tiré de QUOI DE NEUF, de l’Association des retraitées et retraités de l’éducation et des autre services publics du Québec, printemps 2023.
À mesure que s’approfondit cette crise multiforme, on remarque qu’une part de plus en plus importante de personnes âgées de 65 ans et plus éprouvent des difficultés à se loger dans la province, surtout lorsqu’il est temps de se trouver un nouveau logement. Le Plan d’action 2018-2023 Un Québec pour tous les âges, soit la politique-cadre québécoise en matière de vieillissement, stipule en effet que le but premier des interventions actuelles et futures en habitation doit être de « rendre les milieux de vie et les habitations adaptables, accessibles et sécuritaires pour les aînés ».
Accessibilité et abordabilité
Quand on parle d’accessibilité, en études sur le logement, on peut évidemment évoquer l’accès physique au bâtiment, pour des personnes ayant des capacités différenciées, mais également ses caractéristiques financières. Or, de nombreuses personnes âgées se trouvent présentement en situation de précarité résidentielle, qui résulte d’un continuum de situations rendant l’occupation du logement incertaine, inadéquate ou inabordable, la plus extrême étant l’expulsion.
Ainsi, dans le parc locatif privé traditionnel, plusieurs menaces pèsent sur les locataires âgés, surtout si ceux-ci ont des revenus faibles ou même moyens. Évidemment, les hausses abusives de loyer, soit au-delà des indicateurs publiés par le Tribunal administratif du logement (TAL), sont endémiques.
Les expulsions passent souvent sous le radar des autorités et du public, à moins d’être médiatisées. Avec mes collègues, nous avons documenté des dizaines de cas de harcèlement, de pressions psychologiques, de destruction ou même de violence physique, de la part de propriétaires qui cherchent à relouer le logement occupé par une personne âgée au triple du prix, en effectuant quelques rénovations cosmétiques.
Les cas des RPA
Cela dit, le parc locatif privé ne concerne pas seulement les appartements traditionnels, il englobe également le secteur des résidences privées pour ainés (RPA), qui hébergent environ 7 % des personnes âgées de 65 ans et plus au Québec. Ce secteur subit présentement des transformations majeures. On ne soulignera pas assez les déboires financiers du Groupe Sélection, qui n’a pas su résister aux dépenses somptuaires de son président. Résultat : les actifs de la société seront réduits de 75 % [2] À terme, que se passera-t-il avec les logements acquis par d’autres investisseurs ? Seront-il reconvertis ? Les loyers seront-ils augmentés ?
La saga du Mont-Carmel
En ce sens, la saga de la tentative de rénoviction générale de la résidence Mont-Carmel, à Montréal, est assez emblématique des dynamiques qui peuvent se jouer à l’échelle du Québec. En effet, le nouveau propriétaire du bâtiment a voulu se débarrasser des locataires âgés pour convertir les logements en appartement luxueux sans se soucier de l’agrément passé entre la RPA et le CIUSSS pour des places de soins. Le propriétaire a entrepris d’utiliser plusieurs tactiques (par exemple, détruire des salles communes) pour obtenir le départ des locataires, même pendant les procédures juridiques, qui sont d’ailleurs loin d’être terminées.
Bref, le doute plane sur les dynamiques en RPA, mais il ne semble pas y avoir de volonté politique de prévenir des situations similaires dans un futur proche.
La situation précaire des propriétaires âgés
Il n’y a pas que les locataires du parc locatif privé qui peinent à se loger de manière adéquate, abordable, accessible et pérenne, sans vivre avec la peur de devoir quitter contre leur gré leur lieu de vie. Plusieurs propriétaires aux revenus limités ont du mal à absorber les hausses de taxes actuelles, particulièrement dans certaines villes régionales qui font l’expérience d’une forte croissance, comme Saint· Jérôme. L’inflation élevée n’aide pas, évidemment, car les revenus de retraite, -souvent stables - des personnes âgées ne sont pas suffisamment indexés.
Le chauffage, l’électricité, l’essence, l’épicerie et les vêtements coûtent plus cher, sans compter l’entretien usuel de la maison. Le crédit d’impôt pour aînés relatif à une hausse des taxes municipales est certes un outil intéressant, encore faut-il payer suffisamment d’impôt - mais n’avoir pas plus que 54 700 $ de revenu familial pour que la déduction soit intéressante en termes concrets. Cette spirale de coûts peut mener à une plus grande précarisation de certains propriétaires âgés.
Quelles sont les alternatives ?
Certaines personnes pensent que les « Maisons des aînés » promises par la CAQ constituent en elles-mêmes une solution d’habitation. Or, elles visent simplement - et à grands frais à renouveler une partie du parc immobilier des CHSLD, particulièrement vétuste. Les institutions de soins de longue durée, bien qu’on les désigne souvent comme des « milieux de vie », ne sont pas, à proprement parler, des logements, mais plutôt des espaces de soins actifs où la durée d’occupation, qui se termine généralement avec le décès de la personne, dure en moyenne une vingtaine de mois. Un peu plus de 3% des personnes âgées de 65 ans et plus au Québec se retrouvent dans ces institutions de soins de longue durée.
Il en découle que toute solution pérenne aux problèmes de l’habitation vécus par les personnes âgées au Québec devra agir sur deux fronts simultanément :
1. réguler le marché immobilier de manière beaucoup plus affirmée qu’actuellement ;
2. développer rapidement des solutions d’habitation autour de modèles organisationnels et financiers collectivisés.
Réguler davantage le marché impliquerait de transformer les RPA au bord de la faillite en OBNL ou en coopératives, comme le propose Québec solidaire, mais aussi de restreindre encore davantage les reprises et les évictions en instaurant un moratoire complet à l’échelle du Québec.
Mentionnons que l’article 1959.1 du Code civil, introduit en juin 2016, qui protège théoriquement une partie des personnes âgées locataires de 70 ans et plus à faible revenu contre la reprise et l’éviction, est souvent invoqué pour affirmer que des protections contre les abus du marché sont en place. Sauf qu’une analyse complète de la jurisprudence a démontré que le nombre de reprises ou d’évictions ayant été réellement contrecarrées par cette mesure ne compte que quelques dizaines de cas depuis sa mise en oeuvre.
C’est donc dire que cette loi, bien que nécessaire, est loin d’être suffisante pour protéger adéquatement le droit au maintien dans les lieux des personnes vieillissantes au Québec.
Des solutions pour et par les collectivités locales.
Concernant le deuxième point, soit de développer des solutions d’habitation autour de modèles organisationnels et financiers collectivisés, il ne faut pas oublier d’exercer une pression continue sur les divers paliers de gouvernement pour obtenir davantage de logements sociaux. Or, le financement du programme provincial qui finançait, entre autres, la construction d’OBNL d’habitation pour aînés - Accès-Logis - n’a pas été renouvelé par le gouvernement caquiste.
À moins d’un changement d’approche inattendu, il serait étonnant que les réponses aux enjeux identifiés dans ce texte viennent de Québec. D’où la très grande importance des projets locaux, communautaires et autogérés, faits de manière démocratique. On voit justement, dans plusieurs régions du Québec, des personnes âgées et des allié.e.s se regrouper pour faire vie commune, mettre sur pied des coopératives, gérer différentes habitations grâce à des fiducies foncières, bref, créer des alternatives concrètes et innovantes dans un contexte où les possibilités sont très limitées. Le Mouvement Habitats, par exemple, soutient en partie ces initiatives.
L’histoire du Québec nous a montré que des projets comme les CLSC - autrefois joyaux du réseau de la santé et des services sociaux, avant les diverses vagues d’austérité - se construisent à partir des communautés locales. Les solutions à la crise du logement affectant les personnes âgées devront suivre le même chemin.
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