Édition du 17 décembre 2024

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Créer les conditions pour des systèmes de santé gratuits pour toustes

La crise déclenchée par la pandémie de Covid-19 présente un caractère doublement global : elle est à la fois mondiale et multidimensionnelle, non seulement sanitaire mais aussi économique, sociale, politique, idéologique, psychique. À ce double titre, elle a déstabilisé gravement le pouvoir capitaliste dans ses différentes composantes, en le mettant au défi de se renouveler, d’inventer et de développer de nouvelles modalités de domination, au-delà de celles dont il a déjà usé pour pallier les anciennes mises à mal.

Tiré de Entre les lignes et les mots
Publié le 8 novembre 2021

« Du même coup, cette crise constitue aussi un défi lancé à toutes les forces anticapitalistes, lui aussi double. Défensivement, elles doivent anticiper la mise en œuvre de ces nouvelles modalités de domination capitaliste. Offensivement, elles doivent tirer profit de l’affaiblissement conjoncturel du pouvoir capitaliste pour faire évoluer le rapport de force en leur faveur, voire pour tenter d’ouvrir des brèches susceptibles de s’élargir sur des perspectives révolutionnaires.

Les pages qui suivent n’ont d’autre ambition que d’exposer quelques thèses concernant l’un et l’autre de ces deux aspects de la crise et de contribuer ainsi à la discussion qui s’est déjà amorcée à ce sujet dans les rangs anticapitalistes.  »

« Le déni d’abord, la procrastination ensuite, les demi-mesures pour continuer, transformant une nécessité créée de toutes pièces (car dictée par l’état déplorable d’un appareil sanitaire affaibli par des décennies de restrictions budgétaires, ordonnées aux politiques néolibérales) en une vertu mensongère (les masques et blouses de protection ne serviraient à rien, le dépistage systématique serait inutile, les vaccins peuvent attendre, etc.), enfin un amateurisme ubuesque dans leur exécution qui ferait rire en d’autres circonstances, ont gravement compromis le crédit de l’immense majorité des gouvernants  », sans oublier les politiques plus criminelles de Donald Trump, Jair Bolsonaro pour n’en nommer que deux. La demande de soins s’est heurtée à la dégradation du système de santé due aux politiques néolibérales.

«  l’état de santé de chacun·e dépend d’abord de celui de tous les autres avant de dépendre de ses décisions propres », la santé est un bien public et non une addition de responsabilités personnelles et privées de gestion d’un soi-disant « capital santé ». La brutalité de la pandémie a fait apparaître ce que les conditions habituelles tendaient à masquer, la prépondérance des facteurs sociaux dans la genèse et le développement de nombre de pathologies.

L’auteur discute, entre autres, de la soi-disant liberté de choix individuel, du culte immodéré de la « liberté économique » Et des attaques contre les libertés publiques. Il revient sur les exigences propres de la production capitaliste, « sa valorisation et son accumulation », l’absorption continue du travail vivant, les injonctions contradictoires et de l’incohérence de la gestion de la pandémie, « Car ce n’est pas le coronavirus qui produit des vagues mais la politique de stop and go censée en combattre la progression, l’alternance de mesures de protection à coups de restriction de la circulation des personnes puis de levée partielle ou totale de ces mêmes mesures. En somme, faute de pouvoir s’affranchir de la contradiction précédemment pointée, les gouvernants ont pratiqué l’art de faire des vagues comme M. Jourdain faisait de la prose : sans savoir qu’ils en étaient les auteurs.  »

Je souligne le chapitre « Convaincre ou contraindre », le carnaval des antivax et des antipass, l’interrogation : « Et comment se fait-il que, même parmi les vacciné·es ou partisan·es de la vaccination, certain·es protestent contre l’obligation plus ou moins impérative ou la contrainte plus ou moins insidieuse de se faire vacciner ? », la négation de «  la dimension fondamentale de bien public de la santé », une conception fétichiste de l’individualité, les socialisations des individu·es, « Or, qu’est-ce qu’un marché si ce n’est un système de rapports qui socialise les individus (il les met en relation, il les rend coproducteurs des conventions juridiques qui régissent leurs relations, il les rend en ce sens et dans cette mesure mutuellement objectivement solidaires les uns des autres) dans le mouvement même où il les privatise (il les pose les uns en face des autres comme des entités séparées, opposées, mutuellement concurrentes, ils les contraints de se désolidariser subjectivement les uns des autres, de ne se traiter mutuellement que comme de purs moyens au service de leurs fins propres) ? » la double exigence de la vaccination et de l’opposition au pass sanitaire, « L’instauration du pass sanitaire est en fait parfaitement cohérente avec l’ensemble des présupposés des politiques néolibérales, qui cherchent à « piloter » les comportements en soumettant les individus à un système de normes ou de règles mais en les laissant libres d’arbitrer dans ce cadre leur « choix » sous contrainte, en fonction de la perception de leurs intérêts dans les situations ainsi créées ».

Alain Bihr conclut ce chapitre : «  Face au pass sanitaire, il faut au contraire défendre l’obligation vaccinale généralisée, seule cohérente avec la dimension de bien public de la santé, qui ne saurait se réduire à la résultante aveugle et incontrôlable de l’ensemble des décisions individuelles comme l’est un simple marché  ». En absence de campagne unitaire pour une politique de santé (campagnes de vaccination de masse, abandon des brevets, renforcement des structures de soins de proximité, distribution gratuite de masques et de gel hydroalcoolique, maintien des gestes dits de barrière, auto-organisation des citoyen·nes, etc.) l’obligation vaccinale (politique de prévention) pour les adultes ne me semble ni satisfaisante ni convaincante.

Loin des visions limitées au cadre national, l’auteur aborde le « village planétaire », la contraction de l’espace temps, «  sous le régime du capital, la planète n’a rien non plus d’une communauté villageoise unifiée et pacifiée », le comportements des Etats, la transnationalisation du capitalisme, l’extension et l’intensification de la circulation des marchandises et des êtres humains, la précarisation de « la sécurité sanitaire » des populations, l’apartheid sanitaire et le « futur effet boomerang de la pandémie au niveau planétaire »…

L’auteur aborde les causes des pandémies, les transmissions des agents infectieux, les élevages industriels, «  l’uniformité spécifique et l’augmentation de la densité des animaux d’élevage  », les effets dévastateurs de l’agrobusiness, etc.

Le risque est bien évidement que les politiques préconisées pour demain soit un prolongement de celles d’aujourd’hui. Alain Bihr détaille trois scénarios possibles. Je crains qu’il faille à ajouter d’autres, de la victoire d’un fascisme du XXIeme siècle à des situations de guerre plus ou moins généralisées, sans oublier des réponses très autoritaires aux effets de catastrophes climatiques. Il me semble cependant plus utile de s’interroger sur les conditions de réponses émancipatrices démocratiques, « ouvrir des brèches en vue d’une rupture révolutionnaire », de s’appuyer sur des formes sociales « déjà là », des pratiques et des réseaux d’entraide, des structures d’auto-organisation populaire ou des mobilisations existantes. De ce point de vue, les larges mobilisations des femmes en Amérique du Sud contre les violences ou pour le droit à l’avortement nous fournissent quelques pistes.

L’auteur insiste à juste titre, entre autres, sur la gratuité, l’annulation des brevets sur les vaccins, nos propres conditions de reprise de la production, la socialisation du système de santé, la réorganisation de la médecine de ville autour de maisons de santé locales, le contrôle institué des citoyens et citoyennes, l’annulation des dettes publiques, des plans massifs d’investissements pour les équipements collectifs, la satisfaction prioritaire des besoins sociaux essentiels…

Il trace une perspective écosocialiste, « la transformation socialiste de la société ne peut plus désormais être qu’écosocialiste  ». Le terme écosocialiste ne répond que partiellement aux conditions d’émancipation collective et individuelle. Il tend à masquer, entre autres, les rapports sociaux de sexe et les apports des féministes, les différentes dominations et leurs imbrications historiques, les dimensions antiracistes et anti-coloniales nécessaires.

En analysant la pandémie dans le cadre plus global du mode de production et d’organisation du capitalisme, l’auteur peut discuter d’alternatives possibles, de solutions démocratiques à la crise dans toutes ses dimensions, « l’importance primordiale qu’il demande d’accorder aux initiatives prises par la base (« les gens », les travailleur·euses, leurs organisations) dans le but de promouvoir de nouvelles pratiques et structures d’émancipation, sous la forme notamment de contre-pouvoirs », de contrôle démocratique, «  l’objectif d’imposer des mesures de « contrôle populaire » sur la production (sa finalité et ses modalités : que doit-on continuer à produire ? Que faut-il maintenir ? Que faut-il abandonner ? Que faut-il réquisitionner ? À quelles conditions ?) pour imposer sa réorganisation dans le cadre d’une planification démocratique orientée en fonction de la définition des besoins sociaux », aux impératifs spécifiques de la santé (de l’accès à la vaccination et aux soins) pour toustes…

Une contribution synthétique aux débats.

Alain Bihr : Face au covid-19

Nos exigences, leurs incohérences

Editions Syllepse, Paris 2018, 98 pages, 5 euros

https://www.syllepse.net/face-au-covid-19-nos-exigences-leurs-incoherences-_r_37_i_873.html

Didier Epsztajn

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