Édition du 17 décembre 2024

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Environnement

Conférence sur le climat (COP 21) : la France déroule le tapis rouge pour les multinationales les plus polluantes !

Non seulement les lobbies bancaires font les lois bancaires, le MEDEF inspire directement la loi Macron, le CICE et autres pactes d’irresponsabilité, mais voici venu le temps où les multinationales qui détruisent le plus le climat sont appelées à la rescousse pour « sauver » ce dernier et soutenir activement la COP 21, y compris financièrement.

Voici un extrait d’un communiqué d’Attac daté du 21 mai : « Confier la sécurité routière aux chauffards ? La lutte contre le tabagisme aux cigarettiers ? Impensable ? C’est pourtant ce que François Hollande a fait en ouverture du Business & Climate Summit qui se tenait cette semaine à Paris. S’adressant aux dirigeants de multinationales comme Shell, Total, Vinci, BNP, Engie (ex GDF Suez) ou EDF, il est allé jusqu’à les qualifier « d’activistes » en les exhortant à « passer à l’action ».

C’est en réalité plus grave que cette exhortation de circonstance. Ces multinationales et ces lobbies sont à l’œuvre depuis des années sur les questions environnementales auprès de la plupart des grandes institutions internationales, dont la commission européenne bien entendu. Et ce n’est jamais pour « sauver » le climat ou l’environnement, c’est toujours pour freiner des quatre fers les décisions politiques qui iraient dans le bon sens. C’est à leurs interventions que l’on doit la préférence pour les solutions de marchés de droits à polluer contre les normes contraignantes, puis l’effondrement du « marché du carbone » en Europe. Or c’est à ces multinationales, et non des moindres en termes de dommages écologiques et climatiques (énergéticiens fossiles et fissiles, compagnie aérienne, constructeurs automobiles), que le gouvernement français a décidé de faire appel comme mécènes de la COP 21.

Le motif invoqué est que cela coûtera moins cher aux contribuables. Ce qui est vrai à courte vue. Mais qui peut douter que cela se paiera à terme ? Et de toute façon, les quelque 34 millions d’euros attendus de ce sponsoring (en fait nettement moins, voir la fin de ce billet) ne constituent pas la raison principale de cette invasion de la conférence par les lobbies. Ces derniers voulaient y être aux premières loges, ils ont payé leur place, mais certainement pas pour assister passivement au spectacle : pour y défendre leurs intérêts, là comme ailleurs, avec en prime un verdissement opportun de leur image ternie.

Autre communiqué, du 27 mai ; « la liste des mécènes de la 21e Conférence de l’ONU sur le climat (COP21), rendue publique aujourd’hui, comprend des multinationales françaises qui ne sont pas compatibles avec le climat. Les Amis de la Terre, Attac France, le Corporate Europe Observatory, WECF et 350.org dénoncent l’incohérence du gouvernement et redoutent que les négociations se retrouvent aux mains des pollueurs. »

A elles seules, les émissions mondiales des centrales à charbon d’EDF et de Engie représentent près de la moitié des émissions de la France. Selon le rapport récent d’Oxfam France et des Amis de la Terre, les centrales à charbon d’EDF, détenue à 84 % par l’État français, émettent chaque année 69 millions de tonnes de CO2, soit plus que des pays tels que l’Autriche. Quant à Engie, ses centrales à charbon émettent plus de 81 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions d’un pays comme les Philippines. Et leur facture pourrait encore s’alourdir : en 2015, année du climat, toutes deux cherchent à investir dans de nouvelles centrales à charbon dans le monde. Engie, par exemple, envisage d’investir dans le projet de centrale à charbon (de 1200 MW) Thabametsi, en Afrique du Sud, malgré la forte résistance des communautés locales.

Et parmi la vingtaine d’entreprises qui composent la première liste de « sponsors », on retrouve aussi Air France, entreprise aéronautique opposée à la réduction des émissions dans le secteur de l’aviation, Renault-Nissan, fabricant d’automobiles polluantes, Suez Environnement connue pour sa participation au lobby pro gaz de schistes français.

Quant à BNP Paribas, en plus d’être la première banque française en termes de soutien au charbon entre 2005 et avril 2014, elle refuse obstinément de quitter les paradis fiscaux et de mettre fin à ses pratiques d’évasion fiscale. Des

« Le gouvernement offre sur un plateau et à très bon prix la possibilité à des multinationales climaticides de verdir leur image alors que l’intérêt général nécessite de ne pas polluer les négociations sur le changement climatique avec les intérêts particuliers que ces entreprises représentent » dénonce Maxime Combes, dont voici un argument complémentaire emprunté à son excellent blog.

« Pas besoin de fonds privés !

Le gouvernement justifie ce choix en affirmant qu’il fallait « réduire le plus possible l’addition pour le contribuable ». Les données montrent le contraire : l’organisation de la COP21 doit coûter 170 millions d’euros. Le gouvernement veut que 20 % de ce budget, soit 34 millions d’euros proviennent d’entreprises privées.

A titre de comparaison, le budget du prochain Euro2016 de football en France est de 1,7 milliard d’euros, dont environ 700 millions d’euros – 40 % du budget – proviennent de fonds publics. Pour l’Euro2016, le contribuable paiera donc 4 fois le budget de la COP21, et près de 20 fois le montant que le gouvernement voudrait récupérer pour la COP21 via les champions de la pollution.

Avoir décidé de confier 20% du financement de la COP21 à des multinationales privées est donc un choix politique, fondamentalement idéologique, qui ne répond aucunement au besoin de réduire les dépenses publiques. Si François Hollande et le gouvernement français voulaient réellement organiser une COP21 « historique » à Paris, ils auraient pu aisément trouver les 34 millions d’euros manquant dans le budget public dédié à l’Euro2016 ou, mieux encore, en luttant efficacement contre l’évasion fiscale mise en œuvre par les grands groupes désormais sponsors de la COP21 (IKEA, LVMH, BNP Paribas notamment). »

[Ajout du 30 mai par Jean Gadrey : en fait, comme le remarque un commentateur de ce billet (Yonnel), les entreprises ne paieront in fine que 40% des 34 millions annoncés !]

Jean Gadrey

Jean Gadrey, né en 1943, est Professeur honoraire d’économie à l’Université Lille 1.
Il a publié au cours des dernières années : Socio-économie des services et (avec Florence Jany-Catrice) Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères).
S’y ajoutent En finir avec les inégalités (Mango, 2006) et, en 2010, Adieu à la croissance (Les petits matins/Alternatives économiques), réédité en 2012 avec une postface originale.
Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.

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