Publié le 4 décembre 2017
Dans son éditorial, alternatives-sud-accords-de-libre-echange%E2%80%89-dynamiques-enjeux-et-resistances-editorial-de-frederic-thomas/, publié avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse, Frédéric Thomas présente les accords de libre-échange (ALE), l’intensification et l’extension des obligations qu’ils imposent aux Etats et aux citoyen-ne-s, leur progression géographique et thématique, des « traités négociés en secret et sans (guère de) débat, signés sous pression, entre partenaires inégaux », la fiction de l’indépendance et de l’efficacité du marché. Les traités doivent être compris dans la stratégie mondiale de néo-libéralisation, une réponse à la crise de valorisation du capital et au précédent régime d’accumulation.
Comme l’écrit l’éditorialiste, il s’agit bien de « la transformation du cadre social, économique, politique et légal en un environnement (plus) favorable aux affaires », des liens entre libre-échange et droit et sécurité des investissements, y compris contre les droits des êtres humains.
Frédéric Thomas revient sur les différentes négociations, le droit des investisseurs primant tous les droits, les engagements court-circuitant tous les éventuels changements politiques, les rapports de dépendance, le blocage de la diversification économique, la re-primarisation des économies, les dynamiques néocoloniales, l’accroissement des obligations envers les entreprises, les sanctions possibles émises par des tribunaux d’arbitrage privés, la sécurité assurée aux seuls investissements, l’extension des droits de propriété intellectuelle, la féminisation de la pauvreté et les résistances… « La seule promesse que les ALE soient capables de tenir et qu’ils ont effectivement tenue est l’accroissement des richesses et des pouvoirs du noyau dur de la classe capitaliste transnationale »
Les différents articles rendent compte des effets des « partenariats », des traités bi ou multilatéraux, de la diminution des marges d’initiatives des pays les « moins » développés, de l’impossible « réciprocité » entre inégaux, des exportations centrées pour les uns sur les matières premières, des conditionnalités aux accords de « libre-échange », des déréglementations et des privatisations imposées par les grands organismes internationaux, de la mobilité favorisée des capitaux, des approches statiques empêchant la diversification industrielle, des effets de la suppression des droits de douane, des subventions accordées par l’Union Européenne pour les exportations, des matières « stratégiquement importantes », des difficultés d’intégration régionale…
Afrique de l’est, Maroc, politiques dites de libéralisation et de fait d’« inspiration coloniale », aggravation des déficits commerciaux, dépendance aux intrants industriels et technologiques importées, détérioration de l’environnement, mécanisme de la dette, méga-infrastructures, marchandisation du savoir, médicaments génériques et propriété « intellectuelle », zones offshores, flexibilisation et précarisation des emplois, privilège donné aux cultures d’exportation, tertiarisation, effets genrés et dégradation des situations des femmes, circulation des capitaux et forte limitation de la circulation des personnes, multiplication d’événements xénophobes ou racistes, négociations en huis-clos, limitation pour l’accès aux droits fondamentaux…
Asie, régime commercial mondial, libre échange et menace pour les droits humains et les souverainetés (dont la souveraineté alimentaire), protection des investisseurs et interdiction des réglementations protectrices des droits des populations, tribunaux d’arbitrage au bénéfice unique des firmes privées, accords comme instruments essentiels en faveur des intérêts privés, résistances populaires, droit à la santé et aux médicaments, La Via Campesina et la souveraineté alimentaire, exploitation minière et mise en danger des moyens de subsistances, concessions minières et « terres ancestrales », détérioration des environnements et des droits des communautés locales…
Amériques du sud et centrale, impacts économiques et sociaux des traités de libre-échange, graves reculs démocratiques, perte de souveraineté, re-primarisation de l’économie, développement de monocultures, privatisation des services publics, mécanisme illégitime et unilatéral de règlement des « différents », déplacements internes, violence institutionnelle, politiques d’ajustement structurel, in-sécurisation de l’emploi, expropriations… Pour récupérer de la souveraineté nationale et régionale, il convient d’opposer aux idolâtres du marché et du libre échange, des intégrations régionales démocratiquement et publiquement choisies, « Les droits humains devraient l’emporter sur les droits des investisseurs ».
J’ai particulièrement été intéressé par l’article sur les nouveaux accords commerciaux et les semences paysannes (Grain), le vol organisé à l’échelle de la planète des savoirs et des pratiques paysannes, l’accaparement des terres et la brevetabilité du vivant, la vie et la culture transformées en « propriété intellectuelle » et en droit privé, les privilèges accordés aux semences commerciales, l’extension de la durée des brevets, l’exclusivité des données, la numérisation de la vie et des savoirs traditionnels, la criminalisation des agriculteurs et des agricultrices, la dissimulation et les textes non-publics, « Nous devons aussi aider les syndicats agricoles, les organisations des peuples autochtones et les défenseurs des droits à l’alimentation à unir leurs forces avec d’autres secteurs comme les défenseurs de l’accès aux médicaments ou aux droits numériques, des groupements de pêcheurs et des partisans du petit commerce de détail »…
Je souligne aussi l’article sur les impacts du libre-échange sur les femmes. L’autrice rend visible « l’articulation des impacts des politiques économiques, en particulier de la libéralisation du commerce et des investissements, sur le travail productif, mais aussi sur les tâches reproductives non rémunérées des femmes, consacrées au maintien de la vie et de la force de travail, c’est-à-dire sur l’insertion des femmes dans le travail historiquement et socialement en partie invisible ».
Le dernier article, « en finir avec la privatisation transnationale du pouvoir », insiste sur les résistances et les droits, « La lutte pour le droit à l’eau, la résistance aux mégaprojets d’infrastructure et leurs impacts environnementaux et sociaux, les alliances à propos de la « justice climatique », l’accès à la santé et contre les brevets… »
Il serait peut-être intéressant de mettre en relation les injonctions néolibérales dans les traités (dont la privatisation de la « justice » dans les tribunaux d’arbitrage privé) avec les réformes des codes du travail (dont la place donnée à la négociation en entreprise primant le droit des contrats de travail).
Je souligne, une fois encore, les silences coupables des organisations syndicales de salarié-e-s dans les multinationales sur les avantages acquis par ces sociétés. Une défense de certains emplois contre les intérêts de la majorité des salarié-e-s et des citoyen-ne-s, comme cela était déjà le cas dans certains secteurs comme l’industrie militaire ou le nucléaire, par exemple. A ces silences, il convient aussi d’ajouter ceux des parlementaires qui acceptent à la fois le secret des négociations et de clauses et d’être dessaisi-e-s des choix engageants les Etats et les citoyen-ne-s. Décidément le mythe de l’entreprise, dans l’oubli de ses actionnaires (et de leurs seuls intérêts), procure à certain-e-s, outre des possibles reversements pécuniaires, un frisson opiacé nauséabond. Et c’est bien au nom des choix démocratiques des « incompétent-e-s que nous sommes », qu’il convient de dé-privatiser les traités et les représentations institutionnelles…
Nous ne pouvons être tenu-e-s comme engagé-e-s par des traités élaborés de manière non-démocratique et qui violent les droits humains. Le droit des investisseurs n’est qu’un droit usurpé, comme tous les privilèges il doit être abrogé…
.
Sommaire
Éditorial
Frédéric Thomas : Accords de libre-échange : dynamiques, enjeux et résistances
Point de vue du Sud
Jane Nalunga : Accords de partenariat entre Union européenne et Afrique de l’est : l’impasse
Omar Aziki et Lucile Daumas : Méditerranée, Maroc et accords de libre-échange : des politiques d’inspiration coloniale
Joseph Purugganan : Méga-accords de libre-échange en Asie : essor, implications et résistances
Cecilia Olivet, Jaybee Garganera, Farah Sevilla et Joseph Purugganan : Abandon de souveraineté aux Philippines : accords de libre-échange et mines
Alberto Arroyo Picard et Alejandro Villamar Calderón : Accords de libre-échange et régression démocratique en Amérique du Sud
Manuel Perez Rocha : Logique et effets des accords de libre-échange au Mexique et en Amérique centrale
Approches transversales
GRAIN : Nouveaux accords commerciaux et semences paysannes
Graciela Rodríguez : Impacts du libre-échange sur les femmes dans un monde globalisé
Gonzalo Berrón : La victoire sera nôtre : en finir avec la privatisation transnationale du pouvoir
.
Alternatives Sud : Accords de libre-échange : dynamiques, enjeux et résistances
https://www.syllepse.net/lng_FR_srub_24_iprod_709-accords-de-libre-echange.html
CentreTricontinental, Editions Syllepse, Louvain-la-Neuve et Paris 2017, 190 pages, 13 euros
Didier Epsztajn
Un message, un commentaire ?