Édition du 17 décembre 2024

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Charte des valeurs québécoises

Confusion conceptuelle au service d'un projet identitaire, électoraliste et liberticide

Ce texte a été co-écrit par Samuel Blouin, Rosaria Maria Tagliente et Émilie Audy, membres de l’ACSSUM et étudiant.e.s aux cycles supérieurs du Département de sociologie de l’Université de Montréal.

(Publication : 14/12/2013 10:24 - tiré d’Huffington Post)

Après que plusieurs universités ont fait connaître leur opposition au projet de « Charte des valeurs » (projet de loi 60), les étudiant.e.s souhaitent également s’exprimer. L’Association des cycles supérieurs en sociologie de l’Université de Montréal (ACSSUM) a pris position contre ce projet de loi le 27 novembre dernier. En tant qu’étudiant.e.s en sociologie, employé.e.s de l’université et citoyen.ne.s, les membres de l’ACSSUM ont senti la nécessité de préciser certains concepts et de dénoncer les dérives racistes et islamophobes du projet gouvernemental.

Confusion conceptuelle

Le projet de loi 60 confond à souhait différents concepts qui ont pourtant un sens bien précis en sciences sociales. Les notions de laïcité, de neutralité, de séparation des religions et de l’État, et de « caractère laïque » sont articulées et définies sans aucune considération des finalités de la laïcité, à savoir la liberté de conscience et l’égalité. En fait, les représentant.e.s du Parti québécois (PQ) érigent la laïcité en finalité en soi. Contrairement à l’histoire fictive à laquelle se rapporte le PQ, la laïcité a historiquement eu pour visée de garantir la liberté de conscience et le droit à l’égalité dans la prise en charge de cette liberté. La séparation entre l’État et les religions demeure l’instrument le plus utilisé pour atteindre ce but. En effet, elle permet à l’État de se départir de toute interprétation de la vérité afin d’assumer une attitude neutre nécessaire à la garantie des droits et libertés.

La neutralité ne se vérifie pas à l’apparence, mais aux comportements effectivement adoptés par les employé.e.s de l’État. Traiter de façon discriminatoire un bénéficiaire des services de l’État est condamnable, peu importe ce que porte la personne les délivrant. Il apparaît superficiel de laisser croire que la neutralité de l’État serait mise en cause par les symboles religieux que certain.e.s de ses fonctionnaires portent. Par exemple, dans le cadre de ses fonctions, un homme blanc ne présentant aucun signe religieux pourrait très bien discriminer une femme musulmane portant le voile. Postuler que les signes religieux évoquent une absence de neutralité de la part de celui ou celle qui le porte relève d’un préjugé qui ne saurait fonder une politique publique.

La confusion concerne aussi l’accommodement raisonnable, instrument juridique qui vise à pallier une discrimination. Il ne s’agit en rien d’un privilège ou d’un caprice comme le laissent entendre les politicien.ne.s du PQ. L’accommodement est plutôt la conséquence logique du droit à l’égalité qui interdit toutes formes de discrimination en vertu de motifs tels que l’âge, le sexe, le handicap ou la religion. Les institutions (publiques ou non) sont donc dans l’obligation de satisfaire les demandes (raisonnables) de leurs usagers et de leurs employé.e.s. L’aménagement politique entre l’État et les religions qu’est la laïcité varie selon les contextes et le temps. Davantage qu’un aménagement visant à repousser le religieux hors des affaires publiques, la laïcité représente aujourd’hui un outil privilégié pour garantir le traitement pluraliste de la diversité religieuse. Une laïcité à défendre pour elle-même n’a pas de sens si elle en oublie les droits qu’elle cherche à garantir à tous et à toutes.

Dérives racistes et islamophobes

La confusion conceptuelle volontairement entretenue par le gouvernement conduit à des dérives inacceptables. La controverse qui fait rage depuis maintenant quatre mois donne lieu à une multiplication des cas de racisme et d’islamophobie, que ce soit dans la rue ou dans les médias. Au contraire des bénéfices postulés de la mise en œuvre d’un tel projet, les conséquences sont quant à elles bien démontrées. La « chasse à la religion », presque toujours musulmane, peine à se cacher sous l’étendard laïc. La France, pays duquel s’inspire ouvertement le gouvernement, ne cesse de multiplier les domaines auxquels s’étend la laïcité, comme quoi un interdit n’attend pas l’autre. Interdiction du port de signes religieux aux élèves, du voile intégral dans l’espace public et maintenant du voile dans une garderie privée : la quête de laïcité comme but ultime plutôt qu’instrument n’a pas de fin une fois que l’on ouvre la porte à une laïcisation liberticide. Le Québec ne devrait pas emprunter cette voie.

Cette quête de laïcité se fait au nom d’un discours identitaire que le gouvernement brandit dans un nombre croissant de ses domaines d’action, que ce soit le projet de loi 60, le comité ministériel de l’identité, le renforcement des cours d’histoire nationale ou l’instauration de l’identité québécoise comme axe prioritaire de la nouvelle Politique nationale de la recherche et de l’innovation. Or, ce discours de l’identité nationale, manié à des fins électoralistes, légitime l’extension de la discrimination hors des secteurs d’activités visés par le projet de loi avec pour effet de bouleverser le quotidien de maintes personnes, au premier chef des femmes musulmanes. La violence verbale et physique envers ces femmes est le résultat d’un climat et d’une controverse qui confortent le groupe majoritaire dans sa volonté de décider à qui il permet d’exercer pleinement ses droits.

L’ACSSUM reconnaît par ailleurs que la laïcisation des institutions de l’État, dans le but de garantir l’égalité et la liberté des individus, est un projet légitime. Elle recommande à cet égard de retirer le crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale, d’interdire la récitation de prières à l’ouverture de séances de conseils municipaux, ainsi que de supprimer les subventions aux écoles privées confessionnelles et les exemptions de taxes foncières aux institutions religieuses. Si le PQ persiste à soutenir qu’il y a un problème de neutralité étatique, nous proposons que soit complétée la formation du personnel de l’État afin de lui fournir les outils nécessaires à un exercice non discriminatoire de ses fonctions, au-delà des apparences.

Samuel Blouin.

Étudiant en sociologie à l’UdeM


Signataires

Ces étudiant.e.s des cycles supérieurs, diplômé.e.s et professeur.e.s du Département de sociologie de l’Université de Montréal ont également tenu à appuyer la position de l’ACSSUM en leur nom personnel :

Anouck Alary, étudiante à la maîtrise ; Valérie Amiraux, professeure ; Javiera Araya-Moreno, étudiante à la maîtrise ; Valérie Beauchamp, travailleuse communautaire ; Bélinda Bah, doctorante et coordonnatrice aux affaires étudiantes de l’ACSSUM ; Steve Berthiaume, étudiant à la maîtrise ; Sirma Bilge, professeure ; Raphaëlle Blondin-Gravel, étudiante à la maîtrise ; Myriam Boivin-Comtois, étudiante à la maîtrise ; Hervé Boog, étudiant à la maîtrise ; Mathieu Bourgault, étudiant à la maîtrise ; Estelle Carde, professeure ; Simon de Carufel, doctorant ; Marianne Chbat, diplômée de la maîtrise et doctorante en sciences humaines appliquées à l’Université de Montréal ; Kimberlee Desormeaux, étudiante à la maîtrise ; Gabriel Dufour, étudiant à la maîtrise ; Marc-Olivier Dumont, étudiant à la maîtrise ; Élise Dumont-Lagacé, étudiante à la maîtrise ; Aimée Fleury, étudiante à la maîtrise ; Valentina Gaddi, étudiante à la maîtrise ; Baptiste Godrie, doctorant ; Françoise Guay, doctorante ; Marcio Gutiérrez, étudiant à la maîtrise ; Ousmane Koné, doctorant ; Anne-Gaëlle Kroll, doctorante et coordonnatrice des affaires académiques de 3e cycle de l’ACSSUM ; Ayemi Lawani, doctorant ; Julie Lépine, étudiante à la maîtrise et coordonnatrice aux affaires académiques de 2e cycle de l’ACSSUM ; André Lucena Fernandes, étudiant à la maîtrise ; Antonio Marcos Gomes, doctorant ; Marie-Ève Martin, diplômée de la maîtrise ; Amélie Rivest, doctorante ; Amélie Robert, étudiante à la maîtrise ; Héloïse Roy, étudiante à la maîtrise et coordonnatrice à la vie étudiante de l’ACSSUM ; Nicolas Sallée, professeur ; Michel Sancho, étudiant à la maîtrise et délégué à l’externe de l’ACSSUM ; Michaël Séguin, doctorant et président de l’ACSSUM ; Karine St-Germain Blais, étudiante diplômée ; Bruno-Pier Talbot, étudiant à la maîtrise et vice-président de l’ACSSUM ; Étienne Tardif, étudiant à la maîtrise ; Sara Teitelbaum, professeure ; Geneviève Tessier, étudiante à la maîtrise et secrétaire de l’ACSSUM ; Barbara Thériault, professeure ; Véronique Thibault, étudiante à la maîtrise et responsable des communications de l’ACSSUM ; Francisco Toledo Ortiz, doctorant

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