Édition du 19 novembre 2024

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Europe

Démocratie ressentie, dictature réelle

Début juin dernier, Macron a annoncé la dissolution de l’Assemblée Nationale et la tenue d’élections législatives dans un délai excessivement court (trois semaines). Espérant jeter une “grenade dégoupillée” dans les jambes de ses adversaires, comme il le disait lui-même, le vent lui a ramené dans la tronche puisque non seulement son parti a perdu lamentablement ces élections, arrivant troisième en nombre de voix, mais en plus ce n’est pas son adversaire préféré, le RN, qui l’a finalement emporté, mais l’union de la gauche. Un mois après la dénouement de ce scrutin – la majorité relative du Nouveau Front Populaire – rien n’a changé : le gouvernement nommé par Macron est toujours au pouvoir. Il s’agit ni plus ni moins d’un coup d’Etat, ou plutôt d’un auto-Coup d’Etat : lorsque les personnes au pouvoir décident de ne plus jamais le rendre. Cette réalité est cependant totalement ignorée par la majeure partie des médias et peine à s’imposer dans le débat public. Comment est-ce possible ?

6 Août 2024 | Édito | tiré du site de Frustrations
https://www.frustrationmagazine.fr/democratie-coup-d-etat/

“Quand l’extrême-droite obtient le pouvoir, elle ne le rend jamais”. Cette phrase est devenue un cliché de l’analyse journalistique et intellectuelle du risque RN au cours de cette année. Historiquement, elle est erronée : il y a des régimes d’extrême-droite qui ont fini par rendre le pouvoir (le régime de Pinochet au Chili a mis en place un référendum qui a mis fin au régime, par exemple ; le premier mandat de Trump s’est terminé – tant bien que mal) et il y a des régimes non labellisés extrême-droite qui ont tout fait pour le garder (les régimes dit communistes mais aussi les deux Bonaparte en France, par exemple). Surtout, comme beaucoup d’inquiétudes portant exclusivement sur le RN, cette phrase s’applique désormais pleinement au régime macroniste, qui s’est toujours présenté comme le seul rempart contre l’extrême-droite. Ainsi, Macron ne veut pas rendre le pouvoir, ou du moins le partager.

Le message des Français a été limpide : deux ans après une élection présidentielle où ils ont joué le jeu du “barrage” en choisissant Macron contre Le Pen, ils ne veulent plus de gouvernement pour le premier.

Tout d’abord, il refuse de nommer la candidate de gauche au poste de Premier ministre. Ensuite, il a transformé le résultat des élections en décrétant, lors de sa dernière allocution télévisée, qu’il n’y avait pas de gagnant. Il y a une part de vérité dans cette déclaration : en nombre de voix, le Nouveau Front Populaire et le Rassemblement National font jeu égal. Mais en nombre de sièges, le premier est nettement en tête grâce à la mise en place d’un cordon sanitaire anti-RN au second tour des élections législatives, ce qui ne le rend pas moins légitime : ce sont les règles du jeu. Mais ce qui est sûr et certain, c’est qu’il y a un perdant, et Macron feint de l’ignorer : lui, son parti, son gouvernement. Le message des Français a été limpide : deux ans après une élection présidentielle où ils ont joué le jeu du “barrage” en choisissant Macron contre Le Pen, ils ne veulent plus de gouvernement pour le premier.

Et pourtant, le gouvernement reste. Pire, il continue de prendre des décisions qui affectent la vie des gens alors qu’ils n’ont plus de légitimité démocratique pour le faire : législation du droit du travail, taux d’intérêts du livret A, politique sécuritaire, budget, apparitions publiques et tentative de récupération des Jeux Olympiques de Paris : nous n’avons pas à faire un gouvernement “démissionnaire”, comme la presse mainstream le dit pour tenter de masquer le scandale, mais bien à un gouvernement qui reste en place malgré une défaite électorale.

Les défenseurs du putsch présidentiel s’appuient scolairement sur la constitution : ce texte conçu par les partisans de l’autoritaire Charles de Gaulle (qui jouit d’une aura de prestige avec le recul mais qui n’avait rien d’un démocrate) ne prévoit pas de règle stricte pour la nomination d’un gouvernement. C’est le président de la République qui nomme le premier ministre. Et seul l’usage veut qu’il le fasse parmi le groupe politique victorieux aux élections législatives, ce qu’il s’est produit lors de toutes les précédentes cohabitations. Usage que Macron piétine allègrement. En termes de légitimité démocratique, on ne voit pas bien au nom de quoi un gouvernement macroniste pourrait se maintenir après une défaite électorale et sans être capable, à ce jour, de produire la moindre majorité alternative à celle du NFP.

Le journal Le Monde expose le plan de Macron sans s’en émouvoir, alors qu’il y aurait pourtant matière : mais dès les premières lignes de l’article, on sent que les journalistes n’ont pas particulièrement le seum de voir un président conserver à tout prix le pouvoir : “Emmanuel Macron est parti prendre l’air de la mer. Quoi de mieux que de laisser son regard filer sur l’horizon pour réfléchir, seul, à la fin de son quinquennat ?”. On suppose que ce genre de lyrisme béat devait être utilisé par les journalistes de la Pravda quand il s’agissait de parler des réflexions profondes de Staline ou de ceux de la presse collabo pour parler des décisions du Maréchal Pétain.

Macron “laisse son regard filer sur l’horizon pour réfléchir, seul.”

En bon SAV zélé d’un déni de démocratie, Le Monde tente de nous rassurer : le chef de l’Etat aurait admis sa défaite, et “cet aveu conduit le président de la République à imaginer le profil du nouveau chef du gouvernement comme un homme ou une femme, consensuel(le), qui plaise à la gauche comme à la droite tout en offrant, affirme l’Elysée, « un parfum de cohabitation »”. On se demande bien pourquoi parler “d’aveu”, comme si le président se rabaissait, pour nos beaux yeux, à accepter la réalité électorale, mais tout l’article du Monde respire ce vocabulaire monarchiste, où tous les choix du président sont présentés comme des concessions qu’il daigne accorder à la populace.

Ses riches soutiens ne supporteraient pas la moindre avancée en terme de justice fiscale et sociale. Le 25 juillet, le président a même organisé un dîner avec les plus riches patrons du monde pour leur assurer que rien ne changerait.

Mais attention, prévient le chef de l’Etat et Le Monde en écho : “L’Elysée s’agace de la posture jugée vindicative de la trentenaire (Lucie Castets, la candidate du NFP au poste de première ministre) qui entend appliquer le programme du NFP, comprenant le rétablissement de l’impôt sur la fortune ou l’abrogation de la réforme des retraites. « L’urgence du pays n’est pas de détruire ce qu’on vient de faire, mais de bâtir et d’avancer », a cinglé, le 23 juillet, le chef de l’Etat.” Macron prévoit plutôt que son prochain premier ministre fantoche respecte un “pacte”, qui tient “sur cinq pages”, nous informe Le Monde (c’est-à-dire pas beaucoup plus que son programme complètement creux de 2017) et qui “propose une série de dispositifs – pour le respect de la laïcité, la défense du pouvoir d’achat, la justice fiscale, la défense des services publics, l’écologie ou le renforcement de la sécurité – en proposant des mesures dans la droite la ligne de celles pensées par le gouvernement précédent (réforme de l’assurance-chômage, lutte contre les discriminations, mesures contre la délinquance des mineurs…) en y ajoutant quelques innovations (référendum tous les ans pour réfléchir aux institutions).”

En lisant ces lignes, on se demande si pour pouvoir les écrire sans rire, la mention “serpillère” est requise sur sa carte de presse ? Car oser écrire “référendum tous les ans pour réfléchir aux institutions”, alors qu’un référendum est fait pour décider, pas pour réfléchir, et que Macron a déjà battu le record de fausses consultations bidons depuis 2018 sans rajouter “LOL”, c’est vraiment le stade Swiffer du journalisme politique. Un tapis de bain Ikea aurait été plus critique, vraiment.

Sans avoir besoin de lire loin entre les lignes, les choses sont plutôt claires : malgré sa défaite à plate couture, Macron ne veut rien changer à la politique menée depuis 2017. Ses riches soutiens ne supporteraient pas la moindre avancée en termes de justice fiscale et sociale. Le 25 juillet, le président a même organisé un dîner avec les plus riches patrons du monde pour leur assurer que rien ne changerait.

Oser écrire “référendum tous les ans pour réfléchir aux institutions”, alors qu’un référendum est fait pour décider, pas pour réfléchir, et que Macron a déjà battu le record de fausses consultations bidons depuis 2018 sans rajouter “LOL”, c’est vraiment le stade Swiffer du journalisme politique.

En 2015, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker disait au nouveau gouvernement grec, alors très à gauche, “il n’y a pas de choix démocratique contre les traités européens”. Macron a en fait donné aux patrons reçus à l’Elysée un message similaire “il n’y a pas de choix démocratique contre l’intérêt économique des grandes fortunes”. Depuis le début, la gauche n’était pas une option : dans le régime autoritaire français, les citoyens ont le choix entre la droite et l’extrême-droite. Le reste, c’est du “hors-jeu”.

Il doit maintenant s’assurer que ses règles soient respectées et prend donc le temps de chercher cette personne consensuelle (parmi la classe politique hors gauche) pour nous “offrir”, accrochez-vous, un “parfum de cohabitation”. Car c’est à ça que nous allons avoir droit, désormais : une apparence de respect de ces élections, un parfum de concession de la part du pouvoir, bref une démocratie “ressentie”, comme il y a la température réelle et la température ressentie.

“La température ressentie, explique Météo France, est différente de la température de l’air, elle correspond à la sensation de froid ou de chaleur ressentie par une personne. Cet indice dépend de conditions météorologiques, mais aussi de facteurs personnels tels que les vêtements portés, le type d’activité pratiquée et l’acclimatation à un certain milieu.”

L’équation est donc, pour l’Elysée et les journalistes de la presse milliardaire qui le soutient, la suivante : comment faire en sorte de modifier notre sensation de démocratie au milieu d’un authentique virage dictatorial ? Quels vêtements porter pour nous faire croire à cette mascarade ? Quel type d’activité pratiquer pour parfaire l’illusion ?

Cette dernière question a trouvé sa réponse, ces derniers jours : Macron s’empresse d’aller embrasser, serrer, sécher les larmes, et pousser les enfants des champions olympiques pour espérer sans doute obtenir, par contamination, un peu de leur popularité. Il espère que la “trêve olympique” qu’il a lui-même décrétée fonctionne pour masquer la réalité de ce qu’il vient de se produire : un auto-Coup d’Etat, un putsch du garant constitutionnel des institutions démocratiques contre ses propres institutions.

Pour cela, il peut compter sur les médias mainstream : les Jeux Olympiques fonctionnent comme un véritable piège à guêpe pour des journalistes majoritairement parisiens qui rivalisent d’enthousiasme pour décrire leur bonheur de vivre dans une capitale devenue parc à jeuxpour bourgeois petits et grands. En ce moment, ils n’ont pas le temps de parler du Coup d’Etat : le summum de leurs investigations consiste à se demander si leurs copains parisiens qui ont quitté la ville pour éviter le chaos des JO le regrettent maintenant, krkrkr.

Journalisme d’investigation en temps de régime autoritaire

Paris, devenu immense bac à sable à riches, délesté de 12 000 sans-abri qui gâchaient la vue à cette classe qui n’aime rien de mieux que de vivre dans une fiction autoproduite, leur procure une joie intense qu’ils labellisent “populaire” parce qu’il est question de sport et, qu’on le sait, “le sport c’est populaire”.

S’il est une règle intangible du journalisme en régime bourgeois, c’est que les membres de cette corporation sont nettement plus prompts à qualifier de dictature les régimes qui se situent hors de leurs frontières.

Le bon réflexe à avoir, quand on vit dans un régime autoritaire, est d’aller voir ce que dit la presse étrangère de notre pays. Car s’il est une règle intangible du journalisme en régime bourgeois, c’est que les membres de cette corporation sont nettement plus prompts à qualifier de dictature les régimes qui se situent hors de leurs frontières. C’est logique : ils ont moins peur de vexer leur classe politique ou leurs milliardaires. Comme l’ont relevé nos confrères de Contre Attaque, le journal allemand centriste Die Zeit dit par exemple les termes : « Mais qui commande désormais, lors des Jeux Olympiques, qui sont regardés par des milliards de personnes à travers le monde ? Qui commande la police dans les stades ? Qui donne d’innombrables interviews en tant que ministre des Sports ? Qui, en tant que Premier ministre, a commenté les actes de sabotage massifs sur le réseau ferroviaire français ? C’est l’ancien gouvernement. La faction qui a reçu le moins de voix parmi les trois principaux blocs politiques au premier et au deuxième tour des élections législatives. » Tandis que le New York Times s’inquiète des germes d’une dérive autocratique (l’euphémisme reste de mise).

Les Jeux Olympiques ne dureront pas éternellement : la “magie” tant vantée par la presse bourgeoise, et qui consiste donc à faire disparaître les pauvres d’un coup de baguette et lancer un sort d’oubli contre le putsch de leur chef d’Etat préféré, va disparaître. Bientôt, comme à l’automne 2018, Macron et ses fans vont se retrouver nus et seuls face à la colère populaire. Ils ne pourront plus faire grand chose pour que leur déni décomplexé de démocratie n’apparaisse au grand jour. Nul doute qu’alors, à Paris comme ailleurs, la température ressentie par Macron et ses sbires augmentera sensiblement.

Nicolas Framont

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