Depuis des semaines, l’Elysée et le gouvernement misent sur l’essoufflement et l’usure du mouvement. A défaut de les avoir obtenus, ils parient désormais sur le pourrissement, et un rejet par l’opinion des scènes de violence qui se multiplient.
Après des mois de journées d’action qui ont fait le plein de manifestants sur les pavés de tout le pays, avec de solides majorités dans l’opinion qui rejettent la réforme proposée, le gouvernement est resté « droit dans ses bottes », poussant son avantage parlementaire pour créer un fait accompli législatif.
L’objectif défini par le petit noyau de fins stratèges qui entoure Nicolas Sarkozy dans son réduit de l’Elysée est simple : montrer, comme disait finement Dominique Paillé, le secrétaire général adjoint de l’UMP, que le Président est « un mec qui en a ». C’est-à-dire permettre à Nicolas Sarkozy de répéter à l’envi d’ici à l’élection présidentielle de 2012 que lui, au moins, a su imposer une « réforme-nécessaire-mais-impopulaire-pas-comme-ces-couilles-molles-qui-l’ont-précédé »…
Brouillage du dialogue social
En faisant de la réforme des retraites un objectif politique et pas seulement social et économique, Nicolas Sarkozy a introduit un élément de brouillage considérable. Il a au passage torpillé le dialogue social dont, pourtant, contre toute attente, il avait tenté de faire une force pendant la première période de son mandat, invitant les dirigeants des confédérations à discuter, leur donnant du « Bernard » ou du « François » et des claques dans le dos.
A l’arrivée, il n’a laissé d’autre choix aux centrales syndicales que de capituler ou de se lancer dans l’escalade, avec l’espoir que, dans les deux cas, le pouvoir soit gagnant.
L’escalade, elle se produit sous nos yeux, entre les blocages du secteur de l’énergie et l’irruption progressive de la jeunesse dans le paysage.
Et au passage, c’est tout le mouvement qui risque de changer de nature. Non pas tant avec l’entrée en scène d’éléments violents qui risquent effectivement de discréditer l’ensemble du mouvement, mais surtout parce que la revendication de la jeunesse est plus large.
Le message de la jeunesse
Aux « vieux cons », et ils sont nombreux et pas nécessairement vieux, qui s’étonnent que des jeunes pas encore entrés dans la vie active manifestent pour le droit à la retraite à 60 ans, il leur suffirait de jeter un coup d’œil à cette magnifique photo prise ce mardi matin par Pascal Riché devant le lycée Hélène Boucher, dans le XXe arrondissement de Paris, et le slogan de la banderole des lycéens.
Le risque que prennent les pyromanes qui nous dirigent est résumé dans cette banderole. La contestation sociale, centrée sur une loi spécifique, est en train de devenir une contestation plus générale de la société, et son incapacité à faire une place à ses jeunes. La France détient en effet l’un des records d’Europe des jeunes de moins de 25 ans au chômage.
Cette génération est la première qui, avec certitude, a compris qu’elle vivra moins bien que celle de ses parents dans une France certes riche mais incapable aujourd’hui d’éviter le décrochage dans un monde en pleine transformation.
En Mai 68, une jeunesse qui n’avait pas à se soucier de trouver une place dans la société contestait la nature même de la société bâtie par leurs parents. La génération 68 n’a pas réussi à la transformer, et laisse à sa descendance une société plus inégalitaire encore, moins accueillante encore…
Crise de société
En octobre 2010, c’est donc une jeunesse qui voit un horizon bouché qui descend dans la rue. Et qui interpelle tout le monde, à sa manière, sur ce « no future » qui se dessine à l’horizon.
Le défi s’adresse au pouvoir actuel, qui ne s’en tirera pas uniquement en montrant au journal de 20 heures des images de casseurs et de lycées brûlés. Le défi s’adresse aussi à la gauche, qui ne peut pas se contenter de surfer sur le rejet du sarkozysme, mais peine à définir des alternatives crédibles.
Pendant ce temps, le projet de loi de réforme des retraites continue son chemin parlementaire. Mais l’enjeu, progressivement, déborde de ce texte qui a mis le feu aux poudres ; c’est une crise de société qui se dessine.