15 janvier 2025 | tiré du site inprecor.org
https://inprecor.fr/node/4538
Du point de vue du FDP, sa participation à la coalition des « feux tricolore » n’a pas été payante si l’on en juge par ses résultats électoraux. Le nouveau gouvernement est entré en fonction en octobre 2021. Depuis les élections régionales de 2022, le parti n’a cessé de perdre du terrain, d’abord au profit de la CDU/CSU, puis de l’AfD. L’étoile des Verts n’est vraiment tombée qu’en 2023 avec la débâcle de la loi sur le chauffage et le fiasco qui a suivi sur le financement des objectifs climatiques.
Avec la loi sur le chauffage, le ministre de l’Économie Robert Habeck voulait amorcer le tournant thermique dans le domaine de l’habitat en rendant obligatoire l’installation de pompes à chaleur. Le projet de loi n’avait pas suffisamment pris en compte les nombreuses situations particulières qui existent dans ce domaine, il a suscité une tempête de protestations venues de différents côtés, où se mêlaient critiques fondées sur le plan pratique et refus de principe de toute rénovation écologique. Les corrections apportées ultérieurement au projet de loi n’ont en rien pu empêcher la chute électorale des Verts (entre 2 et 6,6 pour cent). D’autant moins que plus tard dans l’année, la Cour constitutionnelle fédérale a fait droit à une contestation de la CDU. Celle-ci voulait empêcher que des crédits non utilisés d’un montant de 60 milliards d’euros provenant de la dette non utilisée contractée lors de la crise de la Covid en 2021 à un nouveau fonds pour le climat et la transformation de l’économie. Or, le ministre Habeck comptait fermement sur cet argent pour financer ses investissements prévus dans la protection du climat. Par la suite, la coalition n’a fait que passer en trébuchant d’une polémique sur les trous budgétaires à une autre.
Avec la diminution des ressources budgétaires, le chef du FDP Christian Lindner a vu son heure arriver : Il a exigé catégoriquement que l’argent destiné à la protection climatique soit prélevé sur les budgets sociaux. Pour se justifier, il a invoqué la règle du frein à l’endettement. Le frein à l’endettement est une disposition introduite dans la Loi fondamentale (Grundgesetz) en 2009 qui interdit aux Länder de contracter de nouveaux emprunts, quelle que soit la conjoncture, et qui limite l’endettement de l’Etat fédéral à un maximum de 0,35 pour cent du produit intérieur brut (PIB) en valeur nominale. Parallèlement, il est autorisé de constituer un nouveau fonds en fonction de la conjoncture, mais celui-ci doit être réalimenté les années de reprise économique.
Lindner, en sa qualité de ministre, est censé avoir fait le serment de respecter la Loi fondamentale – c’est en tout cas ainsi qu’il a justifié ses « niet » répétés, par exemple concernant le financement d’une sécurité de base pour les enfants, la revalorisation du revenu citoyen en fonction de l’inflation et, pour finir, son « non » à un budget spécial pour le soutien à la guerre en Ukraine. Après l’éclatement de la coalition, il a toutefois été sermonné par le chef de la CDU, Friedrich Merz, qui a déclaré qu’à l’exception des droits fondamentaux, tous les autres articles de la Loi fondamentale pouvaient être modifiés. Comme s’il voulait souligner l’absurdité – ou plutôt la limpidité – des intentions politiques de Lindner, Merz, qui sera probablement le prochain chancelier et avec lequel Lindner veut absolument gouverner, a maintenant lui-même évoqué une réforme du frein à l’endettement.
Des budgets fantômes, il y en a toujours eu dans l’histoire de la République fédérale ; autrefois, ils étaient cachés, mais depuis la « reconstruction de l’Est » dans les années 90, ils sont mis en place ouvertement à chaque fois que la situation est tendue : en 2011, le fonds pour le climat et la transformation, en 2020 le fonds Covid avec 200 milliards d’euros ; au début de la guerre en Ukraine, 100 milliards d’euros de fonds spéciaux pour l’armée allemande. Avec de tels budgets parallèles, tout gouvernement fédéral se ment à lui-même, à l’opinion publique et à ses partenaires européens sur sa situation budgétaire réelle : il se présente comme un modèle en matière d’endettement, car les critères officiels sont plus ou moins respectés. Mais les dettes accumulées par le biais des budgets parallèles dépassent de loin les dettes budgétaires : 147,2 milliards d’euros de crédits ont dû être contractés dernièrement pour les fonds spéciaux, alors que 45,6 milliards d’euros de crédits prévisionnels étaient inscrits au budget ordinaire. Le volume de tous les budgets parallèles réunis s’élève à 869 milliards d’euros, dont 522 milliards sont financés par des emprunts.
Tel qu’il a été géré par Lindner, cet instrument a été un gourdin utilisé contre des mesures sociales d’urgence ainsi que contre des investissements écologiques. Le fonds pour le climat et la transformation a été amputé de 45 milliards, de nombreux projets ont été abandonnés, notamment la rénovation des chemins de fer qui doit désormais être financée sur fonds propres, c’est-à-dire par de nouvelles privatisations. Une bonne partie des objectifs climatiques a été sacrifiée, l’énergie nucléaire est réintroduite dans le jeu en tant qu’« énergie verte ».
Mais en adoptant une telle orientation, le gouvernement se met lui-même des bâtons dans les roues. Après des décennies d’austérité néolibérale, cela grince dans tous les secteurs publics. En mai de cette année, l’Institut de l’économie allemande a chiffré le retard d’investissement à 600 milliards d’euros. Le rapport Draghi à la Commission européenne réclame 800 milliards pour l’UE. Ceux-ci ne doivent pas être affectés en priorité à l’armement, mais aux transports, à l’éducation, au logement, au numérique. « Investir, investir, investir », peut-on y lire – rien de vraiment nouveau, mais jusqu’à présent, cela s’est toujours heurté au dogme néolibéral.
En ce moment, tout gouvernement qui veut promouvoir des réformes doit œuvrer sous l’épée de Damoclès du frein à l’endettement. Car pour subventionner des besoins extraordinaires en capitaux, les budgets parallèles sont bien sûr toujours à disposition, mais pas pour le social. Friedrich Merz s’est exprimé très clairement à ce sujet : le journal télévisé Tagesschau le citait le 14 novembre en ces termes : « On peut bien sûr procéder à des modifications. Mais la question est : pourquoi faire ? Le résultat sera-t-il que nous consacrerons encore plus d’argent à la consommation et à la politique sociale ? Dans ce cas, la réponse est non. […] Cela est important pour les investissements, cela est important pour le progrès, cela est important pour la base de vie de nos enfants ? Alors la réponse peut être différente ».
Le frein à l’endettement a le même effet en Allemagne que les exigences du FMI dans le Sud mondial : il est utilisé pour empêcher le progrès et imposer une discipline aux revendications sociales. Cela est contesté même dans les milieux bourgeois. Mais c’est là que la classe propriétaire du capital se trouve entre l’arbre et l’écorce, car en Allemagne, non seulement on ne forme pas assez de personnel qualifié, mais les écoles, les hôpitaux, le réseau ferroviaire, etc. se dégradent - des secteurs qui sont tout à fait nécessaires à la reproduction du capital et qui ont un impact sur l’attractivité de l’Allemagne comme lieu de production. Ce qui a du sens pour une entreprise isolée, par exemple pour économiser les coûts de formation, n’en a pas au niveau macroéconomique. Et la privatisation des services publics d’intérêt général a pour conséquence que ceux-ci ne fonctionnent plus pour la collectivité, et donc aussi pour les entreprises.
Et puis, de quel droit le gouvernement allemand exige-t-il des autres pays de l’UE qu’ils respectent la discipline budgétaire s’il ne le fait pas lui-même ?
La coalition a, malgré les obstacles, introduit une série de mesures positives : l’augmentation du salaire minimum à 12 euros ; une augmentation exceptionnelle de 12 % des plafonds de ressources pour le revenu de citoyenneté (Lindner a réussi à empêcher une nouvelle revalorisation en fonction de l’inflation), la poursuite du développement des énergies renouvelables. La mesure qui a le plus facilité la vie du plus grand nombre a été le ticket de transport à 9 euros à l’été 2022, puis le Deutschlandticket à 49 euros - pour ce prix, il était possible de prendre des trains régionaux dans toute la République ; il devrait maintenant être supprimé.
L’augmentation des allocations familiales a échoué à cause de Lindner, tout comme la fusion de différentes prestations en une garantie de base pour les enfants ; il voulait financer son projet favori, la pension de retraite en actions, en partie avec les cotisations de retraite. Des projets importants comme la garantie de la retraite, le logement abordable ou la réforme des soins sont restés lettre morte.
Toutefois, la décision gouvernementale qui a le plus contribué au glissement général vers la droite est la question des réfugiés - la décision imposée dans toute l’UE de déposer les demandes d’asile aux frontières extérieures de l’UE afin de ne pas laisser entrer les migrants. Sur cette question, comme sur celle du réarmement, il y avait un grand consensus parmi les partis de la coalition.
Lindner mise désormais tout sur une reformation de la coalition noire-jaune (CDU-FDP). C’est un rêve passéiste : le panorama des partis en Allemagne est désormais si fragmenté qu’une grande coalition ne pourrait être constituée qu’avec des difficultés énormes, tandis que trois partis seront probablement nécessaires pour former un gouvernement. Est-ce que dans ce cas Lindner en fera à nouveau partie ?
Publié par l’ISO le 25 novembre 2024, traduit de l’allemand par Pierre Vandevoorde
Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.
Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.
Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :
Abonnez-vous à la lettre
Le programme PAFI, vous connaissez ? PAFI pour programme d’aide financière à l’investissement.
Un message, un commentaire ?