Tiré de Reporterre.
« Ça fait trois semaines que ça a commencé et il y a toujours autant de monde ! » s’exclame Lisa Westaway, cheffe de file de la force d’intervention anti-Covid au sein de la communauté. Les gens ne se rendent plus au Mohawk Bingo, une immense bâtisse azur et blanche, pour remplir des grilles et tenter de remporter le gros lot, mais pour se faire injecter une dose de vaccin. Kahnawake, qui compte plus de dix mille habitants, devrait avoir vacciné tous ceux qui le souhaitent, soit 80 % de la population adulte, d’ici le 11 avril.
Au Canada, les habitants autochtones [1] sont en effet prioritaires dans la campagne de vaccination. À Kahnawake, quel que soit son âge, tout adulte peut ainsi recevoir l’injection. Mardi 30 mars, Tom, 21 ans, immense gaillard, repartait ainsi du bingo avec le sourire, un pansement et sa grand-mère au bras (vaccinée elle aussi) : « Tout le monde avait peur ici quand la pandémie est arrivée. Finalement, pour l’instant, on a mieux géré ça que tout le monde ! » Même soulagement chez Catherine, la soixantaine, heureuse d’avoir reçu sa première dose et fière de la manière dont la communauté a réagi face à la crise : « On a été plus responsables que partout ailleurs au Québec. »
La discipline : voilà l’un des arguments clé de Lisa Westaway pour justifier le succès de la campagne de vaccination dans cette petite ville toute proche de Montréal. « Ici, tout le monde a compris les risques car ils sont immenses. Beaucoup de logements sont multigénérationnels », explique-t-elle. Les jeunes ne veulent donc pas risquer de contaminer leurs aînés. Et savent aussi qu’ils sont plus fragiles face au Covid : la Commission de la santé et des services sociaux des Premières nations du Québec et du Labrador estimait en 2018 que l’obésité et l’hypertension étaient deux fois plus présentes chez les Autochtones que dans le reste de la population.
Des Facebook live suivis par la moitié de la communauté
Pour que le danger soit compris par tous, la brigade locale anti-Covid a fait chauffer le téléphone. Selon Lisa Westaway, ils ont appelé chaque numéro du bottin de la communauté à quatre reprises afin d’expliquer les modes de transmission du virus. « J’ai reçu un appel, confirme Tom. « J’ai trouvé ça bien, mais un peu infantilisant. » Ceux qui n’ont pas reçu l’appel ont peut-être regardé une des videos en direct sur Facebook réalisées par la force d’intervention, diffusées tous les trois jours, et visionnées parfois cinq mille fois. Lisa Westaway reconnaît toutefois qu’il reste encore des familles à convaincre, et que les théories complotistes ont aussi cours dans la communauté.
La communication n’est que la première arme du plan de lutte local. La deuxième : le traçage. « Quand il y a un cas, on l’appelle tous les jours pour savoir comment ça va, pour savoir si la personne peut s’isoler », raconte Lisa Westaway. Quand le logement n’est pas assez grand, la force anti-Covid de Kahnawake loue une chambre dans un hôtel dans laquelle la personne doit se confiner deux semaines. Ainsi, même si les contaminations se sont multipliées après les fêtes, en janvier, Kahnawake ne compte aujourd’hui plus aucun cas de Covid. La force d’intervention reconnaît toutefois que le nombre de tests a ralenti depuis janvier.
Des mesures adaptées au contexte local
En tant que territoire autochtone, Kahnawake a pu prendre des mesures sanitaires différentes du reste de la province et du pays. Prendre des décisions adaptées à un contexte local : voilà ce qui a pu faire la différence, selon Lisa Westaway. Ici, les gymnases sont ouverts (avec des limitations), contrairement à ceux de Montréal, et le sport en extérieur est possible. Et le couvre-feu ? Il n’a jamais existé. « On cherchait un équilibre entre la santé mentale et la lutte contre la propagation », résume Lisa Westaway.
Kahnawake a donc des airs d’oasis de liberté au milieu d’un Québec encore en partie bien confiné. Attention cependant au trompe-l’œil. Certaines décisions ont été plus dures que celles prises dans le reste de la région : au début de la pandémie, la commune s’est calfeutrée. Les gens qui n’y résidaient pas ne pouvaient plus y entrer pour faire des achats. Et si les élèves du Québec sont de retour en classe depuis fin janvier, 80 % de ceux de Kahnawake suivent encore l’école à distance.
La force d’intervention anti-Covid n’est pas aveugle aux potentiels effets néfastes de ces choix sur le long terme. « Ce sont des décisions difficiles, c’est forcément une prise de risque », explique Lisa Westaway. Aux abords du bingo, c’est d’ailleurs les décisions liées au maintien d’une grande partie des élèves en dehors des classes qui provoque le plus de débat au sein de la communauté. Plusieurs écoles autochtones, en dehors de Kahnawake, ont d’ailleurs déjà constaté des baisses de résultats par rapport aux années précédentes.
Notes
[1] qui vivent dans leur communauté
Photo : . Kahnawake vue de Montréal, plus précisément à partir du parc René-Lévesque de Lachine. Red Castle / Commons Wikimedia
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