l’Europe dans la production de la misère économique et politique qui provoque ces déplacements et son acharnement à se protéger de la venue des réfugié·e·s, au péril de leurs vies.
Mais le plan de la Commission UE ne fait pas l’unanimité et l’espoir de le voir refuser n’est pas perdu, bien que ce soit pour des raisons scandaleuses. Le bât blesse en ce qui concerne l’accueil des demandeurs d’asile, et à ce sujet les Etats s’écharpent déjà. Le gouvernement de Cameron a fermement prononcé son opposition aux quotas, de même que la Hongrie, qui craignent qu’offrir ainsi ouvertement un accueil n’incite les réfugié·e·s à prendre encore plus de risque pour traverser la Méditerranée. Et pourtant… on ne voit pas bien ce que ces mesures pourraient changer à la situation, les places restant largement insuffisantes et les pays qui supporteront l’effort restant majoritairement les mêmes (Allemagne, Suède, Italie, Grèce etc.).
Une stratégie de refoulement à long terme
La voie que l’UE s’est choisie à plus long terme pour répondre à la crise de la migration d’asile est claire : tout d’abord, réduire les incitations à la migration irrégulière en envoyant des délégué·e·s européens dans les pays-clés de départ et la délocalisation des lieux d’accueil dans les pays du Sud (par exemple avec la création d’un centre au Niger). Ensuite, renforcer le rôle d’agent de sécurité de Frontex, la police des frontières de l’UE, dont les bases légales pourraient être modifiées. Enfin, des plans de coopération au développement et d’aide humanitaire sont prévus pour limiter le nombre de réfugié·e·s économiques. On n’en est plus à une contradiction près, sachant que l’Occident participe activement au soutien des régimes corrompus et au maintien des inégalités du commerce mondial.
Le sujet fait couler de l’encre sur le Vieux continent, mais la question de l’asile est loin d’être circonscrite à l’Europe. En Asie du sud et dans les Amériques, les problèmes et les solutions apportées sont les mêmes : surveillances, enfermement et gestion armée des réfugié·e·s, qui en payent le plus lourd tribut. L’emprisonnement et les contrôles à outrance sont une voie sans issue, seule une solidarité internationale et l’ouverture des frontières offriront un dénouement positif pour les requérant·e·s d’asile du monde entier.
* « Hypocrisie européenne face à l’Asile ». Paru en Suisse dans « solidaritéS » n269 (28/05/2015) p. 5. http://www.solidarites.ch/journal/