Édition du 17 décembre 2024

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Comment la Colombie utilise la xénophobie comme bouclier politique

En Colombie, la xénophobie contre les ressortissants du Venezuela a atteint des proportions sans précédent dans les dernières semaines. Le 10 mars, un policier a été assassiné dans la capitale du pays, Bogotá. Mais ce que la presse ainsi que les politiciens et politiciennes en ont retenu, c’est la nationalité de celui qui a commis le crime : un Vénézuélien.

7 avro ; 2021 | tiré de La conversaton
https://theconversation.com/comment-la-colombie-utilise-la-xenophobie-comme-bouclier-politique-157476

Les propos de la mairesse de Bogotá, Claudia López, n’ont pas manqué de susciter de vives critiques. Elle a affirmé qu’une « minorité de Vénézuéliens, violents, sont un facteur d’insécurité ». Conséquemment, et en dépit du fait qu’elle ait exprimé des excuses postérieures, elle a légitimé et alimenté les discours haineux déjà forts présents dans la société colombienne.

En Colombie comme ailleurs, l’utilisation des minorités comme bouclier politique afin de contrer les perceptions citoyennes sur la détérioration de l’efficacité gouvernementale est monnaie courante. La situation migratoire entre le Venezuela et la Colombie a servi la rhétorique populiste de la classe dirigeante colombienne, qui tente d’associer l’insécurité à la migration vénézuélienne, tandis que le pays continue de faire face à un conflit armé interne, des déplacements forcés de populations et des assassinats systématiques d’activistes des droits de la personne.

Une fois de plus, la mairesse de Bogotá emploie un discours dangereux contre les personnes vénézuéliennes afin de masquer l’incapacité institutionnelle à résoudre les problèmes de sécurité dans la capitale colombienne.

Nos recherches portent sur les enjeux politiques entourant à la fois la situation du conflit armé colombien et la situation migratoire des populations vénézuéliennes, plus particulièrement depuis l’augmentation des mouvements de population depuis 2016. La complexité des manifestations de la violence et l’instrumentalisation politique de la crise migratoire nous amènent à faire une réflexion critique sur la montée des discours xénophobes en Colombie.

La rhétorique de l’insécurité

L’histoire commune forte et les migrations massives de part et d’autre entre le Venezuela et la Colombie n’ont pas empêché l’émergence des discours associant la migration à la menace « communiste » (castro-chavisme) et à l’équation directe faite entre migration et insécurité.

La population vénézuélienne en Colombie représente 3,6 % de la population totale. Cependant, en décembre 2020, les données du bureau du procureur général (fiscalía) montrent qu’un dossier judiciaire avait été ouvert pour seulement 0,4 % des personnes vénézuéliennes, principalement pour des crimes reliés au trafic de drogue, au vol et, dans une moindre mesure, à des homicides. En termes absolus, cela signifie que plus de 96 % des crimes sont commis par des personnes de nationalité colombienne.

La population vénézuélienne est aujourd’hui disséminée dans plus de 90 pays dans le monde. 80 % des Vénézuéliens qui ont quitté leur pays se trouvent en Amérique latine, dont plus de 1,7 million en Colombie. Cela représente 3.6 % de la population.

Bogotá ne fait pas exception. Entre 2018 et 2020, les personnes vénézuéliennes arrêtées pour un crime ne représentaient que 3,46 % du total, et cela ne signifie pas qu’elles étaient coupables. La participation de personnes du Venezuela dans les structures criminelles et la formation de groupes binationaux est indéniable. Cependant, les chiffres ne soutiennent aucunement les affirmations de la mairesse de Bogotá. Il convient donc de réfléchir sur les vraies causes, profondes et structurelles, de l’insécurité à Bogotá et en Colombie.

En réalité, l’insécurité touche également les personnes migrantes du Venezuela. Des études montrent que le nombre de victimes de crimes violents d’origine vénézuélienne a augmenté.

Les preuves empiriques et les avertissements du procureur général de la République montrent le double risque vécu par les personnes migrantes et réfugiées en tant que population vulnérable et victimes de violences, en particulier les femmes, les enfants et les adolescent-es.

À cela s’ajoute les graves inégalités de genre en Colombie qui affectent considérablement les femmes et les jeunes filles du pays. Un récent rapport a montré que les femmes et jeunes filles en situation de migration étaient exposées à de nombreuses insécurités, notamment l’exploitation sexuelle, la traite de personne et plusieurs violations à leurs droits sexuels et reproductifs.

L’arrivée massive de personnes migrantes du Venezuela opère donc dans un contexte complexe de mobilité humaine forcée en Colombie. En effet, plus de 9 millions de personnes sont victimes du conflit armé et, jusqu’à la fin de 2019, la Colombie est restée le pays au monde avec le plus grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays.

Par conséquent, même si la migration apporte son lot d’enjeux sociopolitiques, affirmer que les personnes migrantes sont un facteur déterminant des niveaux de criminalité dans les villes colombiennes ne tient pas la route. Les conséquences économiques de la pandémie, les multiples formes de violence armée et les hauts taux de précarité et d’inégalités sociales constituent plutôt les véritables éléments qui favorisent l’insécurité. Par contre, politiquement, ce n’est pas commode pour la classe dirigeante de le reconnaître.

Le renforcement des imaginaires xénophobes

Même sans chiffres pour étayer ses affirmations, Claudia López renforce la construction d’imaginaires sociaux qui alimentent l’aporophobie – ou l’hostilité envers la pauvreté – et la xénophobie à travers un discours systématiquement discriminatoire et profondément populiste.

Cette stratégie lui permet de regagner la sympathie des citoyens et citoyennes qui subissent quotidiennement les assauts de sa politique sécuritaire infructueuse. C’est le cas de ses déclarations du 11 mars 2021, qui ont augmenté de plus de 500 % les discours de haine envers les personnes provenant du Venezuela dans les conversations numériques en Colombie.

Comment ces stratégies opèrent-elles pour détourner l’attention de la population colombienne de l’inefficacité gouvernementale ?

En effet, tout cela survient à un moment crucial de l’évolution de la politique migratoire en Colombie, en raison de la mise en œuvre prochaine du Statut de protection temporaire des migrants vénézuéliens (ETPMV) décrété le 1er mars dernier par le président Iván Duque.

Cette politique migratoire reconnaît la volonté des personnes migrantes du Venezuela de rester au pays et leur permet d’accéder à des mesures de protection, sous la condition qu’elles remplissent les exigences établies pour bénéficier d’un permis de protection temporaire. L’ETPMV devrait entraîner un changement substantiel dans l’égalisation des chances d’intégration socio-économique et d’accès aux droits fondamentaux pour la population vénézuélienne. En effet, la politique migratoire reconnaît la nécessité de régulariser le statut politique de cette population afin d’atténuer les vulnérabilités découlant de la migration qualifiée « d’irrégulière ».

Malheureusement, Claudia López a profité de l’occasion pour préciser sa position sur l’ETPMV, qu’elle critique comme des mesures qui « privilégient » uniquement les personnes vénézuéliennes et qui favorisent la « concurrence déloyale » pour l’accès à l’emploi, « portant atteinte » aux garanties constitutionnelles des colombiens et colombiennes.

Une fois de plus, les données empiriques réfutent ces affirmations, puisqu’il n’y a aucune preuve d’impact négatif de la migration sur l’emploi formel. De fait, la population vénézuélienne en Colombie est principalement engagée dans des activités économiques informelles, gagnant des revenus inférieurs à la moyenne nationale.

Les femmes migrantes sont particulièrement touchées, recevant de moins bons revenus et étant souvent responsables des enfants.

Ainsi, affirmer qu’un mécanisme de régularisation du statut encourage la concurrence déloyale fait partie intégrante du discours visant à promouvoir délibérément la discrimination contre la population vénézuélienne. D’autant plus qu’avec les récents événements à la frontière, les relations colombo-vénézuéliennes ne cessent de s’envenimer, avec plus de 5000 personnes forcées de se déplacer pour éviter les affrontements entre les forces armées vénézuéliennes et des groupes armés, notamment les dissidences des FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple).

Claudia López a été élue sous un programme politique « progressiste ». Elle a voulu insuffler un vent de changement à la mairie de Bogotá en affirmant à la fois son identité de femme et lesbienne, tout en se positionnant fortement face au gouvernement d’Iván Duque et sa gestion lente des mesures sanitaires pour lutter contre la pandémie, par exemple en menaçant de fermer l’aéroport El Dorado de Bogota.

Or elle semble avoir ainsi oublié l’analyse intersectionnelle en politique publique. Une telle analyse permettrait de voir l’imbrication entre les différents vécus des personnes migrantes, qui vivent des situations d’insécurité croissante et de xénophobie dans plusieurs pays d’Amérique latine.

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